Un projet contrarié de visite d’Etat vaut bien quelque fastueux rattrapage. La mission était rude : dissiper le souvenir très embarrassant de l’annulation, six mois plus tôt, de la toute première visite du souverain Charles III. « On s’était vraiment ridiculisés ! », peste encore aujourd’hui un invité de marque. Mais, il faut le dire, en cette fin d’été 2023, l’Elysée a glissé les petits plats dans les grands.Au château de Versailles, voilà dressée une longue tablée de 62 mètres dans l’éblouissante galerie des Glaces. Une référence, selon la communication officielle, à la première visite d’Etat d’Elizabeth II en tant que monarque en 1957 – entre tradition et modernité, elle avait dû se contenter d’un déjeuner, faute d’électricité dans ce lieu historique. « Le président de la République renoue avec l’idée gaullienne d’utiliser les lieux où l’histoire de France s’est faite », explique l’historien Fabien Oppermann. Nous sommes le mercredi 20 septembre 2023 et, sous les voûtes peintes par Charles Le Brun, plus de 160 invités de prestige – une moitié de Français et l’autre de Britanniques – arrivent au compte-gouttes. Smoking de rigueur pour les hommes, robe de soirée pour les femmes.Les conjoints des ministres ne sont pas conviésDans les hautes sphères de l’Etat, très peu ont pourtant eu la chance de recevoir leur carton d’invitation. Dans les cars affrétés conduisant les convives au château, seuls quelques parlementaires. Côté gouvernement, Elisabeth Borne, Gérald Darmanin, Laurence Boone, Rima Abdul Malak ou Sébastien Lecornu ont pris part aux agapes. Les conjoints ne sont pas conviés ? Bruno Le Maire n’apprécie pas, murmure-t-on au gouvernement, alors il séchera l’événement. Alexis Kohler vient, lui, avec son épouse ; après tout, il n’est pas ministre. Coup de fil courroucé d’un autre éminent ministre à l’Elysée exigeant d’avoir droit au même privilège. Où se niche le pouvoir…Et ces invitations : une histoire de portefeuille ? Le fait du prince ? Une membre du gouvernement – qui n’a pas reçu le précieux carton – s’essaye à une explication. « Les Affaires étrangères, le protocole et les portefeuilles dirigent la manœuvre. C’est rare que le président valide ligne à ligne une liste d’invités. En revanche, certains ministres peuvent revendiquer d’être là directement auprès de lui, et celui-ci peut céder. » Voilà de quoi crâner un tout petit peu, au conseil des ministres précédant le banquet…Et la politique, dans tout ça ? Versailles n’est plus la capitale du royaume mais, contrairement à François de Mazières, maire (divers droite), l’édile socialiste de la Ville lumière n’a pas été invité. « Avec Chirac ou Sarkozy, le protocole était respecté et le maire de Paris était invité aux dîners d’Etat », grince Anne Hidalgo auprès des siens.Gérard Larcher discute avec Mick JaggerPour les chanceux, il faudra patienter une grosse heure avant d’entrevoir les époux Windsor et Macron. Ensemble, ils assistaient dans la chapelle royale à un petit concert, une Chaconne de Bach délicatement interprétée par le jeune violoniste suédois Daniel Lozakovich. Dans la galerie des Glaces, et son éclairage façon Barry Lyndon, selon un présent, place au cocktail de bienvenue. Et à ces quelques rencontres inattendues. Ici, le président du Sénat Gérard Larcher conversant avec la star des Rolling Stones Mick Jagger. Là, cette ancienne ministre attendant que ce dernier soit libre pour un selfie, hésitant à faire de même avec le « charmant » Hugh Grant, avant d’abandonner l’idée – « Ça faisait un peu trop midinette… » »Malgré la majesté du lieu, il y avait un côté assez bon enfant », confie un membre du gouvernement. L’heure passe, on commence non sans difficultés à chercher sa place, quelque part dans les deux rangées de 86 couverts. « Ce qui nous intéressait, c’était de voir la Bête ! », confie un parlementaire. Non pas le homard bleu ni la volaille de Bresse marinée, minutieusement concoctés pas les plus grands chefs français, mais bien le souverain Charles III.Vers 21h30, le voici qui surgit, accompagné de Camilla, reine consort, et du couple présidentiel. La table est trop longue, certains ne le reverront plus. Alors, durant le dîner se poursuivent les rencontres surprenantes. Pas question de parler de poloche ! A la gauche d’une ministre, le plus british des entraîneurs français, Arsène Wenger, lui explique son expérience du coaching. De l’autre côté de la table, un parlementaire tente d’égayer – avec un certain succès – son voisinage, un industriel français, une présidente d’ONG et l’ambassadrice britannique. « Un moment hors du temps politique », décrit un ministre. Le prix de la concorde : 474 851 euros, selon la Cour des comptes.
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Author : Mattias Corrasco
Publish date : 2024-08-17 07:30:00
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