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La Russie et la Chine échouent (pour l’instant) à influencer les Français sur l’Ukraine et Taïwan

Dans cette photo diffusée par l'agence de presse russe Sputnik, le président Vladimir Poutine rencontre des chefs militaires à Moscou, le 22 novembre 2024.




Et si la propagande et la désinformation provenant de régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine étaient moins efficaces qu’on ne le craint bien souvent ? Une étude de la Fondation Descartes a analysé la pénétration en France des récits élaborés par les protagonistes respectifs de l’invasion russe en Ukraine, du conflit Israël-Hamas, de la crise entre la Chine et Taïwan et des tensions entre la junte malienne et la France suite aux opérations Serval et Barkhane. Elle montre que les Français sont très peu sensibles au narratif russe qui affirme que l’attaque de l’Ukraine visait en réalité à se défendre contre l’élargissement de l’Otan, à protéger les populations russophones de l’Est de l’Ukraine et à lutter contre un gouvernement néonazi.De la même façon, nos compatriotes sont très majoritairement réfractaires à la ligne chinoise qui affirme que Taïwan constitue une partie intégrante du territoire chinois, que seul Pékin est légitime pour décider de l’avenir de l’île et que tout soutien occidental au gouvernement taïwanais constituerait une ingérence dans les affaires intérieures chinoises. Le conflit au Proche-Orient comme les tensions entre la France et le Mali sont des sujets plus clivants, même si les Français se montrent plus sensibles au récit israélien qu’à celui du Hamas qui présente les attaques du 7 octobre 2023 comme un acte de résistance n’ayant pas volontairement ciblé des civils.L’étude de la Fondation Descartes a été réalisée en août 2024 sur 4 000 personnes composant un panel représentatif de la population métropolitaine majeure. Les répondants ont indiqué leur degré d’accord ou de désaccord à ces différentes affirmations permettant d’évaluer la sensibilité aux différents récits autour de ces conflits, mais aussi les perceptions géopolitiques des Français. Malgré les opérations d’ingérence informationnelle étrangère, bien documentées dans le cas russe comme chinois, l’enquête prouve que ces manipulations ont pour l’instant échoué à faire basculer l’opinion publique française en faveur des récits qu’elles promeuvent sur la guerre en Ukraine et sur le statut de Taïwan.Moins de 20 % des personnes sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que « la Russie était contrainte d’attaquer l’Ukraine pour se défendre contre l’élargissement à sa frontière de l’Otan », alors que près de 80 % d’entre elles sont tout à fait ou plutôt d’accord sur le fait qu’ »en combattant l’envahisseur russe, l’Ukraine exerce son droit légitime à la défense de sa souveraineté nationale et de son intégrité territoriale face à une guerre d’agression qui viole le droit international ».En ce qui concerne Taïwan, seuls 20 % des Français soutiennent l’affirmation que l’île est « historiquement chinoise et constitue une partie intégrante du territoire chinois », et 10 % que « seul le gouvernement chinois est légitime pour décider de l’avenir de Taïwan ». A l’inverse, près de 80 % sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que « c’est au peuple taïwanais, et non pas au gouvernement chinois, de décider librement et démocratiquement de l’avenir de Taïwan ». « Les récits russe et chinois sur le conflit en Ukraine et Taïwan percent relativement peu, alors que les Français sont bien plus réceptifs au narratif de l’Ukraine et de Taïwan » confirme Laurent Cordonier, directeur de la recherche de la Fondation Descartes. « Mais nous observons que les personnes qui s’informent plus sur les réseaux sociaux que dans les médias traditionnels, et notamment les jeunes, y sont plus réceptives. Or on sait que les opérations de désinformation se font avant tout sur les réseaux sociaux… ».68 % des Français pensent que le Hamas est un groupe terroriste islamisteSur le 7 octobre, on constate que l’adhésion au narratif du Hamas reste minoritaire dans notre pays. Seuls un peu plus de 30 % des sondés se disent tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que cette attaque menée par le groupe terroriste représente « un acte de résistance face à l’oppression et à la politique de colonisation israéliennes que subit le peuple palestinien depuis des décennies ». 