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« Dans l’ombre », d’après Edouard Philippe : pourquoi les coulisses du pouvoir fascinent tant les scénaristes

La série "Dans l'ombre", d'après Edouard Philippe




« J’ai compris que j’allais te perdre, que tu ne seras plus le Paul que j’ai connu. Je sais que tu vas m’échapper. » César Casalonga (Swann Arlaud), fidèle collaborateur de Paul Francœur (Melvil Poupaud) – candidat de droite d’une fictive élection présidentielle en 2025 – compte les jours avant de perdre l’oreille de son patron. Le spin doctor, fin tacticien lucide et distant, ne le sait que trop bien : la conquête du pouvoir est une chose bien différente à son exercice. Pour la campagne, « ce guerrier qui sert un maître », tantôt « mécanicien », tantôt « organisateur », assumant la part de cynisme inhérente à ses fonctions, est un rouage essentiel à l’espoir d’une victoire. D’autant plus quand une rumeur de fraude lors de la primaire du parti de droite (dont on ignore à qui elle a profité) menace d’affaiblir la candidature de son patron.Après avoir exploré les arcanes des cabinets ministériels avec L’Exercice de l’Etat (2011), Pierre Schoeller présente ici sa première série politique. Dans l’ombre* – déjà disponible sur la plateforme de France Télévisions avant la diffusion des six épisodes à partir du 30 octobre sur France 2 – est le récit d’une présidentielle haletante, librement inspirée du roman éponyme d’Edouard Philippe et de son fidèle Gilles Boyer. Un thriller filmé depuis les coulisses d’une campagne, dévoilant la mise en branle des « entourages » politiques, composé entre autres de Marylin (Evelyne Brochu), la conseillère en communication, et du jeune aspirant conseiller « Caligny » (Baptiste Carrion-Weiss). »Entre Laurent de Médicis et Nicolas Machiavel… »Le parti pris traduit cette « tendance à accorder plus d’importance aux jeux qu’aux enjeux politiques, à l’officieux plutôt qu’à l’officiel », explique le politologue Rémi Lefebvre, coauteur de Séries politiques. Le pouvoir entre fiction et vérité (De Boeck Supérieur, 2020). « C’est l’idée que les personnes les plus en vue ne sont pas forcément les plus influentes : c’est une posture de dévoilement », conclut-il. Une fascination ancienne pour les jeux de pouvoir invisibles au grand public et les éminences grises. « Entre Laurent de Médicis et Nicolas Machiavel, c’est souvent le second que l’on retient », constate Gaspard Gantzer, l’ancien conseiller élyséen de François Hollande.Cette série, où la compétition politique est appréhendée à travers le regard des entourages, a une vertu pédagogique. Elle tente une traduction des non-dits du langage politique, nourris de l’expérience de Philippe et de Boyer (parfois présents sur les tournages). On se rappellera que la spontanéité est une donnée inexistante de la matière. Qu’à les examiner au peigne fin, chaque déclaration publique (même celle en apparence anodine provenant d’un allié objectif), peut être truffée de coups bas. Qu’obtenir un soutien, y compris au sein d’une même formation, est le produit d’intenses négociations. A l’instar de Marie-France Trémeau (Karin Viard) candidate malheureuse à la primaire de la droite, et son spin doctor, « Texier » (Sofian Khammes), sans scrupule à imposer leurs vues programmatiques à Paul Francœur et à son équipe. »La fiction représente tous ces moments en dehors de l’apparition publique d’un responsable. Lorsque l’on est extérieur à tout cela, on passe à côté de 95 % de la politique », analyse pour L’Express Arthur Delaporte, député socialiste. « Celle qui se joue dans les couloirs, dans les arrière-salles des restaurants, toutes ces arènes moins visibles », poursuit celui qui est également chercheur, auteur en 2020 d’un article sur « L’apparition des entourages des parlementaires dans les séries télévisées », dans la Revue française de droit constitutionnel. »Beaucoup de mes jeunes camarades députés se croient dans Baron noir »Plus généralement, Dans l’ombre allonge la liste des séries racontant la politique de l’intérieur. Un genre bien en vue ces dernières années depuis le succès d’A la Maison-Blanche, œuvre américaine multirécompensée ; ou encore de la série danoise à succès Borgen, narrant l’ascension d’une centriste à la primature de son pays, sur fond d’intrigues et de coups bas. En France, les retentissements de Baron noir, ou plus récemment de La Fièvre – deux réalisations signées Eric Benzekri – peuvent relever de la bizarrerie, alors que s’accentue la rupture entre les citoyens et leur classe politique. « Les gens sont déçus de la politique réelle, peut-être ont-ils besoin de fiction pour la réenchanter », observe Gaspard Gantzer.Mais le prisme des coulisses présente le risque de confiner l’image de la politique à un théâtre d’ombres. « Cela peut accentuer l’idée que le public doit se faire du côté ‘sale’ de la politique », dit Stéphane Juvigny, ancien conseiller ministériel et auteur du livre Esthétique de la trahison (Fayard, 2023). D’autant qu’un parlementaire socialiste observe ce mimétisme entre fiction et réalité : « Ces séries ont eu une influence sur le réel : beaucoup de mes jeunes camarades députés se croient dans Baron noir. » Quitte à devenir d’étonnantes sources de motivation… « Après avoir visionné les trois saisons de la série Borgen qui présente l’évolution en politique d’une femme forte et indépendante, c’est la révélation, le déclic politique », écrit sur son site personnel la macroniste Olga Givernet, députée devenue ministre.De leur côté, Gilles Boyer et Edouard Philippe ne demandent qu’à être considérés comme des scénaristes, cerveaux d’un univers « non réel mais vraisemblable ». La barbe bicolore, le candidat est certes ambivalent, mais avant tout érudit, nuancé… et de centre-droit. De ceux qui détestent « crier avec les loups », déplorant la mauvaise qualité du débat public – à l’instar de l’ancien Premier ministre et candidat à la prochaine présidentielle lors du dernier colloque de L’Express… Curieuse mise en abyme ? Bien sûr que non… Dans cette fiction, le challenger est celui d’un parti de droite, toujours hégémonique sur son flanc – que l’auteur du roman éponyme a, dans le réel, directement contribué à affaiblir.* Dans l’ombre, diffusée sur France 2 le 30 octobre, déjà disponible sur la plateforme France.tv.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2024-10-29 16:00:00

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