L’Express

Logement : ces erreurs de stratégie qui coûtent cher à Bercy

Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire lors d'une conférence de presse à Meudon, dans la région parisienne, le 8 avril 2024




Une note « effarante ». Robin Rivaton, fondateur du think tank immobilier Real Estech et chroniqueur à L’Express, n’a pas mâché ses mots dans sa dernière newsletter. L’objet de son ire ? Une étude publiée fin juillet par les services de la direction générale du Trésor consacrée aux habitations vacantes. L’auteur y explique, chiffres à l’appui, qu’une partie des besoins en logements pourrait être comblée par la mobilisation de ce parc inusité. D’autant, précise-t-il, qu’il existe en France des « redondances » : dans certaines communes, l’augmentation du nombre de logements vides depuis plus de deux ans coïncide avec la mise en chantier de biens neufs dans les mêmes proportions.Appartements mal situés, obsolescents, dont la surface ou le plan sont inadaptés aux besoins actuels, situations d’héritage complexes, propriétaires échaudés par d’anciens locataires insolvables… Il y a mille raisons à la vacance. Pour Robin Rivaton, cette note du Trésor traduit d’abord « le dogmatisme qui a interpellé l’ensemble des professionnels du secteur depuis trois ans ». Mais aussi « l’angoisse [à Bercy] d’un stock trop important de logements ». En réalité, s’emporte-t-il, « considérer qu’un logement est égal à un [autre] logement est une erreur basique et si les gens font le choix de ne pas les occuper, nos chers bureaucrates pourraient faire confiance à l’intelligence de la foule ». En résumé, un logement neuf offre bien des atouts par rapport à un ancien, en termes d’efficacité énergétique, d’optimisation de la surface, de qualité du bâti…Des signes d’agacement dans le secteurCette analyse publiée au cœur de l’été, sous un gouvernement en sursis et dans la longue attente du prochain casting, aurait pu passer inaperçue. Mais les professionnels du secteur ont quelques raisons d’être susceptibles, voire de montrer des signes d’agacement. Dans le neuf, tous les indicateurs dégringolent, la promotion immobilière étant prise en étau entre la hausse des coûts de production associée à une inflation réglementaire et une demande empêchée par l’enchérissement des emprunts et les contraintes sur le crédit bancaire. Au premier trimestre, les autorisations de logements collectifs ont atteint 40 600, contre une moyenne trimestrielle proche de 60 000 entre 2015 et 2018. Les mises en chantier ont chuté de 23 % sur un an. Les ventes sont tombées sous la barre des 20 000. Les promoteurs licencient à tour de bras.Dans l’ancien, le dernier pointage des notaires à fin février faisait état d’une baisse de 23 % en un an du nombre de transactions. SeLoger chiffre à 36 % la chute du volume d’annonces de biens à louer mises en ligne en l’espace de deux ans, à fin 2023. « Si on avait appliqué à la lettre la loi sur les passoires thermiques, excluant encore des dizaines de milliers de logements du marché, on aurait accentué la pénurie », observe Franck Pétel, titulaire de la chaire immobilier et développement durable de l’Essec.Les conséquences sont très concrètes, et sans doute pas étrangères aux colères et frustrations exprimées lors des derniers scrutins : des étudiants contraints de renoncer à leur cursus faute de studios à louer, des actifs dont la mobilité géographique est entravée, amplifiant les difficultés de recrutement des entreprises, des familles qui réfléchissent à deux fois avant de s’agrandir – là où la crise du logement rejoint celle de la démographie.Libéraliser le code de l’urbanismeL’exécutif a clairement échoué à relancer le marché. « La pensée dominante au sein de la haute administration est que le stock de logements en France est suffisant pour répondre à la demande et que la construction a eu des effets inflationnistes », explique auprès de L’Express Robin Rivaton, qui appelle pour sa part à libéraliser le code de l’urbanisme, densifier les zones pavillonnaires, trouver des moyens d’inciter financièrement les collectivités locales à produire de nouveaux logements.Bruno Le Maire lui-même a fini par admettre sa responsabilité dans ce fiasco. Le 20 juin dernier, lors de l’audition des chefs de partis par les organisations patronales dans le cadre de la campagne des législatives, le ministre de l’Economie vante ses actions, fustige les programmes des concurrents. Un mea culpa ? « Le logement, je le reconnais volontiers. Un sujet compliqué, avec des enjeux financiers et réglementaires lourds. » Avant d’ajouter un étonnant : « On a patachonné. » Et un non moins étonnant, venant du locataire de Bercy depuis sept ans : « Ça doit être une priorité absolue. » Robin Rivaton reconnaît que le dernier ministre du Logement en date, Guillaume Kasbarian, « avait parfaitement appréhendé les blocages existants. Sans être un big bang, le projet de loi aurait permis d’améliorer le fonctionnement des marchés du logement ». La dissolution décrétée par Emmanuel Macron en a décidé autrement.On sait l’immobilier mal jugé au plus haut de niveau de l’Etat, où l’on valorise davantage la production que la rente. « On a tendance à faire croire que les propriétaires sont d’horribles capitalistes qui attendent que les loyers tombent et spéculent sur la hausse des prix. L’exemple de cette note sur les logements vacants le montre encore, la stratégie consiste plus à trouver des coupables que des solutions, se désespère Franck Pétel. Quand on fait des analyses statistiques sans tenir compte des particularismes locaux, on peut en effet arriver à des conclusions biaisées peu représentatives de la réalité du marché. »Un pan majeur de notre économieNos pouvoirs publics semblent avoir omis une chose : l’immobilier est un pan majeur de notre économie. 11 % du PIB, 12 millions d’emplois. Et des recettes fiscales. La chute des transactions a privé les départements de précieux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ces taxes versées au moment où un bien change de mains. La Cour des comptes, dans son rapport sur les finances locales publié le 22 juillet, a chiffré à plus de 22 % la chute des DMTO en 2023, soit 4,5 milliards de ressources en moins.Les finances nationales, elles, voient s’évaporer des milliards d’euros de TVA immobilière, prélevée sur la vente des logements neufs. 4 milliards en 2024, selon le calcul de Pascal Boulanger. Le manque à gagner pourrait même être deux fois plus lourd, estime le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), si l’on tient compte de toutes ces professions dont le chiffre d’affaires – donc la TVA reversée – dépend des nouvelles constructions : déménageurs, décorateurs, vendeurs d’électroménager, etc. Et ce n’est pas faute d’avoir prévenu Bruno Le Maire. Quand Pascal Boulanger entend le ministre démissionnaire s’étonner des faibles recettes de TVA, il s’étrangle, lui qui tire la sonnette d’alarme depuis plus d’un an. L’immobilier a ses Cassandre. »Comme disait Coluche, Bercy a joué au ‘qui perd, perd’, regrette Pascal Boulanger, toujours incrédule, et qui voit arriver d’ici cinq mois la fin du dispositif fiscal Pinel, alors que les investisseurs ont déjà largement déserté le marché. Locataires, propriétaires, professionnels de l’immobilier, Etat… De fait, il n’y a que des perdants. » Charge aux prochains gouvernants de reprendre le dossier ? Si le logement était le grand absent des campagnes électorales de 2022, les partis politiques tentent de se réapproprier le sujet depuis cet été. Le président de la FPI veut y voir un signe d’espoir.



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Author : Muriel Breiman

Publish date : 2024-08-06 06:30:00

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