L’Express

SOS Racisme fait son bilan à 40 ans : « Franchement, qu’a-t-on fait de mal ? »

Le logo "Touche pas à mon pote" de SOS Racisme lors d'une manifestation à Paris, le 11 octobre 2015, en mémoire à la centaine de victimes d'un attentat-suicide à Ankara la veille




SOS Racisme a fêté ses 40 ans le 15 octobre dernier… dans l’indifférence générale. Pas un entrefilet dans les journaux ni même un communiqué de presse de l’association qui s’est contentée d’un post Facebook reprenant des archives de l’INA. Quelques jours plus tard, les militants devaient se retrouver à Dourdan, dans l’Essonne, pour leur université d’automne annuelle. Là encore, pas vraiment de retour vers le passé prévu. « Les événements grand public auront lieu au printemps prochain dans le cadre de l’anniversaire du concert de la Concorde », précise Dominique Sopo, aujourd’hui à la tête de SOS Racisme. Une discrétion étonnante de la part d’un mouvement qui révolutionna la lutte contre le racisme en ralliant à sa cause une bonne partie de la jeunesse des années 1980-1990. Avant de revenir à un relatif anonymat.La plupart des adolescents ignorent désormais l’histoire de cette aventure ; leur faire remarquer que le titre de l’émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste, est un pastiche de « Touche pas à mon pote », le slogan historique de « SOS », c’est prendre le risque d’affronter une kyrielle de regards interloqués. Et pourtant. Au milieu des années 1980, les badges en forme de main, édités en jaune et dans bien d’autres couleurs, s’arrachent ; le concert gigantesque de la Concorde attire entre 200 000 et 500 000 personnes, le 15 juin 1985 ; Coluche, Daniel Balavoine ou Simone Signoret se rallient ; Harlem Désir participe, le 19 août 1987, à l’émission L’Heure de vérité – sous le regard attentif de son ami et complice Julien Dray présent dans le public. Ses formules font mouche et lui attirent la sympathie de la majorité des téléspectateurs. Ces jeunes gens, parmi lesquels d’anciens trotskistes, des militants de la Ligue communiste révolutionnaire, de la jeunesse socialiste ou du syndicat Unef, incarnent la gauche de demain, dans sa diversité. « Le contexte de l’époque est celui de la montée du Front national qui obtient pour la première fois plus de 10 % des suffrages aux européennes mais aussi la succession de crimes racistes et un retour en force du discours anti-immigrés très dur qui a un écho dans un contexte de crise sociale, de chômage et d’une dégradation de la situation dans un certain nombre de banlieues », rembobine aujourd’hui Harlem Désir.Dès ces grandes années, « SOS » est critiqué. Le Quotidien de Paris, journal ancré à droite, traque ses proximités avec le Parti socialiste, qualifie Désir de « sous-marin » socialiste, dénonce le « ticket » entre l’association et François Mitterrand pendant la campagne présidentielle de 1988. « Mitterrand a vite compris l’intérêt qu’il pouvait avoir à soutenir cette bande de jeunes militants. Nous-mêmes, nous avons été séduits par le personnage qui nous prenait un peu sous son aile tout en nous laissant développer nos propres thèmes », se souvient Harlem Désir pour qui la cohabitation inédite de 1986 à 1988 justifiera la nécessité de faire bloc pour peser sur des sujets aussi brûlants que les débats sur la réforme du code de la nationalité ou le durcissement de la politique d’immigration sous l’ère Pasqua, alors ministre de l’Intérieur. »Franchement, qu’a-t-on fait de mal ? »L’organisation est surtout accusée de jouer contre son camp, en troquant le combat social de la gauche pour des luttes « sociétales » secondaires. « Tout le monde nous est tombé dessus, à droite comme à gauche ! » résume Malek Boutih, vice-président de 1985 à 1992 puis président de 1999 à 2003. « On s’en est pris à un mouvement qui prônait l’égalité et défendait des valeurs positives, qui œuvrait pour le rapprochement de toutes les communautés, qui avait pour armes la musique et la culture. Franchement, qu’a-t-on fait de mal ? » s’interroge-t-il auprès de L’Express.L’une des plus grandes charges est menée par le sociologue Paul Yonnet. Dans son ouvrage Voyage au centre du malaise français. L’antiracisme et le roman national, publié en 1993, il accuse SOS Racisme d’être à l’origine des tensions identitaires. L’intellectuel y dénonce l’abandon, par la gauche, de « la lutte des classes au profit de la lutte des races ». Pour le philosophe Marcel Gauchet qui signe la préface du livre, réédité en 2022, « le problème à l’époque n’était pas le racisme ». « La question était plutôt de savoir comment on allait réussir à intégrer cette population d’immigrés venant d’une culture souvent éloignée de la nôtre. Au lieu de chercher à atténuer les différences, on les a au contraire cultivées et encouragées, créant ainsi des fractures dans la société », explique-t-il. Avant de conclure : « Je ne doute pas que les intentions des fondateurs de SOS Racisme étaient pures. Mais je les comparerais à des apprentis sorciers qui ont manipulé des explosifs dans le noir sans se douter des conséquences à venir. » De fait, le Front national, devenu Rassemblement national, n’aura de cesse de grignoter du terrain par la suite.Un faux procès pour les anciens militants de SOS Racisme. Eric Benzekri, l’auteur des séries Baron Noir et La Fièvre, revendique son adhésion au mouvement « Touche pas à mon pote » au début des années 1990 et s’insurge contre ces adversaires qui s’échinent à tordre leur message initial. « SOS ne menait pas un combat pour la différenciation mais pour l’égalité à l’intérieur de la République. Car comment peut-il y avoir de République digne de ce nom s’il n’y a pas d’égalité ? » insiste-t-il, arguant que c’est