L’Express

Nadia Schadlow, ex-conseillère de Donald Trump : « Ce n’est pas à lui de résoudre les problèmes de l’Europe »

Donald Trump, lors d'un meeting de campagne en Pennsylvanie, le 5 octobre 2024




Donald Trump et l’Europe, unehistoire tourmentée… Qui s’apprête à vivre son deuxième round. Depuis l’annonce de la victoire du candidat républicain à la présidentielle américaine, diplomates et commentateurs inquiets se pressent pour alerter sur les risques que le désormais 47e président des Etats-Unis pourrait faire peser sur l’Europe, notamment sur les États membres de l’Otan accusés par le milliardaire de ne pas investir suffisamment dans leur défense. De la finance à l’énergie, en passant par le commerce, sans oublier la protection de l’Europe face à la Russie de Vladimir Poutine, les points de tensions sont multiples.Pour comprendre ce que le nouveau président des Etats-Unis a en tête, L’Express a interrogé Nadia Schadlow, ex-conseillère adjointe à la Sécurité des Etats-Unis sous la première administration Trump (entre 2017 et 2018) et chercheuse principale au Hudson Institute, un think tank conservateur. Celle qui a été l’architecte de la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis de 2017, dont on a pu lire les analyses dans les magazines Foreign affairs ou The Economist, le martèle : « Les États-Unis ne sont pas les protecteurs de l’Europe : nous sommes des partenaires. Et Donald Trump veut que l’Europe soit un meilleur partenaire. » Car, assure-t-elle, « nous partageons plus d’intérêts que nous n’avons de divergences. » Même lorsque le président de la première puissance économique du monde promet d’augmenter la taxation des produits européens ? Même quand le chef du principal bailleur de fonds de l’Otan laisse entendre qu’il pourrait ne pas protéger un allié en cas d’attaque russe ? Et même lorsque, face à l’urgence climatique, le président du deuxième plus gros émetteur d’émissions de gaz à effet de serre a été le maître d’œuvre de la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris ? Entretien.L’Express : L’arrivée de Donald Trump à la MaisonBlanche pour un second mandat suscite d’importantes préoccupations quant aux conséquences pour l’Europe. Mais selon vous, nous ne devrions pas nous inquiéter… Expliquez-nous.Nadia Schadlow : Je commencerais par vous dire que je ne parle pas au nom de Donald Trump et de son administration. Mais il me semble important de remettre un peu de rationalité dans les discussions sur ce sujet, qui sont souvent très émotionnelles. On parle beaucoup de l’inquiétude que suscite l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche concernant ce qu’il va « faire » à l’Europe… Mais très peu de la façon dont celle-ci pourrait penser différemment les problèmes auxquels elle est confrontée. C’est regrettable, car Donald Trump va probablement travailler de manière bilatérale et au sein de petites coalitions de pays, il y aura donc des opportunités pour opérer des changements. Je pense que Donald Trump, par exemple, aura sans doute de bonnes relations à l’avenir avec Giorgia Meloni. Mais ce ne sont pas les approches bilatérales qui détermineront à elles seules l’avenir de l’Europe.Si l’Europe veut vraiment résoudre ses problèmes, elle devra les prendre à bras-le-corps. Pour ne prendre qu’un exemple : la plupart des pays européens ont identifié l’énergie et la décarbonation comme un défi majeur. L’Europe devra donc développer des politiques qui concilient croissance et décarbonation à long terme, ce qui impliquera probablement de se tourner davantage vers l’énergie nucléaire ou, à l’avenir, la fusion ou d’autres technologies. Les questions que l’Europe va devoir se poser sont difficiles : nombre d’entre elles ont été exposées dans le récent « rapport Draghi ».Comment l’Europe peut-elle stimuler l’innovation ? Comment réduit-elle les réglementations ? Comment l’Europe tient-elle compte des différences nationales au sein de l’UE ? Comment les États européens gèrent-ils les tensions permanentes générées par l’immigration clandestine ? Donald Trump ne peut pas résoudre ces problèmes à votre place. Mais