L’Express

Emmanuel Macron en Arabie saoudite : comment MBS est redevenu le maître du jeu au Moyen-Orient

Le président français Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane participent à un sommet à Bruxelles le 16 octobre 2024




Qu’il paraît loin cet hiver 2018, quand Emmanuel Macron pouvait encore sermonner Mohammed ben Salmane. Malgré sa carrure imposante, c’est bien le prince héritier d’Arabie saoudite, alors âgé de 33 ans, qui regarde ses chaussures en plein G20 de Buenos Aires. « Ne vous inquiétez pas », tente l’héritier du trône saoudien. « Ah mais je m’inquiète, je suis très inquiet, répond le Français. Vous ne m’écoutez jamais ! » Nous sommes deux mois après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul, et la communauté internationale s’émeut de la parodie de procès qui vient de se dérouler à Riyad. Devant les caméras du monde entier, MBS apparaît isolé physiquement de ses partenaires internationaux, personne n’ose l’approcher, à part Vladimir Poutine…Six ans plus tard, le prince a perdu tout caractère radioactif. Emmanuel Macron a depuis longtemps brisé l’embargo occidental autour des visites en Arabie saoudite, imité par Joe Biden (malgré sa promesse de le traiter « comme le paria qu’il devrait être ») et l’ensemble des dirigeants européens. MBS a même été reçu en grande pompe à Bruxelles, au Conseil européen, le 16 octobre dernier. Au dîner, le prince héritier, malgré sa réputation d’introverti, s’est montré spontané, bavard, curieux, à la grande surprise des leaders politiques autour de la table. Ils ont, pour une fois, lâché leurs écrans de téléphone portable pour boire les paroles du jeune dirigeant et écouter sa vision du monde. En quelques années, le Covid-19, la guerre en Ukraine, celles à Gaza et au Liban, ont rebattu les cartes de la scène internationale. Et au crépuscule de 2024, MBS apparaît comme le maître du jeu.Etre perçu comme un diplomate plutôt qu’un meurtrierC’est dans ce contexte que le président français se rend en visite d’Etat en Arabie saoudite, du 2 au 4 décembre. L’objectif : renforcer les partenariats commerciaux, notamment dans les domaines de la culture, du tourisme et des nouvelles technologies, mais surtout le partenariat diplomatique. « Emmanuel Macron se rend compte que, de toute façon, l’Arabie saoudite de MBS est incontournable, pose le diplomate Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France au Qatar et à Riyad. Par exemple, lui-même a tenté de jouer les médiateurs entre les Etats-Unis et l’Iran mais il s’est cassé le nez sur ce dossier. Aujourd’hui, le président de la République voit bien que l’Arabie saoudite est le seul pays à pouvoir jouer un rôle dans un possible deal entre Washington et Téhéran, et nous, Français, avons tout intérêt à nous associer aux Saoudiens. »L’Elysée voit désormais le prince saoudien comme un élément de stabilisation du Proche-Orient, avec un rôle potentiellement central pour l’avenir du Liban et dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Fini, le jeune prince impétueux qui partait en guerre au Yémen ou prenait en otage le Premier ministre libanais pour le forcer à démissionner. Son entourage le promet : l’héritier du trône saoudien a changé et appris de ses erreurs de jeunesse. « MBS réalise une énorme campagne pour changer son image, notamment aux Etats-Unis, et être davantage perçu comme un diplomate que comme le meurtrier présumé de Jamal Khashoggi, souligne Christopher Davidson, spécialiste du Golfe à la Durham University, au Royaume-Uni. Il reste interdit de visite aux Etats-Unis, mais il n’est pas impossible que, s’il parvient à apporter des solutions aux conflits à Gaza et au Liban, il gagne l’image d’un homme de paix plutôt que d’un homme de guerre. »Dans la région, le prince héritier parle à tout le monde : à ses homologues du Golfe évidemment, aux Occidentaux, aux Chinois, aux Iraniens depuis le rapprochement opéré au printemps 2023, et même à Israël. