L’Express

A Marseille, la mosquée des Bleuets menacée de fermeture : les dessous d’une procédure judiciaire

L'entrée de la mosquée des Bleuets et du bâtiment de l'institut Malik Ibn Anas à Marseille, le 20 août 2024 dans les Bouches-du-Rhône




Il proteste : « C’est un ramassis de mensonges. » Depuis le début de la semaine, Smaïn Bendjilali (l’imam Ismaïl) conteste la procédure de fermeture administrative de la mosquée des Bleuets, à Marseille, dans laquelle il prêche. Mardi 20 août, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a annoncé avoir notifié le lieu de culte de son intention de la fermer. « A la demande de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, le préfet de police des Bouches-du-Rhône a lancé aujourd’hui une procédure de fermeture de mosquée des Bleuets », a-t-elle précisé. Le ministère de l’Intérieur estime que des « propos légitimant la violence » y seraient tenus depuis plusieurs années.Deux éléments ont conduit à cette décision de la préfecture. D’abord, ce que les autorités qualifient de « discours incitant à la discrimination et à la haine contre les femmes, notamment par des prêches exprimant des positions légitimant le viol conjugal et la polygamie, et théorisant l’inégalité des droits entre les femmes et les hommes dans le mariage ». Ensuite, à travers ses propos à la mosquée et sur les réseaux sociaux, l’imam est accusé de prôner « la supériorité de l’islam sur les lois de la République et attise la haine des non-musulmans et des Occidentaux », reprend le communiqué. Il ne s’agirait pas d’une initiative isolée. « Depuis 2017 et jusqu’en août 2024 l’ensemble des propos tenus dans cette mosquée, et notamment par l’imam Bendjilali, me conduit à considérer que le maintien en activité présente des risques », a expliqué le préfet Pierre-Edouard Colliex à l’AFP.Une procédure rapidePour lancer cette procédure, la préfecture de police se fonde sur un texte relativement récent. Il date de 2017 quand, au sortir de l’état d’urgence, le Parlement a adopté la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui donne la possibilité à la puissance publique d’effectuer des fermetures administratives de lieux de cultes. Son but est de « prévenir la commission d’actes de terrorisme » en fermant des édifices favorisant la radicalisation djihadiste, la violence et les propos haineux. Dans le détail, cette mesure doit être proportionnée aux circonstances qui l’ont entraînée, et ne pas dépasser six mois de fermeture. « La procédure doit permettre à un contradictoire de s’exprimer au préalable. Les personnes visées doivent pouvoir avoir accès aux pièces du dossier et doivent avoir le droit de présenter leur défense dans un délai raisonnable », ajoute auprès de L’Express Me Eric Landot, avocat spécialisé dans le droit des collectivités publiques. En l’espèce, la préfecture a notifié que la mosquée avait dix jours pour répondre aux arguments du ministère afin de se soustraire à sa fermeture.Dans le cas où l’affaire serait menée à son terme, Me Rafik Chekkat a annoncé préparer au nom de la mosquée un référé liberté. Son examen pourrait avoir lieu en début de semaine prochaine devant le tribunal administratif de Marseille. Dans le cas d’un référé liberté, la justice est relativement rapide : son examen doit se dérouler dans les quarante-huit heures. « Le juge regardera les arguments soulevés par le préfet et s’assurer que les éléments réunis sont suffisants pour justifier une fermeture, indique à L’Express Olivier Renaudie, professeur de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne. Ici, il va pouvoir prendre en compte plusieurs arguments : ceux portant sur l’égalité homme-femme, et ceux relatifs au repli communautaire. »Proches d’autres imams fondamentalistes, le religieux de 43 ans est surveillé depuis 2017 par les services de renseignement. Il est accusé par la préfecture d’avoir franchi plusieurs fois le Rubicon. En octobre 2023, « l’imam Bendjilali a relayé des messages appelant les fidèles à combattre avec des armes, a relevé le préfet de police auprès de La Provence. Puis, en novembre dernier, il s’était livré à des comparaisons particulièrement choquantes, assimilant le Hamas aux indépendantistes algériens et à Nelson Mandela, ou considérant Daech comme des enfants de chœur au regard des forces armées israéliennes ». Pendant les Jeux olympiques, ce 2 août, il avait également