Donald Trump tient ses promesses, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la planète. Au cours de sa première semaine de retour à la Maison-Blanche, le président américain a acté, pour la seconde fois, la sortie de son pays de l’accord de Paris sur le climat. Bien que prévisible, cette décision du deuxième pollueur mondial derrière la Chine, et premier pollueur historique, va porter un coup dur aux efforts visant à infléchir la trajectoire de réchauffement climatique.
François Gemenne, professeur à HEC et président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), identifie au moins trois risques découlant de ce retrait. Surtout, le membre du GIEC estime que « suivre la même voie que Donald Trump serait une très grave erreur ». L’Europe doit tracer son propre chemin et profiter de ce vide pour « négocier des partenariats avec les pays émergents ».
L’Express : Les Etats-Unis ont confirmé auprès de l’ONU qu’ils se retireraient à nouveau de l’accord de Paris, une décision effective le 27 janvier 2026. Quelles peuvent être les conséquences pour la lutte mondiale contre le changement climatique ?
François Gemenne : Si on regarde l’aspect de la coopération internationale, j’identifie trois risques immédiats, que je vais ranger par ordre d’importance. Le premier : celui de l’effet « domino ». On en avait déjà parlé lorsque les États-Unis étaient sortis une première fois de l’accord de Paris, en 2017. Le Brésil avait voulu leur emboîter le pas mais Jair Bolsonaro, alors président, avait été retenu par les milieux d’affaires, qui préféraient nettement la stabilité au sein de l’accord à l’incertitude entraînée par sa sortie.
Cette fois-ci, on voit bien qu’il y a un risque plus grand que d’autres pays suivent, même si je suis un peu rassuré par le fait que personne d’autre ne l’ait annoncé jusqu’à présent.
L’Argentine avait émis l’idée…
On avait même craint qu’elle n’en sorte avant les États-Unis ! Javier Milei avait rappelé à Buenos Aires les délégués argentins qui étaient à la COP29. Je ne l’ai plus entendu sur ce sujet depuis. Mais cela reste évidemment un risque très important.
Quels pays pourraient vouloir suivre cette démarche ?
On pense à l’Argentine, au Venezuela, à la Russie, peut-être demain à la Hongrie. Et potentiellement certains pays africains. Plusieurs Etats pourraient être tentés, parce qu’ils ont un leader populiste, d’emboîter le pas d’un autre. Ce serait très grave si cela se produisait. Pas seulement parce que les pays sortiraient de l’accord de Paris, mais parce que sa pierre angulaire, c’est-à-dire la participation universelle, tomberait alors à terre. Au moment des négociations de la COP21, en 2015, on a choisi de ne pas fixer des limites impératives d’émissions de gaz à effet de serre pour avoir tous les pays à bord. Or si plusieurs d’entre eux en sortent, c’est la double peine : on n’aura pas eu de limites contraignantes et on n’aura pas eu, non plus, la participation universelle. Le retrait des Etats-Unis est déjà une forme de double peine, car on n’avait pas mis de limites contraignantes à l’accord de Paris en premier lieu à la demande… des États-Unis.
Le deuxième risque concerne notre trajectoire d’émissions. L’accord de Paris prévoit que les pays, tous les cinq ans, revoient à la hausse leurs engagements. Or ils doivent le faire cette année, avant la COP30 qui aura lieu à Belém (Brésil) en novembre. On peut craindre que beaucoup de nations, voyant les États-Unis se retirer, se désengagent elles aussi, disant qu’elles ne vont pas augmenter leurs ambitions dans ces conditions. Au contraire, lors de la dernière révision, plusieurs pays – dont la Chine – les avaient augmentées parce qu’ils avaient vu le réengagement de l’administration américaine. C’était une dynamique positive. Ce qui ne sera peut-être pas le cas cette fois-ci, puisqu’on est dans un système de coopération où les engagements des uns sont alignés sur ceux des autres.
Quel est le troisième risque ?
C’est peut-être le plus important, et celui dont on parle le moins : le risque d’immobilisme associé à ces revirements permanents. C’est-à-dire que tous les opérateurs économiques de la transition, les investisseurs et les industriels, voyant qu’on change d’orientation aussi régulièrement, attendent et se disent : « On ne va rien faire car on ne voit pas dans quel sens va évoluer la législation. » La visibilité est un élément absolument crucial de la transition. Si des leaders populistes remettent en cause, d’un coup, tout ce qui a été fait au cours des dernières années, le climat d’instabilité va bloquer les investissements.
Prenez un cas concret. En France, ArcelorMittal, qui est une industrie très lourde, peut moderniser son processus de fabrication d’acier pour réduire ses émissions. Cela coûte 200 millions d’euros. Mais ArcelorMittal dit clairement qu’il ne peut pas se le permettre s’il n’a pas une visibilité à 15 ou 20 ans sur l’évolution de la réglementation ou sur le prix du carbone.
Pensez-vous que le constat est le même que le président des Etats-Unis soit démocrate ou républicain ?
Je n’avais pas sauté de joie, contrairement à tous mes collègues, quand Joe Biden a fait revenir les Etats-Unis dans l’accord de Paris. Car cela créait l’idée d’un engagement américain à géométrie variable, en fonction de la couleur politique du président. Or il y aura toujours des alternances, c’est la démocratie. La difficulté, pour les investisseurs, est de ne pas savoir à quoi s’en tenir sur le long terme.
Quelle stratégie l’Union Européenne doit-elle tenir face à un Donald Trump pro-business et anti-climat ?
