L’Express

Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie : « Face à la Russie, nous avons peu de moyens pour nous défendre »

La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, participe à un rassemblement de l'opposition pour protester contre les résultats des élections législatives qui ont montré une victoire du parti au pouvoir, le Rêve géorgien, devant le bâtiment du parlement dans le centre de Tbilissi, le 28 octobre 2024




A Tbilissi, la mobilisation contre le pouvoir reste forte, malgré la brutalité croissante des forces de police. Rassemblés depuis une semaine devant le Parlement, des milliers de manifestants protestent contre la décision gouvernementale de reporter à 2028 les négociations d’adhésion à l’Union européenne. Face à eux, la présidente de Géorgie, Salomé Zourabichvili, refuse de mettre fin à son mandat, qui expire mi-décembre.Dans le système géorgien, c’est le Parlement qui élit le prochain président. Mais les récentes élections législatives ont été truquées, dénonce cette pro-européenne convaincue. « Tant que nous n’avons pas de Parlement légitime, il ne peut y avoir de président légitime », dit-elle à L’Express. Elle demande un nouveau scrutin.L’Express : La répression augmente, mais le mouvement ne faiblit pas…Salomé Zourabichvili : Non. Il est totalement spontané, se répand dans toutes les villes du pays et n’est pas organisé par les partis politiques. Il n’y a jamais eu un tel mouvement de désobéissance civile dans le pays.Comment la protestation a-t-elle enflé ?De toute évidence, les élections législatives du 26 octobre ont fait l’objet de fraudes massives et systématiques, selon un système très sophistiqué et préparé longtemps à l’avance qui porte la signature des services russes. Cette guerre hybride électorale constitue une nouvelle stratégie de la Russie, qui l’a également déployée en Moldavie, mais le vote de la diaspora a permis de la déjouer. Ça n’a malheureusement pas été le cas chez nous. A cause de procédures électorales mises en place en amont du scrutin, un million de Géorgiens vivant à l’étranger n’ont pas pu voter.Ensuite, le pouvoir a multiplié les provocations. Comme candidat à la prochaine présidence, il a mis en avant l’homme à l’origine de la loi sur l’influence étrangère, qui avait déclenché une vague massive de protestations l’an dernier et ce printemps. Et le 28 novembre, il a annoncé le report du processus d’adhésion à l’Union européenne en 2028. Une déclaration de guerre.Pourquoi n’a-t-on pas pu anticiper ces tricheries, qui étaient prévisibles ?Nous pensions que la mobilisation de la population serait suffisante pour compenser les fraudes. Mais personne, c’est vrai, n’avait anticipé son caractère massif et systématique. Nous avons été pris au dépourvu, à tel point que l’annonce des résultats a été suivie d’une sorte de dépression collective de la population, tellement celle-ci attendait un changement politique dans le pays.Quel rôle joue Bidzina Ivanichvili, l’oligarque proche du parti au pouvoir, Rêve géorgien, réputé proche du Kremlin ?C’est l’homme central, celui qui prend toutes les décisions. La vraie question, sur laquelle nous manquons de visibilité, c’est de savoir s’il les prend pour conserver sa position au sommet du pouvoir ou si elles lui sont dictées par notre « voisin du nord » [NDLR : Vladimir Poutine].Certains craignent que ces manifestations ne déclenchent une intervention russe ? Que leur répondez-vous ?Cette menace est régulièrement brandie par la propagande, qui utilise la peur pour amener la population à accepter une situation qui sera peut-être pire ! Bien sûr, personne ne peut affirmer qu’il n’y a aucun risque d’intervention militaire russe. La Géorgie a subi suffisamment d’attaques de la Russie, qu’elle soit impériale, soviétique ou contemporaine, pour ne jamais dire jamais ! Toutefois, cela ne semble pas être la stratégie choisie par Moscou, qui semble lui préférer cette offensive hybride. Mais quel que soit le mode opératoire, il ne bridera jamais les Géorgiens. Si nous avions peur, nous n’aurions jamais choisi la voie de l’intégration européenne. Aujourd’hui, le peuple géorgien demande de nouvelles élections et il veut qu’on lui rende son destin européen. J’ajouterai une chose importante : il n’y a pas, contrairement à ce qu’affirme la propagande, deux Géorgie qui s’opposent. Aujourd’hui, 80 % de la population désire l’intégration européenne, tandis que les 20 % restants sont proches du pouvoir pour des raisons d’intérêts personnels, mais ne sont pas pour autant favorables au retour au giron russe.L’Europe vous aide-t-elle suffisamment pour lutter contre cette guerre hybride ?Les Géorgiens connaissent bien les méthodes de désinformation, ils ont subi la propagande soviétique durant soixante-dix ans… Mais il est vrai que nous avons peu de moyens pour nous défendre. Il nous faudrait des moyens puissants. Je n’en conseillerai pas moins aux pays européens de se mettre en ordre de bataille pour résister à cette guerre hybride qu’affectionne tant la Russie – parce qu’elle coûte beaucoup moins cher qu’un conflit conventionnel et est très efficace…Tandis que les Européens ont interrompu l’été dernier le processus d’adhésion de la Géorgie, les Américains viennent de suspendre leur partenariat stratégique. Ces mesures sont-elles suffisantes ?Non. La population attend également des sanctions individuelles envers tous ceux qui ont organisé – et faussé – les élections et ceux qui ont participé aux répressions. Et elles sont très importantes. Car sinon, le message adressé aux Géorgiens serait : on punit le pays, mais on ne punit pas les responsables. A l’instar d’un Bidzina Ivanichvili, qui ne fait toujours pas l’objet de sanctions.Et qui possède toujours la nationalité française.Oui, mais ce n’est pas à moi de le commenter. Posez la question aux autorités françaises…Comment voyez-vous la suite du conflit ?Face à un pouvoir retranché sur lui-même et disposant d’un outil répressif, la société géorgienne cherche à obtenir de nouvelles élections, avec l’aide des Européens. Ensuite, j’ai saisi la Cour constitutionnelle, qui n’a toujours pas rendu son avis. Si celle-ci reconnaît les violations de la Constitution et annule le scrutin, nous reviendrons au statu quo ante avec les Parlement et gouvernement précédents. Après une brève période de transition, nous procéderons alors à de nouvelles élections. C’est ce que nous demandons avec acharnement et c’est ce que doivent soutenir nos partenaires européens. Si la Cour constitutionnelle ne donne pas satisfaction à ces demandes, la population pourra alors demander des élections anticipées. Cela prendra un caractère beaucoup plus radical, personne ne souhaite aller jusque-là.



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Author : Charles Haquet

Publish date : 2024-12-03 18:00:00

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