Le scénario de la fin d’année 2019, avec l’émergence d’une pandémie en Chine, pourrait-il se reproduire dans les prochaines semaines, depuis les Etats-Unis cette fois, à cause du virus de la grippe aviaire A(H5N1) ? Nous n’en sommes pas encore là, loin de là. Mais les scientifiques le redoutent, le regard tourné vers ce pathogène venu des oiseaux et qui, lentement mais sûrement, fait son nid chez les mammifères, humains compris. La grippe aviaire est apparue pour la première fois en 1996 mais, depuis 2020, le nombre des foyers chez les oiseaux a explosé et de plus en plus d’espèces ont été touchées. Un tournant a eu lieu en mars quand des infections ont été détectées dans plusieurs troupeaux de vaches laitières à travers les Etats-Unis. Dans ce huis clos, le virus a tourné jusqu’à pouvoir contaminer des humains, essentiellement des fermiers. Et à présent l’épidémie semble s’étendre peu à peu. Le 22 novembre dernier, un enfant a été testé positif pour la première fois dans l’Alameda County, dans la baie de San Francisco. A ce jour, 55 cas humains ont été détectés aux Etats-Unis en 2024, dont 29 en Californie, selon les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) américains.Une autre alerte, plus au nord, dans les plaines de la Colombie-britannique, au Canada, attire l’attention des chercheurs. Le 2 novembre, un adolescent positif à la grippe aviaire de sous-type H5 présente des symptômes inquiétants, et est hospitalisé d’urgence le 8 novembre. Dans un état critique, le mineur souffre de détresse respiratoire aiguë. Rapidement, les autorités sanitaires découvrent qu’il est positif à la grippe A de sous-type H5. Mais ce virus diffère de celui observé jusque-là aux Etats-Unis, d’après les premières données publiées. « Les généticiens qui étudient les séquences de la grippe aviaire recherchent une série de gènes qui pourraient être associés à une plus grande adaptation interhumaine ou à une virulence accrue du virus. Et ils ont noté dans ce cas précis des changements dans certains de ces domaines qui sont préoccupants », assure Meghan Davis, professeure associée à l’université Johns Hopkins.Cela pourrait indiquer que le virus H5N1 a la capacité de ressembler davantage à un virus humain qu’à un virus aviaire, mais on ne sait pas encore si ce changement est significatif et plus dangereux pour notre espèce. Le virus a peut-être muté au cours de la maladie de l’adolescent : un séquençage supplémentaire pourrait en révéler davantage sur son évolution. D’autant que, pour l’heure, on ne sait pas précisément comment il a été infecté. Bien qu’il y ait eu des éclosions de H5N1 parmi les volailles en Colombie-Britannique, le jeune homme n’y a pas été exposé, même s’il a été en contact avec plusieurs animaux domestiques, dont des chiens, des chats et des reptiles. Il est possible que l’un de ces animaux ait lui-même rencontré un oiseau ou un animal mort et ait transmis le virus à l’adolescent, selon les autorités sanitaires canadiennes. Un mystère qui reste à élucider.A l’heure actuelle, soyons toutefois rassurants : aucune preuve n’atteste d’une transmission entre humains de ce virus. Les membres du foyer de l’enfant infecté en Californie ont été testés négatifs à la grippe aviaire ; idem au Canada où aucun autre cas n’a été détecté parmi les contacts de l’adolescent, y compris la famille, les amis et les professionnels de la santé. « On ne sait pas exactement quelles seront les conséquences dans le monde réel, mais tous ces éléments constituent certainement un signal d’alarme », a déclaré Meghan Davis. « Nous devons vraiment y prêter attention et nous devons vraiment essayer de réduire autant que possible le nombre d’infections humaines. » »On ne sait pas exactement quelles seront les conséquences dans le monde réel, mais tous ces éléments constituent certainement un signal d’alarme »Meghan Davis, professeure associée à l’université Johns HopkinsAu Canada, les chercheurs espèrent que le virus muté disparaîtra sans être transmis à d’autres. L’isolement systématique de potentiels nouveaux cas pourrait placer ce virus dans une impasse du point de vue de l’évolution, mais si la mutation s’est produite une fois, elle pourrait se reproduire. « C’est une préoccupation particulière parmi les populations moins bien surveillées », estime encore Meghan Davis. Là encore, une course contre la montre est lancée pour identifier le plus tôt possible les infections humaines, afin de les isoler avant qu’ils ne propagent cette mutation. « La possibilité d’un virus plus contagieux est un signal d’alarme », souligne Richard Webby, virologue au département des maladies infectieuses de l’hôpital de recherche pour enfants St-Jude. Cela « souligne la nécessité de faire quelque chose contre ce virus. Nous devons le maîtriser ».Un porc infecté et un risque de débordementDepuis son émergence en mars chez les vaches laitières aux Etats-Unis, le virus H5N1 a déjà connu plusieurs évolutions. « La grippe A H5N1 est un virus à potentiel pandémique. Ce que nous observons actuellement, ce sont des cas sporadiques de maladies plus graves à l’échelle mondiale – liés à la volaille ou aux oiseaux sauvages, où nous savons comment le patient a été exposé – et des cas plus fréquents de maladies bénignes chez les travailleurs exposés à la souche laitière, précise Meghan Davis. Si nous commençons à constater une transmission interhumaine documentée ou une maladie grave plus fréquente parmi les travailleurs exposés ou d’autres groupes à haut risque, cela constituerait un signal d’alarme indiquant que le virus pourrait s’adapter d’une manière qui pourrait accroître son potentiel pandémique ».A pelican suspected to have died from