ils peuvent constituer un point de départ pour des discussions avec lui.L’inquiétude touche notamment au futur et à la sécurité de nos démocraties européennes…L’Europedoit cesser de considérer l’électionde Donald Trump comme le signe d’un tournant autoritaire en Amérique. Les Américains ont voté contre le gauchisme progressiste du programme démocrate. Beaucoup d’idées et d’effets concrets de ce programme ont dérangé les Américains. Ils les ont rejetés. A partir de 2020, un nombre croissant de Latino-Américains et d’Afro-Américains ont voté pour Donald Trump. Les Américains qui ont voté pour lui se sont concentrés sur les questions qui ont un impact sur leurs communautés. Quiconque vit dans une zone urbaine américaine, par exemple, est très préoccupé par la criminalité. Je pense que beaucoup d’Européens ont besoin de comprendre les raisons plus larges pour lesquelles Donald Trump a gagné. Si vous regardez MSNBC – ou des médias équivalents comme le New York Times – pour comprendre pourquoi Donald Trump a été élu, vous n’essayez pas vraiment de comprendre quoi que ce soit.Les États-Unis ne sont pas les protecteurs de l’Europe : nous sommes des partenairesNadia SchadlowReste que Donald Trump inquiète. Notamment car là où, sous l’administration Biden, les Etats-Unis ont affiché un soutien total à Kiev, le nouveau président n’a jamais caché son aversion pour l’implication américaine, coûteuse, dans le conflit en Ukraine qui se trouve aux portes de l’Europe.Mais si les Européens sont préoccupés par la Russie, ils devraient être les premiers à répondre à cette question ! Ce ne sont pas nécessairement les Etats-Unis qui mènent la danse, Donald Trump au pouvoir ou pas. Les pays européens devront augmenter leurs dépenses de défense s’ils veulent assurer leur sécurité. Ça n’est pas auprésident américain de régler les problèmes de budgets européens et de dépenses de défense. Même ici, aux Etats-Unis, nous débattons de ces questions. Au sein même du parti républicain, l’augmentation des dépenses de défense fait l’objet d’une discussion. Tout comme le type d’armée que nous devrions construire, ses objectifs.Autant de questions que n’importe quel pays ou, en l’occurrence notre alliance, doit se poser. C’est un fait : si l’Europe veut tenir son rang, elle va devoir augmenter ses budgets de défense. Ou alors expliquer à Donald Trump pourquoi elle ne le fait pas, et pourquoi il devrait absorber ses problèmes. Dans ce dernier cas, la discussion sera désagréable. Les Américains rencontrent des problèmes similaires et sont sous pression à cause de l’explosion de leur dette. Aujourd’hui, Donald Trump considère que la relation avec l’Europe est déséquilibrée. L’une des questions clés de sa première administration était : « Pourquoi les Européens ne font-ils pas plus ? » Eh bien, il devra reposer cette question au nom du peuple américain, qui lui aussi veut comprendre la réponse. Les États-Unis ne sont pas les protecteurs de l’Europe : nous sommes des partenaires. Et Trump veut que l’Europe soit un meilleur partenaire.N’est-il pas paradoxal de vouloir de son « partenaire » qu’il renforce ses capacités de défense pour aller vers plus d’indépendance tout en lui fournissant une grande partie de son matériel militaire ?Donald Trump dit beaucoup de choses, mais il est clair que certaines sont des leviers de discussion. Est-ce important ? Il est clair que les Européens ont eux-mêmes des industries de défense auxquelles ils sont susceptibles d’acheter en priorité. Je pense que la question fondamentale est la suivante : quelle est la stratégie de l’Europe pour renforcer son industrie de défense ? L’ancien président finlandais Sauli Niinistö vient de publier un rapport dans lequel il explique que l’Europe devrait considérer la sécurité comme un bien public ! Il s’agit d’un changement important à bien des égards : il semble que pendant de nombreuses années, la plupart des Européens n’ont pas pensé de cette manière. C’est un sujet sur lequel l’Europe pourrait évidemment travailler avec les Etats-Unis.L’une des mesures phares prônées par Donald Trump, c’est l’instauration de