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Du trading dopé à l’IA ? La dernière technique des escrocs d’Internet pour attirer leurs victimes

Un écran de télévision diffuse sur le parquet de la Bourse de New York (NYSE) à New York, le 23 août 2024, le discours du président de la Fed, Jerome Powell, à Jackson Hole, dans le Wyoming




Ici, on promet de « maximiser ses gains en un clic avec l’IA ». Là, on affirme qu’elle repère des actions dont la valeur sera multipliée par 50. Plus bas, on vante les mérites d’une intelligence artificielle qui aide « à investir de manière plus intelligente et à réaliser des bénéfices quotidiens ». Les messages, illustrés de photos générées par IA de robots et de cours de Bourse montant en flèche, utilisent les mêmes arguments : en adoptant des outils dopés à ChatGPT, les boursicoteurs seraient assurés de gagner des sommes faramineuses, très facilement.Sur les réseaux sociaux, de nombreuses publicités sponsorisées de ce type apparaissent dans le flux des utilisateurs, sans qu’ils ne les cherchent. Chaque fois, ces messages, qui peuvent être vus par des dizaines de milliers de personnes, cachent une arnaque. Les escroqueries au trading, comme elles sont appelées, sont un filon bien connu et exploité depuis des années par les malfaiteurs. Mais pour convaincre leurs victimes, les arnaques « surfent sur les nouveautés du moment », pointe Marc Bouzy, avocat spécialisé dans les cyberescroqueries. Il y a quelques années, les cryptomonnaies étaient au centre des tactiques des pirates. « C’est désormais l’intelligence artificielle qui est à la mode, et on voit les malfaiteurs recycler tout le vocabulaire associé », précise l’expert. Sur X (ex-Twitter), Facebook et Instagram (du groupe Meta), une foule de publicités frauduleuses vante ainsi les mérites de leurs produits en utilisant des noms connus, comme ChatGPT et OpenAI.Faux sites, vraies pertesLa combine consiste à mettre en avant une soi-disant technique révolutionnaire d’investissement – grâce à de l’IA, des bots… – avant de rediriger les victimes vers des faux sites. Une fois prises dans l’engrenage, les cibles sont invitées à faire un premier dépôt sur ces plateformes, puis à effectuer des opérations. Lorsqu’elles tentent de faire un premier retrait, celui-ci est généralement possible, afin de les mettre en confiance. Et de les convaincre de déposer encore plus d’argent.Mais ces sites sont tous factices. Les opérations ne sont pas réellement réalisées. Les courbes et valeurs affichées sont inventées de toutes pièces. Il ne s’agit que de coquilles réalisées par les escrocs pour tromper leurs victimes. Et l’argent qu’elles y ont déposé est parti depuis longtemps vers les comptes des malfrats.Lorsque le pot aux roses est découvert, il est trop tard. « Elles n’arrivent jamais à récupérer leur argent », raconte Jean-Baptiste Boisseau, le cofondateur du site Signal Arnaques, qui recense et alerte sur les différents types d’escroqueries en ligne. « Pour certaines arnaques, de faux traders appellent directement les victimes. Dans d’autres cas, ils tentent de leur faire télécharger des logiciels malveillants, ou affirment qu’il faut payer des frais pour retirer son argent », énumère-t-il. Une des dernières tendance est d’utiliser des photomontages de célébrités, en faisant croire qu’elles recommandent ces sites de trading. Eve Gilles (Miss France 2024), Virginie Efira, Elise Lucet ou encore Yannick Noah en ont ainsi fait les frais.Sur Signal Arnaques, les victimes anonymes partagent leurs histoires. Comme celle qui, rassurée de voir une star faire la promotion en ligne d’un site promettant des gains importants, décide d’investir 250 dollars et se fait recontacter par un prétendu trader lui promettant de trouver des « investissements avantageux » grâce à l’intelligence artificielle. L’escroc lui prête ensuite 5 000 dollars, afin de la mettre en confiance. « J’ai doublé la mise en quinze jours. Trop beau pour être vrai », écrit la victime. Devant l’insistance du trader pour qu’elle investisse des sommes plus importantes, elle se décidera toutefois à tout fermer.Ces arnaques, particulièrement sournoises et complexes à monter, sont de plus en plus courantes sur les réseaux sociaux, selon Jean-Baptiste Boisseau. Jeter un œil sur la bibliothèque publicitaire de Meta suffit à mesurer l’ampleur du problème : rien qu’au mois de