45 % estiment que la riposte militaire d’Israël suite à cette attaque constitue un « génocide contre les Palestiniens ». Mais 70 % des Français sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation selon laquelle « lors de l’attaque du 7 octobre 2023, les membres du Hamas palestinien ont délibérément commis de très nombreuses violences physiques et sexuelles sur des civils israéliens ». Et près de 68 % d’entre eux défendent l’idée « que si le Hamas se définit comme un mouvement de résistance palestinien, il s’agit en réalité d’un groupe terroriste islamiste qui veut la destruction de l’Etat d’Israël ».Sans surprise, plus les Français interrogés se montrent sensibles au récit russe, plus ils ont tendance à l’être également aux récits du Hamas, malien et chinois, et moins ils ont tendance à l’être aux récits ukrainien, israélien, français et taïwanais. L’orientation politique joue un rôle dans les visions de ces conflits. « Les gens qui se disent proches de l’extrême gauche comme de l’extrême droite sont plus sensibles que le reste de la population aux récits russe et chinois. En revanche, si l’extrême gauche est plus sensible au récit du Hamas comme de la junte malienne, ce n’est pas le cas de l’extrême droite » note Laurent Cordonier. L’étude confirme également les travaux du chercheur David Chavalarias, à savoir que le climatoscepticisme et l’opposition aux vaccins sont corrélés avec une plus grande adhésion aux récits russe et chinois. « Les personnes qui sont plus sensibles à ces récits russe ou chinois auront moins tendance à croire au dérèglement climatique et plus à considérer qu’il y a un complot autour des vaccins. On retrouve un univers de pensée anti-tout » souligne Laurent Cordonier.Isolationnisme et confiance dans l’OtanLe soutien très majoritaire à l’Ukraine et à Taïwan ne signifie en revanche pas que les Français soient prêts à impliquer leur pays pour défendre ces territoires. Seuls 21 % seraient favorables à l’envoi de militaires en Ukraine pour se battre contre les troupes russes, comme l’avait suggéré Emmanuel Macron. Et si la Chine attaquait militairement Taïwan, moins de 17 % seraient favorables à un engagement militaire de la France pour défendre l’île. 56,5 % des Français seraient en revanche en faveur d’un soutien diplomatique à Taïwan et d’une condamnation ferme de l’invasion chinoise. Des positions relativement isolationnistes qui s’expliquent en partie par le manque de confiance dans les capacités militaires de la France. Seuls 20 % des Français pensent ainsi que leur pays soit capable de se défendre sur le plan militaire s’il était attaqué par une puissance étrangère, telle que par la Russie. En même temps, ils ne sont qu’un peu plus de tiers (34,7 %) à estimer que leur pays devrait augmenter ses dépenses de défense militaire. Le salut pour eux passe par l’Europe et l’Otan. 61 % des Français sont ainsi favorables à une défense commune dans l’Union européenne, et 66,5 %, s’ils en avaient la possibilité, voteraient pour que la France reste membre de l’Otan, contre seulement 14,6 % qui opteraient pour un retrait. Preuve de la confiance dans l’Alliance atlantique, 74 % des personnes interrogées pensent que si la France était attaquée, l’Otan respecterait son engagement d’aider notre pays.Les ingérences informationnelles de la Russie ou de la Chine ne bouleversent donc pas la perception qu’ont les Français de ces régimes autoritaires. Moins de 14 % d’entre eux ont une image positive de la Russie, et moins de 20 % de la Chine. En revanche, Laurent Cordonier rappelle que ce ne sont pas les seuls objectifs des manipulations étrangères, qui cherchent aussi à polariser les opinions publiques occidentales sur des questions de société ou de politique intérieure : « Quand on pense par exemple aux étoiles de David taguées sur les murs de Paris, puis postées sur les réseaux sociaux, l’idée n’était pas de faire passer un message précis, mais d’appuyer sur les fractures existantes afin d’affaiblir les démocraties libérales. Les régimes autoritaires veulent cibler ce qui peut leur paraître être des faiblesses des démocraties. »Aux autorités publiques françaises de saisir l’ampleur exacte de la menace, afin de ne pas se laisser déstabiliser par des ingérences étrangères, mais sans abandonner nos principes libéraux. « Surréagir, par exemple en adoptant des mesures restreignant trop sévèrement la liberté d’expression en ligne ou en invisibilisant totalement dans les médias certains points de vue sur l’actualité internationale, reviendrait à abîmer la vie démocratique en cherchant à la protéger » conclut Laurent Cordonier.



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Author : Thomas Mahler

Publish date : 2024-11-25 08:17:10

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