L’historien du sport Michaël Delépine s’en amuse. Examinant le matériel édité pour promouvoir les lieux accueillant des épreuves olympiques, il observe qu’aucune image ne vante le stade de Colombes. Pas de carte postale, pas d’affiche – à croire que le site des Hauts-de-Seine ne mériterait pas d’être mis en avant. Dédain étonnant quand on songe que celui-ci a l’unique privilège de recevoir en son sein une seconde fois les Jeux olympiques. La première, c’était en 1924, lorsque s’y tinrent la cérémonie d’ouverture, les compétitions d’athlétisme, le cyclisme sur route (le départ et l’arrivée), l’équitation, le football, la gymnastique, le cross du pentathlon moderne et le rugby. Un tourbillon d’épreuves qui mirent la ville, située à 8 kilomètres de la capitale, à rude épreuve ; les installations de métro promises n’ayant pas vu le jour, il fallut se rabattre sur les chemins de fer et bâtir à la hâte une « halte ferroviaire » – d’édifier une gare il n’était plus temps.Cent ans plus tard, dans quelques jours donc, le stade de Colombes, officiellement nommé stade Yves-du-Manoir, du nom d’un polytechnicien international de rugby décédé dans un accident d’avion, recevra les épreuves de hockey sur gazon, non sans avoir bénéficié de 101 millions d’euros de travaux, dont 90 déboursés par le Département, son propriétaire. Avec ses deux bâtiments neufs et ses trois terrains de hockey, le stade deviendra, dès l’automne, le siège national de la Fédération française de hockey. Une résurrection, ce spectaculaire, bien que discret, retour. L’ »éternel oublié », comme le qualifie Michaël Delépine, auteur d’un livre consacré à son histoire (Le Bel Endormi, aux éditions Atlande), a en effet sérieusement failli mourir. Délaissé parce que trop laid, trop lointain, trop populaire, condamné au mauvais sort d’une installation trop petite pour les grandes rencontres et trop grande pour assurer son équilibre financier.Quand en 2017 le CIO attribue les Jeux d’été 2024 à Paris, il agonise. Planté entre l’autoroute A86 et des tours d’immeubles, il tombe en ruines. Piste d’athlétisme brinquebalante, grands virages interdits au public – trop dangereux -, façade défraîchie, parking obsolète, gradins bleu délavé, vieille armature métallique rouillée. Le Département, qui l’a acheté dix ans auparavant, a certes financé quelques pansements, telle cette tribune provisoire posée en 2014, mais la rustine ne suffit pas. Le lorgnent des promoteurs pressés de transformer ses 21 hectares en centre commercial ou complexe hôtelier, des projets que la municipalité, soucieuse de réhabiliter la boucle nord de la Seine, ne voit pas d’un mauvais œil.Manque de chicSans la baguette magique des Jeux aurait peut-être disparu le lieu qui fut, longtemps, l’écrin mythique du sport français. Son histoire commence en 1883, quand, sur ces bords de Seine, est aménagé un modeste champ de courses, rien de bien grand, tout juste un pavillon de pesage et une tribune latérale en bois. Inaugurant ce qui sera sa malédiction, il souffre déjà d’un manque de chic ; « il n’a pas l’aura de ses homologues parisiens », explique Michaël Delépine. Comparé aux élégantes verdures de Longchamp, Vincennes ou Saint-Cloud, le site souffre de son paysage industrieux, esthétique banlieusarde grise. 1906, fini les chevaux. Le journal Le Matin, alors quatrième quotidien parisien, tirant à plus de 600 000 exemplaires, reprend le bail et y aménage un stade athlétique. Son équipement attire le Racing Club de France, déjà une des plus grandes sociétés sportives de l’époque. Le club a certes installé son quartier général dans le bois de Boulogne, à la Croix-Catelan, mais c’est à Colombes qu’il organise matchs de foot et de rugby. Quand se profilent les Jeux de 1924, le Comité olympique français présente sa candidature, en veillant bien à ne pas compter sur Colombes, qu’il ne juge pas assez élégant pour pouvoir prétendre aux cinq anneaux. Se poussant du col, il promet en revanche de construire à Vaugirard, à la place d’anciennes briqueteries, un stade