Je considère que celle adoptée en 2019 par le Green Deal était la bonne. L’idée était de tracer une voie européenne qui soit aussi un nouveau modèle économique, un nouveau modèle de création de valeur. A l’époque, je le rappelle, le Green Deal était porté par un très large consensus politique, aussi bien défendu par la conservatrice Ursula von der Leyen que par le socialiste Frans Timmermans. Et je ne sais par quel mystère de populisme, de désinformation, de bureaucratie et de maladresse dans la communication, ce qui était en 2019 un nouveau modèle économique est aujourd’hui devenu une sorte de contrainte dont on voudrait s’affranchir.
Suivre la même voie que Donald Trump serait une très grave erreur. D’un point de vue strictement économique, je ne parle même pas du climat, il fait un calcul de très court terme en misant sur ce qu’il reste des énergies fossiles, plutôt qu’en modernisant l’industrie américaine. Il va même, d’une certaine manière, à l’encontre de ce que faisaient les investisseurs ces dernières années. On a vu un énorme boom des renouvelables aux Etats-Unis parce que ceux-ci, souvent mieux avisés que les politiques, comprennent bien que ce seront les énergies du XXIe siècle.
En Europe, on voit qu’un enjeu essentiel pour la compétitivité des entreprises, outre la question fiscale, est celle du prix de l’énergie. Il y est deux fois plus cher qu’aux Etats-Unis, lui-même deux fois plus cher qu’en Chine. Si Donald Trump veut forer du pétrole et du gaz, c’est pour le faire baisser encore davantage. Mais chez nous, on ne peut pas aller chercher du pétrole, du gaz ou du charbon, tout simplement parce qu’on n’en a pas ! Ceux qui veulent se débarrasser du Green Deal et faire une pause sur la transition ne prennent pas en compte cette réalité physique.
On a alors deux solutions. La première : acheter des énergies fossiles à l’étranger. On a acheté du gaz à la Russie, ce qui nous a coûté très cher, on achète du pétrole aux Etats-Unis – et je ne pense pas qu’on ait un prix d’ami. La seconde : produire notre propre énergie. C’est la meilleure chose à faire dans l’intérêt de nos industries – et je raisonne ici comme si le changement climatique n’existait pas. Pour ce faire, deux solutions encore : soit du nucléaire, soit des renouvelables. Ma conviction est qu’il faut faire les deux, autant que possible. La difficulté avec le nucléaire, c’est qu’il coûte cher et demande des investissements, surtout publics, et que les gouvernements n’ont plus d’argent. Il reste les énergies renouvelables. L’avantage, c’est qu’elles sont déployables plus rapidement et que le privé peut venir à la rescousse du public.
Mais il faut avoir une vraie politique énergétique commune. On est dans un système où on a à la fois un marché européen de l’énergie et 27 politiques complètement différentes les unes des autres. On en arrive forcément à des aberrations au niveau des prix pour les industriels. On n’a pas encore véritablement de réseaux connectés intelligents qui permettent de pallier l’intermittence des énergies renouvelables. Il y a donc énormément à faire en la matière, il faut mettre le turbo dans l’intérêt de nos entreprises et de leur compétitivité. Et en plus, c’est bon pour le climat.
Le moyen d’action de l’Europe, c’est donc de ne pas détricoter son Green Deal…
C’est surtout de l’accélérer ! Sincèrement, je pense que les Chinois rient sous cape quand ils voient Donald Trump réinvestir et miser sur les énergies fossiles. C’est comme si Orange, en France, relançait la téléphonie fixe. Je crains, hélas pour les Américains, qu’ils ne soient ridiculisés par la Chine sur le plan énergétique de la même manière qu’ils viennent d’être ridiculisés avec DeepSeek sur l’intelligence artificielle.
L’Union européenne peut-elle monter d’autres alliances avec des États ambitieux sur les questions climatiques, comme le Brésil ou la Chine ?
Précisément à l’époque où les États-Unis sont dans une logique très forte de protectionnisme économique, d’instauration de taxes douanières, et vont se mettre à dos pas mal de pays, en tout cas d’un point de vue commercial, la chance de l’Europe est de négocier des partenariats avec les pays émergents tels que le Brésil, l’Inde, la Chine.
Si elle cherche à nouer avec eux des accords de commerce et de libre-échange qui vont favoriser les biens peu carbonés et les énergies renouvelables, je pense qu’il est possible de faire émerger un nouveau modèle économique. Je suis frappé de voir à quel point on a les yeux rivés sur les États-Unis. Comme si, d’une certaine manière, il fallait suivre leur voie, comme si nous en étions absolument dépendants, alors que nous sommes un plus grand marché commercial ! A mon avis, le futur de l’économie se trouve plutôt dans les pays émergents.
L’économiste Christian Gollier, dans une récente tribune au Monde, émet l’idée – à contre-courant – que l’Europe pourrait à son tour menacer de quitter l’accord de Paris, afin de le sauver. Qu’en pensez-vous ?
Il propose deux options. La première est de nouer des partenariats avec les pays émergents, la seconde de menacer de quitter l’accord de Paris. La première option est clairement la meilleure. Je sens un peu de désespoir chez Christian Gollier. Mais je pense qu’il ne faut pas se laisser entraîner dans une sorte de lamentation et d’auto-flagellation : il faut tracer notre propre voie.
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Author : Baptiste Langlois
Publish date : 2025-02-03 07:00:00
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