H5N1 avian influenza is seen on a beach in Lima, on December 1, 2022. – The highly contagious H5N1 avian flu virus has killed thousands of pelicans, blue-footed boobies and other seabirds in Peru, according to the National Forestry and Wildlife Service (SERFOR). (Photo by Ernesto BENAVIDES / AFP)Pour l’heure, ce n’est donc pas le cas. Mais les chercheurs sont vigilants car le virus circule toujours outre-Atlantique. « Nous devons suivre cette situation d’aussi près que possible. Tout avertissement que nous pouvons recevoir concernant de nouveaux virus provoquant ce type de modifications nous permettra d’être prévenus », assure de son côté Richard Webby. Et de poursuivre : « Les États-Unis ne testent et ne surveillent pas suffisamment les cas de grippe aviaire, ce qui signifie que les scientifiques pourraient passer à côté de cas mutés comme celui du Canada ».Car c’est bien là que réside l’inquiétude des chercheurs. Si H5N1 existe depuis des décennies, le « clade » actuel 2.3.4.4b provoque une épizootie (NDLR : pandémie mondiale chez les animaux) depuis 2020, touchant en masse des vaches laitières ou des mammifères marins. « Dans le détail, il existe de nombreux génotypes différents au sein de ce ‘clade’, et certains d’entre eux sont associés à des maladies humaines plus graves. C’est cela qui est préoccupant !, poursuitMeghan Davis. Car le virus a de nombreuses possibilités d’évolution et d’adaptation supplémentaires ».L’infection récente d’un porc dans une ferme de l’Oregon est particulièrement inquiétante, car ces animaux sont connus pour pouvoir être contaminés par des virus influenza porcins mais également par des virus influenza humains ou aviaires. Cette co-infection peut faciliter l’émergence de nouveaux virus grippaux dits « réassortants » : en combinant les gènes de plusieurs virus influenza de différentes origines, ils pourraient devenir plus virulents ou faciliter leur transmission à d’autres espèces. La pandémie de grippe H1N1 de 2009 a été créée et propagée initialement par cette espèce.Nous devons suivre cette situation d’aussi près que possible. Tout avertissement que nous pouvons recevoir concernant de nouveaux virus provoquant ce type de modifications nous permettra d’être prévenusRichard Webby, virologue au département des maladies infectieuses de l’hôpital de recherche pour enfants St-JudeAutant de signaux indiquant que le virus s’étend à grande vitesse, ce qui lui offre autant de possibilités de muter, voire de recombiner avec d’autres virus présents dans un hôte intermédiaire comme le porc ou un autre mammifère. Le virologue Tulio de Oliveira, directeur du Centre de réponse aux épidémies et d’innovation en Afrique du Sud, écrit le 19 novembre dans le New York Times que la réponse des Etats-Unis « semble inadéquate et lente, avec trop peu de séquences génomiques de cas de H5N1 chez les animaux d’élevage rendues publiques pour une analyse scientifique ». « L’échec de la lutte contre le virus H5N1 dans le cheptel américain pourrait avoir des conséquences à l’échelle mondiale, et il faut y prêter une attention urgente. Les États-Unis n’ont pas fait grand-chose pour rassurer le monde sur le fait qu’ils ont réussi à contenir l’épidémie ».Le monde regarde les Etats-UnisPour l’heure, les efforts de contrôle de l’épidémie, qui se propage chez les vaches laitières, se concentrent sur la mise en quarantaine des installations, qui comprennent à la fois des exploitations laitières et avicoles, infectées par ce « clade ». Mais ce n’est pas suffisant selon plusieurs spécialistes. Premièrement, les séquences génomiques des cas de H5N1 chez les animaux aux Etats-Unis ne sont pas rapidement rendues disponibles, ce qui pourrait se révéler essentiel pour comprendre la menace et donner au monde le temps de se préparer, notamment en développant des antiviraux et des vaccins. Ensuite, Tulio de Oliveira appelle à tester tous les animaux dans un élevage où un individu est malade, ce qui n’est pas fait systématiquement, notamment pour des raisons économiques liées au lobby de la viande et du lait.Car des traces du virus ont été détectés dans plusieurs bouteilles de lait cru vendues en supermarché, notamment en Californie. Là encore, la réponse des autorités semble pour le moins insuffisante, et se résume ainsi : « Ne buvez pas ce lait ! ». Point de retrait des rayons de ce produit pour le moment, ni de restrictions dans la promotion de cette boisson. « La pierre angulaire d’une réponse efficace est la compréhension de la biologie et de l’épidémiologie du virus et l’utilisation de technologies efficaces comme les tests, les traitements et les vaccins pour protéger la population », précise Joshua Sharfstein, vice-doyen chargé de la pratique de la santé publique et de l’engagement communautaire à l’université Johns Hopkins. En Europe, le virus H5N1 n’a pas disparu, mais il n’a encore contaminé aucun bovin, ni aucun humain.Si la France a vacciné ses volailles et procède à des abattages massifs, des cas récents ont été identifiés au Royaume-Uni. « Au-delà des risques pour ses citoyens, les Etats-Unis doivent se rappeler que le pays où une pandémie éclate peut être accusé de ne pas en faire assez pour la contrôler, poursuit dans le New york times Tulio de Oliveira. On entend encore dire que la Chine n’a pas fait assez pour arrêter la pandémie de Covid-19. Aucun d’entre nous ne voudrait d’un nouveau pathogène étiqueté ‘virus américain’, car cela pourrait être très dommageable pour la réputation et l’économie des Etats-Unis ».
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Author : Yohan Blavignat
Publish date : 2024-11-27 17:00:00
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