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Amazon enterre le télétravail : « On peut s’attendre à voir partir les employés les plus performants »

Le géant américain de la vente en ligne Amazon compte plus de 181 millions d'utilisateurs réguliers dans l'Union européenne, dont près de 35 millions en France




Le télétravail, c’est bientôt fini. Du moins chez Amazon. Après avoir déjà exigé en février 2023 une présence de trois jours par semaine, le PDG Andy Jassy a annoncé ce 16 septembre aux employés du géant de la technologie qu’ils ne seraient plus autorisés à travailler à distance. Ce retour à temps plein au bureau, prévu pour le 2 janvier 2025, vise, selon la firme, à ce que les employés soient « mieux préparés à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ». La mesure, qui ne concerne que les services administratifs d’Amazon et ses quelque 300 000 employés, a été largement commentée aux Etats-Unis. Mais également de ce côté-ci de l’Atlantique, où certaines entreprises sont, elles aussi, tentées de revenir, au moins en partie, sur le télétravail. Si vous faites partie de ceux qui s’inquiètent d’un retour au bureau généralisé dans les années à venir, soyez rassurés, Prithwiraj Choudhury, professeur à la Harvard Business School et spécialiste du travail à distance et de ses effets sur la productivité, en est convaincu : le télétravail est parti pour durer : « Le monde n’est pas prêt à revenir en 2019. » Entretien.L’Express : Avez-vous été surpris par l’annonce d’Andy Jassy ?Prithwiraj Choudhury : Je n’ai pas été surpris parce que je suis un universitaire et non un journaliste (rires). J’aborde toujours ce genre d’information comme une donnée parmi d’autres. Car à côté de la décision d’Amazon de revenir sur le télétravail, on voit aussi des grandes entreprises comme Dropbox ou Glassdoor doubler la mise en matière de travail à distance et fermer leurs derniers bureaux aux Etats-Unis. Ou encore, dernièrement, le nouveau PDG de Starbucks Brian Niccol qui a obtenu le droit de travailler depuis la Californie, où il vit, alors que le siège de l’entreprise se trouve à Seattle. Ainsi, lorsqu’on lit la presse, on voit des choses qui vont dans les deux sens en matière de télétravail. Face à cela, ma démarche consiste à rester prudent et à tenter de comprendre pourquoi la tendance évolue dans une direction donnée. En l’espèce, cela fait dix ans que j’étudie de près la question du télétravail. Et laissez-moi vous dire une chose : le monde ne reviendra pas en arrière.Dans un article paru dans le Wall Street Journal, vous avez qualifié l’annonce d’Andy Jassy de « leadership régressif ». Pourquoi ?Pour la simple et bonne raison que le monde a évolué. Depuis la pandémie, nous avons tous découvert le travail hybride. Les normes et les pratiques de travail ont changé. Cela fait cinq ans que nous pratiquons le travail hybride de manière stable. Et il est devenu très populaire. Je ne pense donc pas que la logique soit de revenir en 2019. Nous devrions au contraire aller de l’avant et tenter d’améliorer encore le travail hybride qui, pour les entreprises, est aussi un moyen d’attirer les talents. Ainsi, dans l’ancien monde, si une entreprise était installée à Paris, elle avait besoin que tous ses employés vivent dans la région parisienne. Avec le travail hybride, vous pouvez recruter des employés basés à Lyon, Nice ou dans d’autres régions de France et même peut-être à Londres, et ne réunir les équipes en présentiel qu’une fois par mois si vous le décidez. En outre, du point de vue de la diversité, en raison de la flexibilité qu’il permet, le travail hybride est un avantage pour les mères de famille.La définition même du bureau est en train de changerSelon le professeur d’économie Nicholas Bloom, une telle décision entraînera nécessairement un bond des démissions chez Amazon…Je suis d’accord. Certains de leurs meilleurs employés finiront par partir. Ils seront débauchés par d’autres concurrents prêts à leur offrir des pratiques de travail plus flexibles. Après cette annonce, on peut s’attendre à deux autres choses. D’une part, la mise en œuvre de cette décision sur le terrain s’annonce chaotique. Amazon a laissé la porte ouverte en disant qu’il y aurait des exceptions. Et il n’est pas impossible que les exceptions deviennent la règle. La deuxième chose, c’est le respect des