droits de douane supplémentaires : 10 à 20 % sur tous les produits importés aux Etats-Unis et 60 % sur les produits chinois. Ce qui signifie potentiellement moins d’exportations européennes, donc de possibles suppressions de postes, des hausses de prix… N’est-ce pas objectivement contraire aux intérêts de l’Europe ?L’Europe doit défendre ses propres intérêts. Donald Trump, ceux des Américains. Son objectif est de ramener plus de produits manufacturés aux Etats-Unis, car il estime que les règles du jeu commerciales ne sont pas équitables pour notre pays. Tout comme l’UE a récemment pris des mesures contre le dumping pratiqué par la Chine, qui détruit l’industrie automobile européenne et a par exemple de graves effets négatifs sur celle de l’Allemagne. Les relations commerciales actuelles sont injustes. Nous assistons donc à des changements. Est-ce aux Etats-Unis de veiller sur l’Europe ? Voilà ce que je pense : les Européens peuvent s’asseoir à la table des négociations pour défendre leurs intérêts. Les Américains feront de même. L’Europe et l’Amérique sont des démocraties alliées et des partenaires de longue date. Et elles devraient l’être aujourd’hui. Car, soyons réalistes, nous partageons plus d’intérêts que nous n’avons de divergences. Au fond, je pense que l’Europe s’est parfois évertuée à mettre en avant tout ce qui lui déplaît chez Donald Trump, plutôt que ce que nous avons en commun. Je le répète : nous sommes confrontés à de nombreux problèmes communs. Travaillons ensemble sur ces derniers.Quels sont-ils ?Il y en a beaucoup ! L’innovation, le développement des talents. Nous sommes tous confrontés au défi d’avoir suffisamment de travailleurs pour réindustrialiser nos économies. Nous pouvons travailler ensemble à la création d’un système commercial plus équitable qui ne soit pas exploité par la Chine. Ou encore à élaborer des politiques climatiques rationnelles qui garantissent un air pur tout en permettant la croissance économique, sans en faire porter injustement la responsabilité aux pays pauvres. Sans compter nos capacités de défense, dont nous avons déjà parlé, afin que nos armées puissent opérer efficacement si elles sont appelées à le faire avec les moyens nécessaires.Vous avez évoqué la question environnementale. Mais un président qui s’est retiré de l’accord de Paris sur le climat en 2017, arguant que cela « désavantageait les Etats-Unis », ne devrait-il pas légitimement inquiéter l’Europe ?Le cadre de l’accord de Paris était en train d’échouer… Ça ne fonctionnait pas et imposait davantage de coûts aux Etats-Unis. Il incombe au président américain de veiller aux intérêts des Américains. L’approche de Donald Trump a eu l’avantage supplémentaire de mettre en lumière les problèmes de l’accord. L’Allemagne était extrêmement dépendante des combustibles fossiles en provenance de Russie. La Chine construisait des centrales électriques au charbon dans le monde entier. Les conditions n’étaient donc pas franchement réunies pour que le projet se concrétise. Aujourd’hui, il existe de nombreuses possibilités d’examiner comment les objectifs de décarbonation peuvent être atteints par d’autres moyens plus rapidement grâce à des approches basées sur l’énergie nucléaire, par exemple. Il y en a d’autres. Donald Trump sera ouvert aux discussions sur la diversification énergétique.Vous l’avez dit, Donald Trump est plus enclin à s’engager dans des dialogues bilatéraux. Comment croire à une alliance avec l’Union européenne dans ces conditions ?L’Europe est composée d’États-nations. Donald Trump préférera travailler avec les dirigeants de ces États. Il n’a pas tendance à revenir à des processus multilatéraux tentaculaires. Il se concentre sur la manière de faire avancer les choses rapidement. C’est en travaillant en petits groupes que l’on obtient les résultats escomptés, c’est-à-dire la mise en œuvre effective des mesures. Donald Trump sera vraisemblablement intéressé par bon nombre des questions soulevées par plusieurs rapports européens récents. Regardez le rapport Draghi : l’Europe ne crée pas d’emplois. Elle ne crée pas assez d’opportunités pour