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Au large du Portugal, cette menace russe qui prend forme

Au large du Portugal, cette menace russe qui prend forme


Le système informatique des hôpitaux perturbé, des applications de messagerie qui cessent de recevoir des communications, des entreprises sans Internet et un pays coupé du monde, ou presque. C’est le scénario catastrophique, mais pas tout à fait impensable, redouté par le Portugal, face à l’augmentation de navires russes dans ses eaux, soupçonnés d’espionner des câbles de télécommunications sous-marins.

Ces derniers mois, la marine portugaise a signalé à plusieurs reprises le nombre croissant de bateaux n’étant pas rattachés à des pays de l’Otan, au large de ses côtes. Depuis la guerre en Ukraine, elle a ainsi opéré 133 missions de surveillance, dont 73 en 2024, 46 en 2023 et 14 l’année précédente, la majorité d’entre elles concernant des navires russes.

« Certains transportent des marchandises, cherchant à détourner les sanctions, mais d’autres sont des engins de guerre », précise le Jornal de Notícias, qui mentionne le navire espion Yantar, qui a traversé en novembre la zone maritime portugaise, ou encore de la frégate russe Amiral Gorchkov, « plateforme de tir de missiles hypersoniques », signalée trois fois en un an. Début 2025, la force aérienne portugaise a également photographié le sous-marin Novorossiysk, spécialisé dans les opérations scientifiques et la collecte d’informations.

Um submarino russo da classe Novorossiysk foi monitorizado ontem pela Força Aérea durante uma missão de patrulhamento destinada a proteger o espaço marítimo sob jurisdição nacional.

Saiba mais em: https://t.co/0TJvnfFEmm pic.twitter.com/f0o95WETxX

— Força Aérea Portuguesa (@fap_pt) January 4, 2025

Les câbles de télécommunications en ligne de mire

La menace est prise au sérieux par l’Otan : lors d’une récente visite à Lisbonne, son secrétaire général Mark Rutte avait indiqué auprès du Premier ministre portugais, Luís Montenegro, que « des navires et bombardiers à longue portée russes menacent les côtes portugaises ». Pour le lieutenant-colonel João Alvelos, membre de l’Observatoire sur la Sécurité, la Criminalité Organisée et le terrorisme (OSCOT), il ne fait « aucun doute » que ces opérations ciblent les câbles maritimes en eaux portugaises, par lesquels transitent 10 à 15 % des communications internationales.

En mars 2023, le chef d’état-major de la marine lui-même, le vice-amiral Henrique Gouveia e Melo, avait confirmé l’espionnage de câbles par un navire russe, au large de Porto Santo, à Madère. L’internet mondial est, en effet, assuré à 97 % par un réseau sous-marin de centaines de milliers de kilomètres reliant les continents entre eux, dont une vingtaine des câbles les plus importants passe par le Portugal.

Au total, ce sont une vingtaine de câbles sous-marins qui transitent par le Portugal vers l’Amérique, l’Afrique ou encore le Moyen-Orient. Crédits : Submarine Cable Map.

En mars 2024, le pays a notamment relié le câble de fibre optique 2Africa (administré, entre autres, par Meta, Orange et China Mobile International), le plus important au monde, à la station de Carcavelos, près de Lisbonne. D’une longueur de 45 000 kilomètres, il permet la communication entre 33 pays d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. « Il offre une capacité supplémentaire pour répondre à la demande mondiale croissante en télécommunications : services internet, visioconférences, applications multimédia et mobiles avancées pour la vidéo numérique, télévision haute définition, cloud », écrivait à l’époque le Jornal de Negócios.

« Infrastructure critique »

Mais les spécialistes s’inquiètent des conséquences d’une attaque contre ces installations, aussi bien au Portugal qu’à l’étranger. D’autant plus après le sabotage de plusieurs câbles en mer Baltique fin 2024, impliquant des navires chinois et russes. « Le fonctionnement entier de nos communications et de notre économie digitalisée est dépendant d’une infrastructure physique critique qui peut être endommagée », explique Sandra Fernandes, spécialiste en relations internationales à l’Université du Minho, auprès du Jornal de Notícias. Actuellement, des milliards d’euros de transaction empruntent chaque jour ces voies sous-marines : une interruption de ces connexions pourrait ainsi générer de graves troubles économiques.

« Saboter un câble comme ceux-là, c’est interrompre l’échange d’informations pendant six mois, au mieux […] et j’ai des doutes sur le fait qu’il existe un sous-marin qui soit capable de les réparer », indique le lieutenant-colonel João Alvelos, membre de l’OSCOT, au même journal. De son côté, le directeur de la cybersécurité d’agap2IT, une entreprise portugaise opérant dans le secteur des systèmes d’information, se montre plus prudent.

L’endommagement d’un câble ne signifie pas automatiquement une déconnexion d’Internet, explique Marcelo Nascimento auprès de CNN Portugal, affirmant qu’il existe des mécanismes de sécurité pouvant être activés dans ce scénario : « Il existe d’autres moyens d’obtenir des informations, les satellites en font partie. Cela fonctionne pour les données mobiles, par exemple ».

Christian Bueger, expert en sécurité maritime, et auteur d’un rapport de la commission européenne paru en 2022, alerte quant à lui depuis plusieurs années sur ce risque. « Dans des pays comme la France et le Portugal, la sécurité des câbles sous-marins est un enjeu croissant pour les forces navales », explique la note. Mais un défi demeure : s’il existe plusieurs accords et conventions au niveau international qui peuvent englober la protection des câbles sous-marins, « il subsiste néanmoins un vide juridique sur sa mise en pratique ».





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Publish date : 2025-02-07 07:00:00

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