Sur le parvis du Centre Pompidou, elle trône à l’endroit même où se déployaient en d’autres temps le grand mobile Horizontal de Calder ou Le Pouce de César. Depuis fin juin, Cycloïde Piazza (1), la sculpture de Raphaël Zarka, attire tous les regards. Réalisée avec l’architecte Jean-Benoît Vétillard, cette pièce monumentale a la particularité d’être « skatable », à savoir praticable par tout adepte du plateau à quatre roues, qu’il soit amateur ou professionnel. Au-delà du sport, c’est une « mise en frottement » de l’univers du skateboard, de l’histoire de l’art et de la science des géométries courbes.L’artiste, qui a tâté de la planche dès l’enfance, est déjà l’auteur de quatre essais sur la discipline, dont La Conjonction interdite (éditions B42, 2023). Il a repris ici les principes des appareils imaginés dans les cabinets de physique expérimentale des XVIIe et XVIIIe siècles, qui virent Galilée et consorts étudier la chute des corps en faisant rouler des billes dans les canaux. En 1599, l’illustre astronome avait d’ailleurs baptisé « cycloïde » la courbe jugée la plus rapide, que Zarka est le premier à avoir introduite dans une infrastructure de skate. »Cycloïde Piazza » de Raphaël Zarka pour le centre Pompidou, 2024.Alors que les JO de Paris 2024 s’apprêtent à recevoir les épreuves de skateboard (2), qui signent l’entrée officielle de la discipline dans l’olympisme après une incursion comme sport additionnel aux Jeux de Tokyo en 2020, musées et galeries célèbrent la pratique dans l’Hexagone. Si Raphaël Zarka crée l’événement à Beaubourg, il est également l’homme-orchestre de Fortuna (3), une exposition au Mrac Occitanie, à Sérignan, qui interroge les liens qu’ont noué skateurs et artistes – toutes époques confondues – avec les espaces, les formes, les textures.Au musée d’Art moderne de Paris (MAM), Ari Marcopoulos, photographe et cinéaste emblématique de l’underground new-yorkais, fait, quant à lui, dialoguer la collection de l’institution parisienne avec ses propres clichés, témoins de l’apogée du skate et de la scène hip-hop naissante outre-Atlantique dans la décennie 1980. Le lieu de l’exposition (4) n’est pas anodin puisque l’esplanade du site que le MAM partage avec le Palais de Tokyo est devenue, depuis les années 1990, un spot majeur de la planche à roulettes sous le nom de Dôme. Ici, sur la vaste étendue de marbre agrémentée de marches, les pratiquants enchaînent à toute heure ollie, backside et autre kickflip dans une bruyante parade, entre prouesses techniques et tentatives cent fois recommencées. »Smith Grind » d’Ari Marcopoulos, New York, 1995.Le Dôme, justement, est l’un des terrains d’observation privilégiés de Sylvie Barco, photographe plasticienne, coauteure avec Philippe Danjean et Stéphane Madœuf de l’ouvrage Art of Skate paru ce printemps aux éditions Alernatives, qui travaille au plus près des skateurs. Fascinée par les traces que laissent les humains dans l’espace public, elle a longtemps trimballé son objectif partout dans le monde pour immortaliser des murs tagués. En 2018, sa découverte du skatepark de Gandia, en Espagne, marque un tournant dans son corpus. Elle y entame la série Gang of Skate (G*O*S*), qui mêle images photographiques, fragments de textes et motifs graphiques pour donner jour à une œuvre plastique à part entière. Des adeptes évoluant dans un espace dédié, équipé de rampes et half pipe, Sylvie Barco s’intéresse ensuite à ceux qui se sont approprié un lieu en détournant ses caractéristiques de leur usage classique, tels ces garçons qui foulent inlassablement le Dôme. Un laboratoire urbain où « chaque recoin ouvre sur une exploration, une provocation, un enjeu ».Plutôt que de capturer la performance, l’artiste cherche la métaphore : saisir au vol cette planche qui, à elle seule, traduit le « monologue intérieur d’une jeunesse en quête d’expression et de liberté » dans un univers où « tout est hyper étudié – tenue baggy, chorégraphie, contrôle ». S’affranchissant de la traditionnelle iconographie du skateur en lévitation, elle se focalise notamment sur le rapport que chacun entretient avec la chute, déconcertant parfois ses modèles, habitués à être figurés dans l’aspect spectaculaire du saut.A l’arrière-plan, les filles, plus secrètes, ont aussi leur place sur l’asphalte. Les clichés de Sylvie Barco les voient se fondre avec les communautés minoritaires Queer, Yel et LGBT pour former un groupe atypique où la planche devient vectrice d’émancipation et de solidarité. Ces approches que la plasticienne expérimente avec G*O*S*, on les retrouve, condensées en une pièce unique, dans son installation Du mur au skate (5), qui croise photographies, fresques et objets autour du skateboard, installée cet été à SPOT24, le nouveau lieu parisien autour des cultures urbaines et de l’olympisme. »Alter Ego. Ce jour-là la chaleur écrase, le tee-shirt de Koffi devient un turban qu’il arbore comme un Sahélien », Palais de Tokyo, Paris, 2023.Un plateau, quatre roues, du macadam. C’est toute une philosophie, née sur fond de contre-culture et de street art, qui est explorée par les artistes contemporains. « Le skateboard a ceci de particulier qu’il marque de manière indélébile la façon d’appréhender les formes et les espaces », pointe Raphaël Zarka, tandis que Sylvie Barco évoque « une pensée quasi-mystique qui redéfinit l’espace urbain, transcende la chute, et sublime l’équilibre des corps », tout en véhiculant « la mémoire, la transmission, la place des femmes, l’affirmation de soi ». Autant de réalités qui font de la planche « une pure allégorie de la vie ». Ne reste plus qu’à en saisir l’essence. Tel l’adepte du surf – pratique aux sources du skate -, la photographe guette « la bonne vague » pour déclencher son appareil.(1) Parvis du Centre Pompidou jusqu’au 15 septembre(2) Place de la Concorde les 27 et 28 juillet (« Street »), les 6 et 7 août (« Park »)(3) Mrac Occitanie, Sérignan, jusqu’au 22 septembre(4) Musée d’Art moderne de Paris jusqu’au 25 août(5) SPOT24, Paris XVe, du 13 août au 4 novembre.
Source link : https://www.lexpress.fr/culture/paris-2024-quand-les-artistes-semparent-du-skateboard-T7OUX6YWHREE3JF3G2AY7DCQWY/
Author : Letizia Dannery
Publish date : 2024-07-26 08:20:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.