ainsi que l’on œuvre à l’unité d’un pays. « Sachant que la notion d’unité est différente de celle d’uniformité », précise le scénariste. Selon lui, l’esprit du « Front républicain », alliance entre la droite et la gauche visant à faire barrage au FN de l’époque, serait aussi un héritage de SOS Racisme. « L’importance de créer cette sorte de cordon sanitaire a matricé cette génération qui a aujourd’hui 50 ans et plus et qui a gardé ce réflexe salutaire. Les dernières élections européennes nous l’ont une nouvelle fois prouvé », poursuit Eric Benzekri. Ce que Malek Boutih résume en une formule : « Si le badge ‘Touche pas à mon pote’ n’est plus au revers de la veste de ces anciens collégiens, lycéens et jeunes travailleurs, les valeurs auxquelles ils adhéraient autrefois sont toujours présentes. »L’émergence d’un nouvel antiracismeLes anciens militants affirment avoir perçu les dangers de la tentation du communautarisme dès les débuts du mouvement, créé dans le sillage de la grande Marche pour l’égalité et contre le racisme – surnommée la « Marche des Beurs » – de 1983. A l’époque, « SOS » est suspecté de récupérer cette première grande mobilisation nationale née après des affrontements entre des jeunes et la police, à Vénissieux (Rhône). Le fait que SOS s’allie à l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) pour combattre à la fois le racisme et l’antisémitisme suscite également des crispations. « Mais c’est ce côté inclusif, fédérateur et républicain qui faisait justement la magie de ce mouvement », s’enthousiasme Eric Ghebali, qui cumulait alors les fonctions de secrétaire général de SOS Racisme et de président de l’UEJF. « Déjà, ceux qui avaient une approche différente de la nôtre manifestaient le besoin de hiérarchiser les luttes. De même, affleurait cette idée que seules les victimes de racisme elles-mêmes étaient légitimes pour mener ce combat », rappelle Harlem Désir qui a tout de suite senti les limites du modèle anglo-saxon. « L’Histoire nous a donné raison, on voit ce que ça donne aujourd’hui », tranche le fondateur de SOS, qui reconnaît toutefois des erreurs de parcours.Comme l’ambiguïté de son positionnement au moment où éclate l’affaire de Creil en 1989. Pour l’association, l’exclusion des trois collégiennes qui refusent d’enlever leur voile dans l’enceinte de ce collège de l’Oise ne paraît pas justifiée. « On ne voulait pas tomber dans la stigmatisation ni en faire une affaire d’Etat. Et puis on pensait que l’affaire allait s’éteindre d’elle-même », se souvient Eric Ghebali. Lors d’une tournée à Moscou, à Erevan et à Bakou, à des milliers de kilomètres de là, les responsables d’alors découvrent ébahis que la polémique fait la Une du Monde et que des intellectuels comme Elisabeth Badinter, Régis Debray ou Alain Finkielkraut lancent un appel enflammé, accusant le gouvernement de « capituler ». « Là, on s’est dit qu’on avait raté quelque chose », lâche Eric Ghebali. La guerre du Golfe marquera un vrai tournant. « Le fait que SOS ne soutienne pas l’intervention en Irak a créé un véritable pataquès avec nos parrains et marraines [NDLR : surnoms attribués aux soutiens et donateurs] qui nous ont reproché de ne pas les avoir consultés », se souvient Patricia Philippe qui s’occupait de l’organisation des concerts. « Nous n’aurions pas dû nous mêler de géopolitique, ce n’était pas notre rôle », regrette encore Harlem Désir.Comme d’autres membres fondateurs, ce dernier se lance à l’aube des années 2000 dans une carrière politique. Dans les banlieues, les anciens « potes » perdent progressivement du terrain au profit d’autres influences ; l’intégrisme religieux et le trafic de drogue s’y ancrent. « On nous a tout mis sur le dos alors que tout cela n’est pas la faute de SOS ! » s’insurge l’ancien député PS Julien Dray. « La vérité est que ce sont les politiques économiques et sociales menées par les gouvernements ultérieurs, de gauche comme de droite, qui ont accentué la fracture sociale, la ghettoïsation, la marginalisation et donc développé ainsi une forme de séparatisme », poursuit l’ancien député, prenant notamment pour exemple une politique de la ville qu’il qualifie d’ »ubuesque ».Le paysage de l’antiracisme bouge lui aussi. Une nouvelle génération de militants émerge, moins sensible au discours de la fraternité résumé par « Touche pas à mon pote ». Ce nouvel antiracisme se revendique volontiers « politique », façon de critiquer, en creux, la mollesse des associations en place. Houria Bouteldja, fondatrice du Parti des indigènes de la République en 2005 et maître à penser de cette mouvance, qualifie plusieurs fois « SOS » d’association « inféodée, voire ultraréactionnaire ». En cause, son refus de s’engager dans la dénonciation d’un racisme qui serait « systémique », organisé par l’Etat lui-même. Ce lexique du « décolonialisme », du « racisme d’Etat », du « privilège blanc », des « ateliers en non-mixité raciale » s’inscrit contre le discours universaliste de SOS Racisme.L’actuel président Dominique Sopo défend, lui, les opérations de « testing » dans les secteurs de l’emploi ou du logement, ou les poursuites menées contre des propos racistes tenues par certaines personnalités. « Nos deux grands « clients » si je puis dire étant Alain Soral ou Dieudonné », précise-t-il. Il concède toutefois le manque de visibilité de l’association sur les réseaux sociaux. Et le lointain successeur d’Harlem Désir de reconnaître : « Si on veut toucher la jeunesse, il faut se mettre à la page sur la façon dont on communique auprès d’elle. » En commençant par fêter ses anniversaires ?



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2024-10-19 06:00:00

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