règles. Lorsque vous dites à vos employés qu’ils doivent venir au bureau cinq jours, comment contrôlez-vous cela ? Et quelle est la conséquence si je viens seulement trois jours ? Allez-vous me licencier ? Ce n’est pas clair.Pourquoi certaines entreprises du monde de la tech notamment, font-elles, selon vous, marche arrière sur le télétravail ? Amazon a justifié sa décision en expliquant que lorsque les salariés sont sur place, « les équipes ont tendance à être mieux connectées les unes aux autres ».Amazon est certes une grande entreprise, mais ce n’est qu’une entreprise parmi d’autres. Nous vivons dans un monde dans lequel le travail hybride est fermement et durablement ancré. J’ai regardé de près plusieurs sources de données issues notamment du Bureau des statistiques du travail ou encore de l’équipe de recherche de Stanford qui elle-même a collecté de la data à l’échelle mondiale de Flex Index (une base de données sur les politiques de travail flexible, NDLR). Que nous apprennent-elles ? Au cours des 20 derniers mois, le pourcentage de jours travaillés à distance est d’environ 30 %. C’est un chiffre très stable. Cela me fait dire que les entreprises vont continuer à utiliser le travail hybride. Parce que les employés veulent de la flexibilité et que les managers ont déjà intégré ce besoin. La principale question qui se pose désormais, c’est de savoir comment le rendre plus efficace.Comment s’y prendre ?Il y a des bonnes et des moins bonnes versions du travail hybride. Par exemple, partons de l’hypothèse que vous et moi faisons partie de la même équipe et que l’entreprise impose de travailler en présentiel deux jours. Or, vous et moi choisissons deux jours différents pour venir au bureau. Vous venez le lundi et le mardi et pour ma part je viens le jeudi et le vendredi. Cela signifie que nous ne nous verrons jamais. L’objectif de ces deux jours au bureau fixé par la direction est ainsi réduit à néant. Donc, si vous vous rendez au bureau mais qu’aucun de vos collaborateurs directs n’est là, ce n’est absolument pas utile. La solution à ce problème, et que je défends depuis longtemps, c’est de laisser les équipes décider. Pas l’entreprise. C’est à chaque équipe de se mettre d’accord pour savoir quand et où se réunir. Et les traditionnels bureaux de centre-ville ne sont qu’un endroit parmi d’autres où les équipes peuvent se retrouver. Car la définition même du bureau est en train de changer.Comment ça ?Imaginons qu’une équipe se rende à une conférence ensemble. Elle peut très bien rester un ou deux jours de plus sur place et y organiser des réunions. Vous pouvez aussi, si cela convient à vos collègues, vous retrouver en banlieue plutôt que de vous rendre à tout prix en ville et faire la navette pendant une heure. La meilleure solution en matière de travail hybride, c’est que l’entreprise fasse des recommandations, et de laisser l’équipe décider ensuite du lieu et de la bonne fréquence. Devons-nous nous réunir toutes les semaines, tous les quinze jours, tous les mois ou tous les trimestres ? Comme je vous le disais, le plus crucial pour tisser des liens professionnels forts, c’est que ces jours-là, toute l’équipe soit présente.D’après la recherche, y a-t-il un modèle parfait de travail hybride ?Mes recherches ont montré que 25 % du temps devrait être en présentiel. Mais ces 25 % peuvent se traduire différemment selon les équipes. Pour certaines, cela pourrait signifier un jour par semaine. Cela peut aussi vouloir dire deux jours. Et il n’est pas nécessaire que ces 25 % aient lieu chaque semaine. Il peut s’agir de deux jours tous les quinze jours ou encore une semaine entière par mois. 25 %, c’est simplement la solution optimale. Je ne pense pas, par ailleurs, que le travail à distance à 100 % soit bon.Constatez-vous une différence de tendances entre les Etats-Unis et l’Europe ?Dans le monde entier, les salariés considèrent la flexibilité comme le deuxième critère d’attractivité pour un emploi, après le salaire. Ils sont même prêts à renoncer à 5 à 7 % de leur rémunération pour avoir la possibilité de travailler à distance ou de manière hybride. Il s’agit d’un phénomène mondial. Je ne pense pas qu’il y ait d’exception.



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Author : Laurent Berbon

Publish date : 2024-09-22 07:30:00

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