L’Express

Que lire en attendant le printemps ? Notre sélection à dévorer au chaud pour s’évader

Que lire en attendant le printemps ? Notre sélection à dévorer au chaud pour s’évader


Jean Rolin

Tous passaient sans effroi

C’est qu’il a des fourmis dans les jambes cet écrivain. Après avoir arpenté la banlieue (Zones) et les chemins de France (Traverses, tout juste réédité dans la Petite Vermillon), relaté ses correspondances de guerre (Campagnes) et une bataille oubliée (Peleliu), revisité ses années mao (L’Organisation), poursuivi le traquet kurde dans les montagnes du Kurdistan irakien et sur le mont Nemrut (Le Traquet kurde) ou encore les papillons du genre Morpho, en Guyane (Les Papillons du bagne), le voilà dans les Pyrénées sur la trace des « évadés de France ». Il ne se hausse pas du col, Jean Rolin, à son âge, ses franchissements de la chaîne montagneuse ne sont plus si aisés. Mais n’écoutant que son devoir (d’écrivain intrépide), il s’est mis dans les pas de ceux qui, durant la Seconde Guerre mondiale, aviateurs alliés, réfractaires au STO, résistants ou juifs, ont rejoint (ou tenté) l’Espagne par divers cols – ils furent ainsi 30 000 à fuir le joug nazi.

Comme à son habitude, Jean Rolin a longuement enquêté sur les filières d’évasion, ses héros (Philippe Raichlen, Bud Owens, Olof Ballinger, Raymond Couraud, Walter Benjamin, Théodore Fraenkel, Jean-Pierre Grumbach (Melville)) et ses félons, à l’instar de nombre de passeurs à la motivation financière exclusive. Saint-Girons, Suc, Port de Rat, Port de Lers, Port d’Arinsal, Banyuls, col de Rumpissar, passage du Pas-de-Bouc au fil des pages et des pérégrinations de l’homme aux semelles de vent, on se familiarise avec tous ces lieux de passage, et on est séduit, comme à l’accoutumée, par la qualité du détail, le charme des digressions, la fausse nonchalance et la poésie teintée d’humour de Jean Rolin. Marianne Payot

Tous passaient sans effroi, par Jean Rolin. P. O. L., 160 p., 18 €.

Michael Connelly

A qui sait attendre

Le nouveau thriller de Michael Connelly

Six mois à peine après la publication en France de Sans l’ombre d’un doute, dévolu à l’avocat Mickey Haller, voici un nouveau polar du prodigue Michael Connelly, dont l’intrigue se déroule, comme à l’habitude, dans la mégalopole de Los Angeles. Le personnage principal en est cette fois l’inspectrice responsable de l’Unité des affaires non résolues, Renée Ballard, laquelle connaît dès les premières pages une sérieuse déconvenue : au retour d’une séance matinale de surf, elle découvre son véhicule fracturé. Son arme et son badge lui ont été subtilisés. Ballard décide de n’en rien dire – la sanction pourrait être lourde – et de remonter la piste du larcin par ses propres moyens, avec un coup de main de son vieil ami Harry Bosch. En parallèle, elle et son équipe constituée de volontaires, coupes budgétaires oblige, récoltent un indice prometteur : un homme vient d’être arrêté pour violences domestiques, dont l’ADN indique qu’il serait le fils du « violeur à la taie d’oreiller », lequel a abusé de nombreuses femmes dans les années 1990 et 2000 sans jamais être identifié.

Plus de trente ans après ses débuts, Connelly a ceci d’admirable qu’il n’use d’aucune facilité : seule l’exactitude de l’enquête et des personnages l’intéresse. Cette minutie lui vaut d’emporter le lecteur dès les premières pages, sans effets de style, et surtout là où il ne s’y attend pas. Les enquêtes de Ballard l’amèneront cette fois aussi bien à croiser des émeutiers du Capitole planifiant un attentat de masse qu’à exhumer la légendaire affaire du Dahlia noir, datant de 1947. Renouvelant ses personnages et ses intrigues, puisées aussi bien dans l’actualité que dans un lointain passé, Michael Connelly fait montre d’un souffle intact, et continue de couper celui du lecteur. Bertrand Bouard

A qui sait attendre, par Michael Connelly, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin. Calmann-Lévy Noir, 470 P., 22,90 €.

