L’Express

Inondations en Espagne : ces leçons que la France peut tirer de la catastrophe

VALENCIA, ESPAGNE - 4 NOVEMBRE : Vue de la destruction suite aux inondations meurtrières à Valence, Espagne, le 4 novembre 2024.




Les données sur les reliefs, les quantités de pluies et le nombre de victimes des crues ces dernières décennies ne sauraient mentir. L’Espagne a davantage souffert que la France en matière d’inondations à caractère exceptionnel. « Historiquement, le nombre de victimes de crues est plus important en Espagne qu’en France. Et même si le drame de ces derniers jours a fait de nombreuses victimes, les inondations de 2024 ont eu des précédents de l’autre côté des Pyrénées, confirme l’hydrologue Eric Gaume, directeur du département de géosciences de l’université Gustave-Eiffel à Nantes. 815 morts à Barcelone le 25 septembre 1962, 300 morts en Andalousie le 19 octobre 1973… A titre de comparaison, la grande crue de 1940 dans les Pyrénées-Orientales a fait 43 victimes et environ 90 côté espagnol, alors que l’épicentre des pluies était situé en France. La crue de l’Aude, en 1999, a fait 26 victimes ; celle du Gard, en 2002, 22 victimes ; celle du Var en 2010, 26 victimes ; et enfin celle de Nîmes, en 1988, 9 victimes ».L’Espagne n’a pourtant pas le monopole des épisodes les plus violents. Certaines crues européennes et singulièrement françaises (Nîmes en 1988, le Gard en 2002 ou encore l’Ardèche en 1958) ont généré des débits très proches voire supérieurs à celui qui a été observé dans la région de Valence. « Le nord-ouest de la Méditerranée, et particulièrement la région Cévennes-Vivarais, constitue un point chaud mondial pour les crues soudaines », rappelle le scientifique. Le sud de la France devra donc faire face à de nouveaux épisodes douloureux dans le futur. Et de manière tout aussi certaine, Paris aura droit à son inondation centennale. « Avec le changement climatique, n’importe quel petit cours d’eau peut être à l’origine d’inondations majeures « , résume Eric Gaume. Toute la question est de savoir comment s’y préparer.A Paris, des cartes précises nous montrent quels arrondissements seraient les plus touchés à la rue près, en cas d’une crue semblable à celle de 1910. Les autorités, et certains acteurs clés comme la RATP, s’y préparent depuis longtemps. Des bassins ont été aménagés en amont pour éponger une partie de la crue. De quoi réduire le niveau de l’eau de 15 à 50 cm en cas de très gros débordement. Dans le sud aussi, de nombreuses mesures ont été prises. A Cannes, de multiples aménagements ont été réalisés ces dernières années. Dans cette région particulièrement exposée, il devient de plus en plus courant de stopper certaines activités (écoles, transports) en cas d’événement météorologique de forte intensité.Malgré tout, les experts s’interrogent. Comment maintenir une forme de vigilance sur la durée, notamment au sein de la population ? « Celle-ci a sans doute, à tort, le sentiment d’être trop protégé », estime Antoine Poincaré, directeur de la Climate School d’AXA Climate.Dans la foulée des débordements de la Seine en 2016 et 2018, l’Université de Cergy avait sondé la population concernée. Une bonne moitié affirmait ne pas savoir qu’elle résidait en zone inondable.Les croyances dans l’efficacité du système météo semblent également déconnectées de la réalité. « Selon un sondage récent, 46 % des personnes interrogées nous disent qu’il est facile – voire très facile – de prévoir une crue. Un gros tiers nous dit même qu’il s’agit d’un phénomène facile à maîtriser », révèle Antoine Poincaré. Tout l’inverse de la réalité. Cette mauvaise perception du risque explique peut-être pourquoi, même en plein coeur d’une catastrophe, une partie de la population refuse toujours de quitter son lieu d’habitation.Un kit de survie peu déployé » Il y a manifestement un sujet de prévention. Il faudrait sensibiliser les citoyens aux bons comportements : se réfugier à l’étage, ne pas sortir de chez eux, ne pas rester dans sa voiture… », explique Antoine Poincaré. Beaucoup de Franciliens l’ignorent, mais ils devraient posséder en permanence chez eux un kit de survie contenant trois jours de nourriture et d’eau. « C’est écrit quelque part mais ce n’est pas vraiment incarné par les politiques de prévention locales. On peut faire un parallèle intéressant avec la Suisse, qui vient de lancer une campagne de communication sur le sujet et un site Internet sur lequel les citoyens peuvent entrer des renseignements utiles : nombre d’occupants du logement, âge des personnes, allergies éventuelles… En fonction du ‘temps de survie’ voulu (en nombre de jours), les familles reçoivent une liste de courses précise leur permettant de tenir jusqu’à l’arrivée des secours en cas de forte inondation », ajoute-t-il. »On ne pourra jamais garantir que tout va bien se passer, estime Eric Gaume. Néanmoins, l’impréparation peut coûter cher en vies humaines. Nous l’avons vu en Espagne où certains élus n’ont pas relayé les avertissements en temps et en heure et où de nombreuses personnes se sont retrouvées piégées dans leur véhicule ou dans un parking ». »Les solutions de long terme pour réduire les effets de ces événements dramatiques sont connues, explique Antoine Poincaré. Il faut mettre en place des stockages, désimperméabiliser les sols. Le hic ? Tout cela prend du temps, il s’agit d’investissements lourds. À court terme, en revanche, on peut vraiment agir sur la capacité de la population à évaluer le danger et agir en conséquence ». S’informer correctement, évacuer quand on le demande, accepter de stopper une partie de l’activité économique… « A l’avenir, nous verrons de plus en plus de comportements responsables de la part des acteurs publics, des entreprises et de la population », pense Antoine Poincaré. La catastrophe qui a eu lieu en Espagne nous invite en tout cas à remettre le sujet sur la table.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2024-11-10 10:06:22

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