L’Express

Les Français, mauvais en mathématiques ? « Nous avons beaucoup à apprendre des pays anglo-saxons »

Une salle de classe (illustration)




Faut-il y voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Voilà des années que la France dégringolait dans les classements internationaux en mathématiques. Il semblerait que la situation se stabilise d’après les résultats de l’enquête Timss 2023, publiée ce mercredi 4 décembre et qui mesure le niveau des élèves en mathématiques et en sciences dans le monde. Pour autant, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir ! Que ce soit dans l’une ou l’autre des deux disciplines, les élèves français de CM1 et de quatrième font toujours partie des derniers de la classe dans l’Union européenne malgré les réformes menées ces dernières années. Les CM1 français affichent, par exemple, un score de 484 points en mathématiques et de 488 points en sciences, alors que la moyenne de l’Union européenne est respectivement de 524 et de 518 points.Autre enseignement de l’enquête Timss : en CM1, l’écart garçons-filles en mathématiques ne cesse d’augmenter puisqu’il est aujourd’hui de 23 points, contre 13 en 2019 (les premiers progressent de cinq points, tandis que les deuxièmes régressent de cinq points). C’est l’un des scores les plus inquiétants des pays de l’Union européenne et de l’OCDE. Enfin, les écarts s’accroissent aussi entre les élèves les moins performants et les plus performants, alors que la France reste traditionnellement l’un des pays où le poids de l’origine sociale dans la réussite des élèves est le plus fort.Pour Monica Neagoy, docteure en didactique des mathématiques et membre du Conseil scientifique de l’Education nationale, ces résultats ne sont pas une fatalité. Cette spécialiste franco-américaine, à la fois formatrice, consultante et conférencière internationale, est l’auteure de nombreux ouvrages et de vidéos proposant une manière innovante et efficace d’enseigner les mathématiques. Cette fine connaisseuse des différents systèmes éducatifs mondiaux revient sur les écueils auxquels se heurte la France depuis des années et évoque les pistes qui, selon elle, pourraient nous aider à relever le niveau.L’Express : Dans la dernière enquête Timss, la France apparaît une nouvelle fois dans le bas du tableau notamment en sciences et en mathématiques. N’est-ce pas étonnant dans un pays qui compte bon nombre de médaillés Fields et autres scientifiques reconnus ?Monica Neagoy : Effectivement, l’excellence mathématique française est reconnue dans le monde entier. En revanche, le problème majeur que nous rencontrons est l’absence de culture commune des mathématiques dans notre société. Pour la plupart des élèves qui sortent du lycée, les mathématiques consistent à mémoriser des formules et des procédures, à les appliquer à des problèmes, à les résoudre rapidement dans le seul but d’obtenir la bonne réponse. Ce qu’on oublie, c’est le visage humain des mathématiques, leurs histoires étonnantes, les contributions à travers les siècles de milliers d’hommes et de femmes à notre héritage. Nous n’avons pas non plus toujours conscience du fait que les mathématiques nous enseignent aussi des manières de penser, d’analyser et d’agir. Autant de compétences qui peuvent nous servir tous les jours.L’autre écueil important auquel nous nous heurtons est la croyance enracinée selon laquelle « ceux qui réussissent en mathématiques sont intelligents et ceux qui ne réussissent pas, ne le sont pas ». Une idée reçue et entretenue par l’expression : « il a la bosse des maths », née au XIXe siècle des travaux du médecin Franz Joseph Gall. Ce dernier avait établi un lien entre la forme du crâne et les aptitudes personnelles, sachant qu’à l’époque, nous ne bénéficions d’aucun moyen pour étudier le cerveau. Malgré toutes les études scientifiques qui l’ont déboulonné (comme La Bosse des maths, signé Stanislas Dehaene en 2018), ce mythe perdure dans le monde occidental. L’une des raisons du succès des pays de l’Asie du Sud-Est, en tête des classements internationaux Timss ou Pisa, est leur croyance en la capacité de tout enfant et en l’idée que ses aptitudes ne sont pas déterminées à la naissance mais s’acquièrent par le travail et l’effort.Les études montrent également que les élèves français manquent de confiance en eux, en particulier en mathématiques. Et que, plus on avance dans la scolarité, plus ce pessimisme s’accroît. En quoi est-ce un énorme frein ?Ce point est lié au précédent : quand un adulte dit à un enfant, tôt dans sa scolarité : « tu ne réussiras jamais en maths », comment un élève peut-il prendre confiance en lui ? L’enfant s’approprie l’étiquette de « nul en maths » et cette prophétie autoréalisatrice a des effets néfastes. Nous avons beaucoup à apprendre des pays anglo-saxons qui font preuve de plus de bienveillance envers les élèves. Certaines attitudes sont révélatrices de ce pessimisme français. Par exemple, il y a peu, j’ai été invitée sur un plateau de télévision. Pour m’annoncer, le présentateur a lancé : « Et maintenant nous allons recevoir une spécialiste mondiale qui va nous expliquer pourquoi les petits Français sont nuls en maths ! » Preuve que l’on confond les performances et les capacités de réussite des élèves. Commençons par changer notre discours et par nous montrer plus optimistes si l’on veut que la situation s’améliore. Je suis convaincue que les petits Français peuvent réussir en maths !Voilà des années que l’on s’inquiète des différences de niveau entre les filles et les garçons. Or l’enquête Timss révèle que non seulement l’écart continue de se creuser, mais qu’il intervient surtout très tôt, dès le CP. Comment l’expliquer ?Les tests montrent en effet que lorsque les élèves entrent en CP, il n’y a pas de différences de niveau entre les filles et garçons. Mais, dès le deuxième trimestre, les écarts apparaissent et ne disparaissent plus par la suite. Les scientifiques sont de plus en plus nombreux à se pencher sur ce phénomène pour tenter de l’expliquer. L’année