l’innovation. Pourquoi ? Pas à cause des individus, mais à cause des choix politiques. Les Européens sont intelligents, créatifs, intéressants et parlent plus de langues que les Américains ! Ce sont les choix politiques qui créent aujourd’hui bon nombre des problèmes cités dans le rapport Draghi et le récent rapport Niinistö. Proposez des idées nouvelles, Donald Trump sera intéressé ! Et s’il pense que le meilleur moyen de mettre en œuvre un ensemble de changements est de parler au président français, au Premier ministre italien, au Premier ministre polonais et aux Premiers ministres des États baltes, alors il le fera.Vous savez, l’une des tensions constantes au sujet de l’UE est que l’UE elle-même a tendance à éluder le fait que ses pays membres ont souvent des intérêts différents. Les processus multilatéraux prennent du temps ; il faut une éternité pour faire avancer les choses. Voyez les discussions impliquant l’administration Biden sur la coopération technologique avec l’Europe. Quatre ans plus tard, où en sommes-nous ? Les Européens doivent se demander pourquoi ils sont si attachés aux processus multilatéraux, alors qu’en fait, si ceux-ci échouent, c’est parce que les pays européens eux-mêmes sont à l’origine de leurs propres dissensions…Poutine est beaucoup plus susceptible d’être préoccupé par Trump que par BidenCette idée de relations bilatérales n’est-elle pas la porte ouverte, sous l’administration Trump, à une préférence pour les leaders populistes ?Donald Trump établira probablement de bonnes relations avec une variété de dirigeants dans le monde. Comme il l’a fait avec Shinzo Abe, et comme il l’a fait avec Narendra Modi, ou avec des dirigeants européens. C’est ainsi que fonctionne le pouvoir diplomatique : les présidents travaillent avec d’autres présidents ou dirigeants de pays. Donald Trump travaillera avec de nombreux dirigeants européens. C’est ce qu’on appelle la diplomatie. C’est en travaillant ensemble dans un bureau, que ce soit le Bureau ovale ou le palais de l’Élysée, que l’on fait avancer les choses.Lors d’un meeting en février, Donald Trump a évoqué une conversation qu’il aurait eue avec un chef d’État de l’Otan. « Non, je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai à vous faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos dettes », lui aurait-il lancé pour signifier qu’il ne protégerait pas les pays membres de l’Alliance qui ne contribuent pas suffisamment, selon lui, à son financement face à la Russie de Vladimir Poutine. Si vous étiez membre d’un pays européen, vous seriez rassurée ?Encore une fois, nous savons tous que c’est la façon de parler de Donald Trump. Il dit beaucoup de choses qu’il finit par utiliser pour négocier et essentiellement pour dire qu’il est sérieux sur une question particulière. Dans le cas présent, il veut que les Européens fassent davantage pour leur propre défense. Je ne pense pas que cela soit particulièrement catastrophique pour les Européens. Donald Trump a-t-il recours à des déclarations controversées ? Oui. Mais d’un autre côté, Kamala Harris n’a pas été élue en partie parce qu’elle ne dit pas grand-chose. Elle est le contraire d’une personne directe. Donald Trump est direct. Je pense qu’au fond, Vladimir Poutine est beaucoup plus susceptible d’être préoccupé par Donald Trump que par Joe Biden. Il ne considérait certainement pas l’administration actuelle comme une administration dont il devait se soucier.C’est pourquoi, à bien des égards, ce que nous avons vu de la part de Vladimir Poutine ces derniers temps a probablement été généré en partie par cette image de faiblesse américaine. La question qui a été posée à maintes reprises aux Américains lors de cette élection était la suivante : « Êtes-vous mieux lotis aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? » Ils y ont répondu : c’est non. Je poserais la même question à nos homologues européens : sont-ils mieux lotis aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a quatre ans ?



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2024-11-10 17:00:00

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