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Emilia Pérez », les dessous du scandale avant les Oscars : « On se doutait que ça allait exploser…

Emilia Pérez », les dessous du scandale avant les Oscars : « On se doutait que ça allait exploser…

Les passionnés des Oscars le savent bien – chaque bonne cérémonie doit avoir son grand méchant. Celui de l’édition 2025 a un nom : il s’appelle Emilia Pérez. Le film de Jacques Audiard, parti pourtant grand favori de la compétition avec 13 nominations, est désormais étrillé outre-Atlantique. Dernier épisode en date : l’exhumation d’anciens messages pour le moins virulents de Karla Sofia Gascon, la star du film. L’actrice transgenre s’est défendue ce week-end d’être « raciste » dans une interview à CNN en version espagnole, pour ensuite être écartée de la campagne aux statuettes par Netflix, qui distribue Emilia Pérez aux Etats-Unis. Malgré l’onéreuse campagne menée depuis la fin de l’été par la plateforme de streaming, Emilia Pérez réunissait tous les ingrédients pour attirer les critiques. Depuis l’automne, en coulisses, les contempteurs du film s’activent.

Emilia Pérez est arrivé aux Etats-Unis auréolé de son succès critique à l’international. Le film a été primé deux fois à Cannes – le prix du jury et le prix d’interprétation féminine pour ses trois actrices principales, Karla Sofia Gascon, Zoé Saldana et Selena Gomez. En France, cette reconnaissance s’est accompagnée d’un joli succès en salle – il totalise plus d’un million cent mille entrées – et d’un regard favorable du grand public – il obtient la note 4,2 sur 5 sur Allociné. Entre la fin de l’été et décembre, le film était encore qualifié de « spectaculaire » (l’Américain The Atlantic), « d’immanquable » (par ABC News) et de « divertissement ébouriffant » (le britannique The Guardian), par une partie de la presse anglo-saxonne. Rappelons l’intrigue : une avocate mexicaine exploitée par ses patrons est engagée par un narcotraficant pour l’aider à changer de sexe en toute discrétion. Tour-à-tour comédie musicale, télénovela et drame, le dernier opus de Jacques Audiard est, de plus, tourné davantage en espagnol qu’en anglais. Il a, à cette occasion, réussi un petit tour de force, étant le seul film en langue étrangère à avoir reçu autant de nominations de l’Académie des Oscars.

Lourdement décrié en ligne

Emilia Pérez a triomphé aux Golden Globes, antichambre de la prestigieuse cérémonie. Nommé à dix reprises, le film a décroché quatre trophées dans la nuit du 5 au 6 janvier – meilleur film étranger, meilleure actrice dans un second rôle pour Zoé Saldana, et de la meilleure chanson originale. Les moyens dépensés par Netflix pour la promotion étaient à l’hauteur de l’engouement. Après avoir acheté le film 12 millions de dollars à Cannes, la plateforme a multiplié les avant-premières à Los Angeles et les entretiens de ses actrices dans les late-nights shows, ces émissions de deuxième partie de soirée très populaires aux Etats-Unis. Film international par excellence (produit en France, tourné en langue espagnole, avec des actrices américaines et espagnoles), l’oeuvre rentre parfaitement dans les ambitions de plus en plus globales de l’Académie.

A cela s’ajoute, enfin, un message qui collait a priori parfaitement aux signaux politiques que souhaitait envoyer l’industrie hollywoodienne. « L’Académie des Oscars est composée de 8000 votants, des professionnels du cinéma qui font aussi leurs choix selon un environnement politique, remarque Alain Le Diberder, ancien conseiller au cabinet de Jack Lang et directeur des programmes d’Arte de 2012 à 2017. Dans le contexte politique américain actuel, des attaques de Donald Trump sur les personnes transgenres, ils ont pu vouloir envoyer un signal ».

Mais avant même que l’Académie ne pense avoir trouvé un symbole, le film était déjà lourdement décrié en ligne. Sur les sites Rotten Tomatoes et Letterboxd, deux agrégateurs de critiques des spectateurs américains, Emilia Pérez ne recueille respectivement que 18 % d’opinions favorables, et 2,2 étoiles sur 5 – des notes historiquement basses pour une oeuvre nommée dans la catégorie « Meilleur film ». Ces notes expriment notamment la colère de spectateurs mexicains, très critiques à l’égard d’un film majoritairement tourné en studio, en France, et dont le casting principal est américain ou espagnol (comme son actrice principale, Madrilène). Accusé de traiter avec légèreté le sujet des cartels de la drogue, l’oeuvre de Jacques Audiard est aussi moquée pour la prononciation hasardeuse de ses actrices (la pop star Selena Gomez, notamment, et ses difficultés avec le chant en espagnol). A tel point qu’une parodie se moquant des Français au nom d’un « hommage à Emilia Perez« , « Johanne Sacrebleu » a été publiée sur YouTube courant janvier par une réalisatrice espagnole.

Appeau à polémiques

Accusée de nourrir les stéréotypes sur le Mexique, Emilia Perez a également été critiquée par… des militants LGBT, comme la puissante association américaine Glaad. Dès le 15 novembre, un communiqué de l’organisation dénonçait un film qui n’est « pas une bonne représentation pour la communauté trans », peignant « un portrait rétrograde d’une femme trans ». Critiquée à l’étranger et sur sa gauche, Emilia Pérez a été, dans le même temps, l’objet de critiques enflammées de sites conservateurs, comme le Daily Wire. Dès l’automne, le film vanté par l’establishment d’Hollywood était donc attaqué des deux côtés du spectre politique sur Internet. « C’était couru d’avance. Le film manie des thématiques tellement sensibles qu’il est de toute manière un appeau à polémiques », estime un consultant responsable de plusieurs campagnes pour des films nommés aux Oscars.

Dans le monde fait de coups bas et gros sous d’Hollywood, l’idée d’une campagne de dénigrement délibérément orchestrée contre Emilia Pérez flotte dans l’air. Avant même que le scandale ne perce la bulle Internet, le film était devenu un sujet brûlant, alimentant joyeusement la machine à clics. Sur YouTube, les vidéos étrillant le film dépassent souvent les 300 000 vues, certaines avoisinant le million – en anglais… et en espagnol. « Mais même sans penser à une campagne orchestrée, le phénomène se nourrit de lui-même. Dès les premières projections à Los Angeles, en octobre, je me rappelle qu’on se disait tous ‘ça va exploser’. On ne savait juste pas quand », poursuit ce consultant.

Conséquence de cette attention inouïe sur le favori de l’année, le moindre mouvement des acteurs et de leur passé a été scruté. Jusqu’à ce que, inévitablement, une journaliste indépendante, Sarah Hagi – niant avoir été missionnée par un tiers – finisse par retrouver les tweets passés de Karla Sofia Gascon. Dans ces derniers, l’actrice s’en prend pêle-mêle à l’Islam (« devenu un foyer d’infection »), aux « descendants d’esclaves » et critique la diversité aux Oscars. Dans une campagne consensuelle, ces déclarations font tâche. Après des excuses de l’actrice, ce 2 février sur CNN, Netflix décide de débarquer sa star, et de la masquer des contenus promotionnels. L’aventure Emilia Pérez continuera sans elle, dans l’espoir de limiter les dégâts. Et le cinéma dans tout ça ?



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-02-06 10:30:00

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