partagé sur les réseaux sociaux des photos d’enfants palestiniens décharnés, accompagnées d’un commentaire regrettant que des « génocidaires participent en toute impunité aux JO ». Une publication qui, selon le préfet, a mis « ainsi en danger ces athlètes israéliens comme les policiers français chargés de leur protection ».Le précédent PessacOutre ces éléments, « le magistrat prendra également en compte le fait que le discours de l’imam ne s’adresse pas à ses seuls fidèles », ajoute Olivier Renaudie. Car l’audience de Smaïn Benjilali s’étend bien au-delà des prêches qu’il énonce chaque vendredi devant les 300 à 350 fidèles de la mosquée des Bleuets. Il cumule près de 10 000 abonnés sur X, 123 000 sur Facebook et 24 000 sur Instagram. C’est sur cette dernière plateforme que, lundi soir, dénonçant une « tentative d’intimidation », l’imam a annoncé qu’il venait d’être perquisitionné. La décision peut alors prendre deux chemins : ou le tribunal administratif suspend la mesure, ou il la juge motivée en droit. Le perdant peut alors faire appel. « Le dossier sera alors examiné, là encore dans les quarante-huit heures par le Conseil d’Etat, qui rendra une décision cette fois définitive », reprend Olivier Renaudie. En tout,  » ce type de procédure juridictionnelle dure à peu près un mois de la saisine du tribunal administrative jusqu’à une saisine du Conseil d’Etat », indique Charles Vautrot-Schwarz, professeur de droit public et doyen de la faculté Jean-Monnet de l’université Paris-Saclay. En 2020, le Conseil d’Etat avait par exemple validé le 25 novembre la décision de garder fermée la Grande Mosquée de Pantin. La procédure avait été ordonnée le 19 octobre par le ministère de l’Intérieur.Dans certains cas, une décision de Beauvau a déjà été retoquée par les juges administratifs. Le Conseil d’Etat a par exemple invalidé en 2022 une décision de fermeture de la mosquée de Pessac (Gironde) en raison d’une « atteinte à la liberté de culte ». L’imam y officiant, Abdourahmane Ridouane, Nigérien menacé d’expulsion, est accusé par le ministère de l’Intérieur de diffuser une « idéologie hostile aux valeurs de la République française ». Dans ce cas, l’association responsable de la mosquée de Pessac a bien publié des textes « incitant au repli identitaire et qui conteste le principe de laïcité », mais « ces publications ne présentent pas, compte tenu de leur teneur dans les circonstances de l’espèce, un caractère de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination », avait estimé à l’époque le Conseil d’Etat. A Marseille, le préfet de police estime que « l’ensemble des exemples donnés […] paraissent vraiment de nature à justifier la fermeture ». « D’autant qu’au-delà des déclarations publiques, l’imam Bendjalil a fait l’objet d’une surveillance des services de renseignement. Des notes blanches, qui seront partiellement accessibles à l’audience, sont aussi versées au dossier », pointe Eric Landot.Dans leurs critiques de la procédure préfectorale, l’imam de la mosquée de Bleuets et son avocat mettent en avant un autre point, qui rend cette décision différente des autres fermetures de lieux de culte. Elle a été prise sur demande d’un « ministre de l’Intérieur démissionnaire ». Cette donnée pourra-t-elle constituer un point de fragilité pour le juge administratif ? « C’est un élément qui va forcément être soulevé. De deux choses l’une : soit le tribunal juge que le ministre est compétent pour prendre la décision parce qu’elle entre dans les affaires courantes, qu’il peut gérer même en étant démissionnaire », remarque Charles Vautrot-Schwarz. Dans ce cas, l’examen du dossier se ferait normalement. « Soit le ministre est incompétent, car le tribunal considère que la décision n’entre pas dans les affaires courantes. Dans ce cas, la décision est annulée pour incompétence, mais sans examen au fond », reprend-il. Cette deuxième possibilité existe, mais paraît faible selon les différents experts interrogés. « Cela m’étonnerait, poursuit Charles Vautrot Schwarz. Même s’il est indiqué qu’il s’agit d’une demande du ministre, la fermeture d’une mosquée est une compétence propre au préfet. » « Et le juge a toujours tendance à reconnaître davantage de compétences quand un intérim dure longtemps », ajoute Eric Landot.



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2024-08-23 09:55:11

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