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Poutine et la bombe nucléaire : le risque d’apocalypse

Sur cette photo distribuée le 26 juillet 2024 par l'agence publique russe Sputnik, le président Vladimir Poutine visite le monastère de Valaam avec le président biélorusse, dans le nord de la Russie, le 25 juillet 2024. 2024.




La fin de la Guerre froide avait sorti de l’esprit des Européens le risque d’apocalypse posé par les armes nucléaires, qui avait longtemps fait partie de leur quotidien. Les menaces lancées par le président russe avec l’invasion de l’Ukraine l’ont réintroduit brutalement. Ce n’est pas le seul symptôme d’un basculement dans une nouvelle ère. La bipolarité russo-américaine est remise en cause par la Chine, dont l’arsenal ne cesse de s’accroître dans l’opacité. De nouvelles puissances « dotées » émergent : la Corée du Nord, déjà ; l’Iran si elle le décide, et d’autres États, demain, s’ils y voient la seule façon d’assurer leur survie. En 1964, le réalisateur Stanley Kubrick avait titré son film satirique Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe. Ce « fol amour » a repris le monde et complexifie le jeu des puissances.EPISODE 1 – Armes nucléaires, la surenchère : comment l’Ukraine a dû renoncer à sa bombeVoilà trois jours que les chars russes ont passé la frontière de l’Ukraine. Les combats font rage jusqu’en banlieue de Kiev. Dans une vidéo soigneusement mise en scène, diffusée ce 27 février 2022, Vladimir Poutine s’adresse à son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et à son chef d’état-major, Valeri Guerassimov, assis à quelques mètres. Visage impassible, le président leur « ordonne […] de mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ». « C’est compris », répond, de manière laconique, Choïgou, alors que le conflit européen le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale vient à peine de commencer.Diffusé sur les chaînes du monde entier, repris sur les réseaux sociaux, l’échange suscite l’effroi. Jusqu’où ira Poutine ? Au moment d’annoncer son « opération militaire spéciale » en Ukraine, il a promis à « quiconque tentera de nous gêner » une « réponse […] immédiate », qui « infligera des conséquences […] jamais connues ». Dans l’ombre, aux Etats-Unis, en France et au Royaume-Uni – trois puissances dotées de l’arme nucléaire –, les meilleurs spécialistes de la dissuasion, comme à leur habitude, décortiquent les dernières sorties poutiniennes, puis croisent leurs analyses.Pour diplomates et militaires chevronnés, cette rhétorique s’inscrit dans une stratégie d’intimidation et cherche à susciter de l’anxiété dans les opinions publiques occidentales. Elle ne signifie pas que la Russie compte franchir la ligne rouge. Les images satellites prises sur les sites où sont stockées les ogives nucléaires russes – dont Moscou sait qu’ils sont surveillés – les rassurent. Aucune activité suspecte n’y est détectée. « En fait, il n’y a pas de changements de la posture nucléaire russe, explique un ancien stratège des forces nucléaires françaises. Poutine, quand il parle, reste fidèle à sa doctrine. »Souffler le chaud puis le froidCelle-ci indique, dans un document publié en 2020, que les armes nucléaires russes pourraient être employées si des armes de destruction massive sont utilisées contre la Russie ou si « l’existence même de l’Etat » est menacée par une agression militaire. « Il ne peut y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et elle ne doit jamais être déclenchée », a ainsi répété le président russe en août 2022, avec l’objectif de passer pour un dirigeant responsable.Photo publiée par le ministère russe de la Défense, montrant le test de lancement d’un missile balistique intercontinental Sarmat depuis le cosmodrome de Plesetsk, en Russie, le 21 avril 2022.Souffler le chaud, puis le froid. Vladimir Poutine poursuit une logique de réaffirmation de la puissance nucléaire russe, montée d’un cran avec l’invasion de l’Ukraine. « Cette menace nucléaire, qui accompagne la poursuite des activités offensives russes, est le plus grand changement de ces trois dernières années », juge Rose Gottemoeller, l’ancienne sous-secrétaire américaine au contrôle des armements. Elle bride les Occidentaux dans leur aide à Kiev – il a fallu plus d’un an avant l’envoi de chars allemands, plus de deux pour des chasseurs F-16 – et les garde d’envoyer leurs soldats.Ceux-ci craignent le recours par la Russie à une arme « tactique », conçue pour des cibles à courte distance, sur un champ de bataille, et de moindre puissance que les ogives d’un missile intercontinental. Ce n’est pas qu’un fantasme. Des interceptions américaines ont révélé que cette utilisation a été débattue par les chefs militaires russes à l’automne 2022, selon le New York Times, quand leur armée était repoussée des régions ukrainiennes de Kharkiv et Kherson. L’action coordonnée de Washington, de la Chine, de l’Inde et de la Turquie sur les coûts d’une telle attaque aurait tué le projet dans l’œuf.De nouveaux missiles nucléairesL’agressivité nucléaire russe se retrouve également dans sa façon de communiquer sur les moyens destructeurs à sa disposition. La Russie poursuit la modernisation des composantes maritimes et terrestres de sa dissuasion. Elle arme chaque année de nouveaux sous-marins lanceurs d’engins, tandis que son dernier missile intercontinental, le Sarmat – SS-X-30, selon la terminologie de l’Otan – a été mis en service à l’été 2023.Ses dirigeants se targuent également de développer des missiles hypersoniques, capables de rebondir sur certaines couches de l’atmosphère comme l’Avanguard, et même des torpilles nucléaires. Les Etats-Unis se sont ainsi publiquement inquiétés du développement d’une arme nucléaire spatiale à capacité antisatellite, qui violerait le Traité sur l’espace de 1967. « La Russie en revient à une logique de diversification de ses armes, comme du temps de la guerre froide », pointe Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire à l’Institut français des relations internationales.Quelques semaines après l’annexion de la Crimée, le président Barack Obama avait qualifié la Russie de « puissance régionale qui met en difficulté ses voisins non du fait de sa force, mais de sa faiblesse ». Ce déni de statut de grande puissance a été ressenti comme un affront par Poutine. « Personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter », a-t-il répondu, quatre ans plus tard, en présentant lui-même ses nouvelles armes nucléaires « invincibles ». Avant d’ajouter, sèchement : « Ecoutez maintenant. » Aujourd’hui, le président russe a obtenu ce qu’il voulait.



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Author : Clément Daniez

Publish date : 2024-09-01 06:00:00

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