décembre, plus de 400 annonces actives menant vers des sites douteux sont visibles.Des arnaques professionnellesLes escrocs font des victimes dans toutes les tranches de la population. Les cibles ne sont pas systématiquement des jeunes naïfs ou des personnes âgées connaissant mal les réseaux sociaux. « Un de mes clients était un informaticien très calé, illustre Anne Bernard-Dussaulx, avocate spécialisée dans les affaires d’arnaques. Les escrocs lui ont fait croire qu’ils allaient développer ensemble un bot qui améliorerait les performances de trading. Ils lui ont proposé d’essayer celui qu’ils avaient déjà mis au point, pour lui montrer son efficacité. Il a perdu 200 000 euros ».Les malfaiteurs vont jusqu’à voler à deux reprises certaines victimes. Elles peuvent ainsi être contactées quelques mois après le vol, par de prétendus organismes de recouvrement ou de soi-disant services de l’Etat. Au téléphone, ils affirment pouvoir récupérer les sommes dérobées en échange de certains frais. « Ils inventent parfois même des taxes dont les victimes devraient s’acquitter », raconte Anne Bernard-Dussaulx. Endormies par la promesse de revoir leur argent, leurs cibles ne se méfient pas et retombent dans le panneau.Une fois le méfait accompli, il est très difficile d’obtenir réparation. Il est possible pour les victimes d’aller porter plainte, mais les instructions vont rarement jusqu’au bout. « En général, ces affaires sont classées sans suite, car il n’y a pas assez de moyens pour les enquêtes », soupire Anne Bernard-Dussaulx. La récente affaire « Carton Rouge » fait figure d’exception. Fin octobre, un procès d’ampleur a fait défiler une vingtaine de personnes accusées d’avoir arnaqué plus de 1 300 victimes, pour un préjudice estimé à 28 millions d’euros. Une vaste opération, qui visait aussi bien des clubs de football professionnels que des particuliers. La décision mise en délibéré sera rendue le 31 mars 2025. Des peines d’un an à huit ans ferme ont été requises ainsi qu’un mandat d’arrêt contre le principal suspect, actuellement en Israël. Depuis des années, les enquêteurs voient régulièrement des arnaques de ce type montées par des réseaux franco-israéliens. Même si elle s’améliore depuis, la coopération judiciaire dans ce type d’affaires entre les deux Etats a longtemps été insuffisante. « Israël extrade très rarement ses ressortissants », pointe Me Bernard-Dussaulx.L’intelligence artificielle dans le trading, une fausse bonne idéeContrairement à ce qu’affirment les escrocs, les IA génératives telles que ChatGPT ne sont pas des outils pertinents pour les traders. « Pour réaliser des simulations financières intéressantes, il faut faire de l’économétrie, c’est-à-dire prendre en compte toutes sortes de variables et de facteurs externes qui vont influencer tel ou tel évènement, et ensuite, les modéliser », explique Charles Letaillieur, expert en data et en intelligence artificielle au sein du cabinet de conseil Converteo. « Pour ces modèles, il faut du machine learning capable de repérer des tendances, pas de l’intelligence artificielle générative qui hallucine ». En clair, ChatGPT est très doué pour la création et l’analyse de texte. Beaucoup moins pour les calculs et l’analyse de données numériques. « ChatGPT peut tout de même aider à vulgariser, expliquer les éléments les plus techniques du trading, ou résumer des recherches. Mais il ne faut pas suivre ses conseils pour acheter », précise Charles Letaillieur.Même les services qui proposent des options d’investissements automatisés se montrent très prudents. « Peut-on vraiment faire confiance à l’intelligence artificielle pour réaliser des investissements judicieux ? Non », tranchent les équipes de la néo-banque Revolut, qui a lancé une option pour faire des placements automatiques, en février. « L’IA a beaucoup progressé et est déjà utilisée pour analyser des données financières et identifier des modèles. Mais les marchés sont très dynamiques, et influencés par des facteurs qui vont au-delà des données et des algorithmes ». Sans compter que les données sur lesquelles se basent les IA peuvent être datées, et donc, moins pertinentes. Ce n’est pas avec ChatGPT que les boursicoteurs amateurs feront fortune.



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Author : Aurore Gayte

Publish date : 2024-12-22 07:30:00

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