tout neuf et monumental. Suivent quelques mois d’euphorie où se succèdent les dessins d’architectes crayonnant des constructions splendides à 100 000 places, puis s’impose la réalité. La Ville de Paris n’a pas d’argent, l’Etat guère plus, les subventions promises s’évaporent. On ne construira rien à Vaugirard, et le CIO s’impatiente de voir Paris sans stade d’envergure. Le Racing Club reprend alors le dossier, et s’engage à adapter Colombes aux canons de l’olympisme. Banco. Pelouse réglementaire avec huit couloirs, vestiaires, douches, haut-parleurs, tableaux d’affichage, gradins en bois. Tout ça coûte une fortune. La piscine n’est pas achevée, les ambitions rétrécies (25 000 places assises et couvertes), mais bon an mal an le stade est prêt à temps. Il est ici amusant de regarder le riche documentaire, réalisé par Marie-Laurence Rincé, 1924. Le Paris des Jeux olympiques (Public Sénat) pour réaliser à quel point nos agacements n’ont rien à envier aux râleries des Parisiens de 1924. Devant un demi-million de spectateurs s’affrontent alors 44 nations, (ni l’Allemagne ni l’URSS), mais, pas de chance, l’été est caniculaire, et les visiteurs maugréent de devoir emprunter le train pour se rendre jusqu’à ce stade excentré, d’autant que le prix du billet a explosé, passant de 1,70 à 5 francs. Moins de personnes qu’attendu font le déplacement, les amateurs de tennis se scandalisent de voir leur sport de gentlemen pratiqué dans un décor industriel, ils se plaignent des fumées des usines – les Jeux finis, on se promet d’oublier pour de bon Colombes et de construire au plus vite le fameux stade à 100 000 places. »Le grand stade en attendant le grand stade » »Pendant cinquante ans, il sera le grand stade en attendant le grand stade, sourit l’historien. Prévu pour être provisoire, il va durer en attendant la construction d’un lieu sans cesse reportée. » De 1925 à 1939, le stade Yves-du-Manoir accueille la Coupe du monde de football de 1938, la plupart des finales de Coupe de France, l’essentiel des grandes rencontres de rugby, les championnats d’Europe d’athlétisme. Le stade pavoise, jusqu’à la déclaration de guerre, en septembre 1939. L’installation sportive, tout comme Roland-Garros, est retenue comme « centre de rassemblement des indésirables », où sont enfermés « les ressortissants de territoires ennemis âgés de 17 à 50 ans », des Autrichiens et des Allemands pour la plupart, parmi lesquels beaucoup de familles juives ayant fui l’Europe de l’Est. « Ni camp d’internement ni camp de concentration, le stade est un espace de transit. Un épisode qui fut longtemps occulté, jusqu’à la pose d’une plaque mémorielle en 2012 », ajoute Michaël Delépine. La Seconde Guerre mondiale finie, le stade a subi de nombreuses destructions, et son image se dégrade. Quand en 1954 Emil Zapotek y réalise son record du monde, à peine 5 000 spectateurs l’applaudissent dans les gradins. Désormais désigné par un péjoratif « vieux stade », l’affluence y est en berne, il se meurt, délaissé. « Pourtant l’endroit, même décrépi, demeurait un lieu de rencontres incroyable, ici les collégiens et lycéens de Colombes venant faire du sport pouvaient croiser des internationaux de football, des rugbymen de renom, c’était un site très ouvert, mélangé, rare. Le triomphe de la simplicité et de la modestie, le refus du luxe inutile. Une enceinte un peu grise en banlieue parisienne qui pouvait ponctuellement se parer d’habits de lumière », se souvient son spécialiste. Des habits de lumière retrouvés pour les Jeux 2024 grâce au hockey sur gazon, épreuve obtenant la quatrième place quant à l’audience, grâce aux spectateurs assidus d’Asie du Sud-Est et d’Europe du Nord. L’histoire du stade ressuscitée s’explore, gratuitement, jusqu’au 19 octobre, au musée d’art et d’histoire de la ville, accueillant l’exposition « Colombes, terre de champions 1924, 2024 ».
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Author : Emilie Lanez
Publish date : 2024-07-26 06:00:00
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