dernière, avec les chercheurs Lilas Gurgand et Franck Ramus, nous avons participé à une étude sur le sujet, lancée par l’Ecole normale supérieure de Paris et dont les résultats seront rendus publics en 2025. L’idée était, d’une part, de sensibiliser des professeurs de CP aux différences de genre, aux biais et stéréotypes inconscients. Car des travaux de recherche suggèrent qu’en modifiant certaines attitudes ou façons d’agir et de réagir, on peut influer la façon dont les filles appréhendent les mathématiques.Il faut mettre l’accent sur la formation des enseignantsL’autre démarche était de former les enseignants à des pédagogies qui nous semblent efficaces pour lutter contre ces inégalités de genre. Nous verrons, au moment des résultats, si l’amélioration de la qualité de l’enseignement peut bénéficier aux filles puisqu’elles ont une plus grande marge potentielle de progression. Enfin, tout professeur et parent doit prendre conscience de l’image mentale qu’il a d’un élève « bon en maths ». C’est souvent la figure d’un garçon qui apparaît à l’esprit. Certaines enseignantes, ayant elles-mêmes été mises à l’écart ou dévalorisées dans leur enfance, portent cette douleur en elles et cela peut nuire à leur appréciation de la matière.Au-delà de ces changements d’approche et d’attitude, quels autres leviers faudrait-il activer pour améliorer notre niveau en maths ?Commençons par revaloriser le statut de l’enseignant dans la société. Cela passe par une augmentation des salaires, si nous voulons attirer les professionnels les plus performants et éviter qu’ils ne se tournent vers des secteurs plus lucratifs. L’accent doit aussi être mis sur la formation. Beaucoup d’efforts ont déjà été faits ces dernières années avec, par exemple, la mise en place des « constellations » [NDLR : dispositif qui permet à un formateur de s’adresser à un groupe d’enseignants]. En 2018, lorsque nous avons remis notre rapport de la Mission Maths qui listait 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques au ministre d’alors, Jean-Michel Blanquer, Cédric Villani avait peu ou prou déclaré : « Toutes les personnes que nous avons auditionnées sont d’accord sur une chose : nous avons abandonné nos professeurs en les privant de formations en termes de qualité et quantité. »D’autre part, nous devons nous intéresser de plus près aux pédagogies actives afin d’aider les élèves à mieux s’ancrer dans le réel et partir du quotidien. Car le risque, si nous abordons les mathématiques trop tôt de façon abstraite, est de les perdre en route. Les enfants, dans les petites classes, doivent pouvoir bouger, s’exprimer, plier, dessiner, découper, mesurer, construire pour bien comprendre les maths et s’y impliquer. Les représentations des concepts mathématiques progressent ensuite des plus concrètes vers des plus abstraites, jusqu’au jour où ils pourront manipuler des idées en langage mathématique. Enfin, développer la métacognition [NDLR : la représentation qu’un élève a de ses capacités] est aussi à privilégier : elle permet de responsabiliser les élèves et donc de les rendre autonomes plus tôt.L’enquête Timss est essentiellement basée sur la maîtrise des fractions et des nombres décimaux. Le fait que nous figurions en bas du classement des pays de l’OCDE depuis des années prouve bien qu’il y a des progrès à faire….Là encore, il semble y avoir une prise de conscience. En décembre 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a annoncé que l’étude des fractions commencerait dès le CE1 et non plus en CM1 comme c’était le cas jusque-là. Ce qui, à mon sens, est un progrès puisque les élèves bénéficieront de deux années supplémentaires pour construire une base solide pour ce concept multiplicatif fondamental. Même s’il est trop tôt pour en mesurer les effets, on peut espérer que ce changement nous aidera à progresser dans l’appréciation des fractions et à remonter dans le prochain classement Timss 2027. A condition, encore une fois, de mettre en place des formations de qualité à destination des professeurs des écoles, car on n’enseigne pas les fractions de la même façon au CE1 et au CM1. Même si, dès cinq ans, un enfant est en âge de comprendre les deux notions requises : le partage égal et la justice. Il sait dire « Tu en as eu plus que moi ! » lorsqu’on partage un cookie en deux et qu’on ose lui donner la plus petite part.Que pensez-vous de la nouvelle épreuve de mathématiques organisée en fin de première, qui comptera pour le bac à partir de l’année prochaine ?L’idée de créer une nouvelle épreuve anticipée du baccalauréat en première générale et technologique a pour but de renforcer notre culture commune mathématique et scientifique. Comme je le disais au début de cet entretien, cette démarche est primordiale et me semble aller dans le bon sens. En réponse à cette initiative ministérielle, des membres du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, dont je fais partie, ont avancé quelques propositions sur les objectifs, les contenus et la forme que pourrait prendre cette épreuve. Le prérequis était qu’elle permette de changer l’image très austère de cette discipline. Nous ne préconisons pas un énième examen douloureux mais plutôt la mise en place d’une épreuve originale, conçue pour stimuler l’intelligence et la créativité. L’objectif n’est pas de donner à tout prix une note à l’élève, mais de mesurer l’avancée de ses connaissances dans les grands domaines des mathématiques. Je trouve dommage que cette nouvelle épreuve compte pour le bac : le risque est qu’elle engendre un stress supplémentaire et que chaque élève soit tenté de bachoter dans le seul but de réussir l’examen. On retombe là dans les travers que je ne cesse de dénoncer. Ne nous éloignons pas de notre objectif initial qui est de réconcilier, enfin, les élèves avec les mathématiques, avec ces raisonnements d’une subtilité et d’une beauté extraordinaires !



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2024-12-05 05:30:00

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