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, prévu pour le 20 janvier prochain, tous les regards se tournent vers MBS, qui avait activement soutenu le président républicain lors de son premier mandat. Même après sa défaite en 2020, le Fonds saoudien a investi 2 milliards de dollars dans l’entreprise du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, et la Trump Organization a continué de faire du business en Arabie saoudite, notamment dans le domaine du golf. Juste avant l’élection américaine, le candidat républicain a donné une interview à une chaîne saoudienne, Al-Arabya, en assurant qu’il allait réussir à signer un accord de paix entre Israël et l’Arabie saoudite. « Si je gagne, ce sera une priorité absolue, que tout le monde soit en paix au Moyen-Orient », avait assuré Donald Trump. De quoi braquer les projecteurs sur la pétromonarchie.Une condamnation du « génocide » à GazaEn coulisses, le royaume saoudien n’écarte pas une normalisation avec Israël à moyen terme, mais MBS a fait monter les enchères : hors de question de signer la paix sans Etat palestinien dans la balance. Sur ce sujet, il a de fait réussi à prendre le leadership dans le monde arabo-musulman. Ces derniers mois, les Saoudiens ont encouragé l’Espagne et l’Irlande à reconnaître l’Etat palestinien, et ils se sont engagés à verser 60 millions de dollars mensuels à l’Autorité palestinienne. « Mohammed Ben Salmane à considérablement renforcé sa stature de leader en interne et en externe, estime le spécialiste du Golfe François-Aïssa Touazi. D’abord au sein même de l’Arabie saoudite, où il a su faire émerger une fierté nationale saoudienne et bénéficie d’un soutien très fort des jeunes et des femmes. A l’international, il a oeuvré a la diversification des partenariats stratégiques notamment avec la Chine et la Russie et veut assumer un leadership très clair sur le monde arabo-musulman. Le sommet de coopération islamique à Riyad était, en ce sens, particulièrement révélateur des ambitions saoudiennes pour la région. »Plutôt timide au début de la guerre à Gaza, MBS a adopté un autre ton ces dernières semaines : au sommet de la coopération islamique et de la Ligue arabe, début novembre à Riyad, le dirigeant saoudien a condamné « le génocide commis par Israël contre nos frères palestiniens ». « Condamner et critiquer Israël est sans doute la dernière chose que veut faire MBS, mais il sait qu’il n’a guère d’autre choix politique, avance Christopher Davidson. Son propre peuple veut qu’il fasse ce genre de déclarations. » Il s’agit, aussi, d’un moyen de faire monter les enchères d’une possible normalisation et d’envoyer un message clair aux Américains : l’Arabie saoudite ne signera pas si facilement.Sur le Liban, la diplomatie française espère obtenir des engagements saoudiens pour la reconstruction du pays, après avoir négocié le cessez-le-feu. « Mais cela fait des années que les Saoudiens nous répètent qu’ils ne veulent plus s’occuper du Liban », confie une source diplomatique. D’où l’importance de cette visite pour Emmanuel Macron. « MBS n’a pas l’attachement sentimental que son père ou ses aînés ont pour le Liban, en revanche il sait que ce dossier constitue un élément de l’arrangement régional global, pointe Bertrand Besancenot. S’il existe une perspective d’avoir un Liban moins sous la tutelle du Hezbollah [NDLR : et donc de l’Iran], il est clair que les Saoudiens sont prêts à faire un geste. » A ce titre, l’entregent de l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian, à la fois envoyé spécial du président français sur le dossier libanais et chargé du développement de la ville saoudienne d’Al-‘Ula, sera précieux.A 39 ans, MBS a surtout compris que son pays avait besoin d’une région pacifiée pour développer ses projets, regroupés sous le nom de « Vision 2030 ». Le prince ouvre sa société et diversifie son économie à grande vitesse, en prévision d’un avenir proche avec moins de ressources pétrolières. Mais ses « mégaprojets » prennent du retard et les tensions régionales n’arrangent rien : les Houthis notamment, ces rebelles du Yémen qui attaquent des navires en mer Rouge depuis le début de la guerre à Gaza, nuisent au commerce saoudien. Aussi, ils perturbent la construction de ses projets faramineux dans l’Ouest de l’Arabie saoudite, comme la ville futuriste de Neom ou les stations balnéaires sur la côte. « Le seul objectif qui importe à MBS aujourd’hui est la réussite de sa Vision 2030, soutient François-Aïssa Touazi. Il est focalisé sur ces dossiers et a compris qu’il était indispensable de stabiliser la région pour attirer des investissements étrangers. »La paix comme meilleur moyen de faire du business. Une vision particulièrement adaptée au retour de Donald Trump, et dont la France pourrait tirer profit.



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Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2024-12-02 04:30:00

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