Daniel Parokia

Croisière avec une femme silencieuse

Cela commence par un saisissement amoureux : en arpentant le pont du Floréal, un yacht de croisière, Paul Chiesa aperçoit la silhouette d’une jeune femme dans le contrejour du soleil couchant, coiffée d’un chapeau de paille, vêtue d’une robe légère, et tout vacille. Universitaire spécialiste de l’intelligence artificielle, la quarantaine, « célibataire par négligence », Paul s’est embarqué pour ce séjour entre la Finlande et la Russie en pleine pandémie de Covid sans trop savoir à quoi s’attendre, lui qui cherche « fut-ce passagèrement, un semblant de bonheur ». Il se rapproche de la belle, tente de lier conversation, mais celle-ci se contente de lui sourire à chaque tentative. Il essaie d’en apprendre plus auprès de sa famille, laquelle lui déconseille vivement de poursuivre ses manœuvres. Mais les informations lui viennent. Alix de Torgues a perdu la parole à la suite d’un accident de voiture sur une route de l’Alpe d’Huez, lors de laquelle le conducteur est décédé. La lourdeur du traumatisme n’entame en rien la fascination de Paul pour la jeune femme.

Il y a une langueur propre aux phrases de Daniel Parokia, de même qu’une élégance : « Ce que j’éprouvais était en fait une sorte de gratitude à l’égard d’un monde capable de nous offrir, de temps en temps, malgré la fange dans laquelle, ordinairement, il baigne, de tels moments de limpidité. » Une indéniable mélancolie, également, mais non dénuée d’humour et qui finira par se dissiper au fil d’un récit ménageant ses effets, louvoyant avec la tragédie pour parvenir, in extremis, à un dénouement lumineux. B. B.

Croisière avec une femme silencieuse, par Daniel Parokia. Buchet-Chastel, 306 P., 22 €.

Emilia Cinzia Perri et Silvia Vanni

Sylvia, Shakespeare & Co

La biographie graphique de la fondatrice de la fameuse librairie américaine de Paris

Quelle femme ! Oui, quelle femme cette Sylvia Beach, née Nancy Woodbridge Beach à Baltimore (Maryland) en 1887, et décédée en octobre 1962, à Paris, sa cité d’adoption. Ce nom ne vous dit peut-être rien, en revanche, celui de la librairie Shakespeare and Company vous parle peut-être plus. Créée en 1919 par la dite-dame rue Dupuytren, dans le 6e arrondissement, elle est vite devenue le repère des Américains de Paris dans l’entre-deux-guerres, jusqu’à sa fermeture, en 1949. Mais son esprit a perduré grâce à George Whitman, qui rebaptisa la sienne (située à une encablure de Notre-Dame) de ce nom, en l’honneur de Sylvia Beach. C’est cette dernière qui fait l’objet d’une biographie graphique rondement menée par l’auteure et professeure de littérature Emilia Cinzia Perri et l’illustratrice Silvia Vanni.

On découvre la future libraire, fille de pasteur presbytérien de Princeton, toute à ses rêveries et lectures, puis sillonnant l’Europe avec sa mère avant de s’installer en 1917 à Paris. Les rencontres vont bientôt s’enchaîner, à commencer par celle d’Adrienne Monnier, dont la librairie 7, rue de l’Odéon, « La Maison des Amis des Livres », spécialisée en littérature française moderne, fait aussi office de bibliothèque en accès libre et de repère pour les « Potassons », une bande d’écrivains iconoclastes, Léon-Paul Fargue, Louis Aragon, Valery Larbaud, André Gide, Paul Valéry… Chez Sylvia Beach, bientôt compagne d’Adrienne Monnier, vont passer Gertrude Stein, Thomas Eliot, Hemingway… et James Joyce, dont elle va publier, en 1922, au prix de bien des vicissitudes, le sulfureux Ulysse, qui sera censuré aux Etats-Unis pour obscénité. Pas mal pour une fille de pasteur ! M. P.

Sylvia, Shakespeare & Co, par Emilia Cinzia Perri et Silvia Vanni. Vuibert Graphic, 176 p., 22,50 €.

Vincent Maillard

La Spirale du Milan Royal

Le rituel de la famille Coll dure depuis vingt-six ans, et doit à des circonstances dramatiques. Chaque année, les parents, Guillaume et Hélène, leur fille Joséphine et leur fils Alexandre se réunissent pour célébrer le souvenir de l’aîné, Baptiste, disparu dans un accident d’escalade en Ardèche à l’âge de 19 ans. Une mort qui a toujours étonné ses proches : Baptiste était un grimpeur chevronné, adepte du free solo (à mains nues et sans corde), qui avait maintes fois gravi la falaise de laquelle il a chuté. Cette année, Joséphine a profité de son embauche comme chanteuse à bord d’un bateau de croisière dans la Méditerranée pour inviter à bord, à un tarif avantageux, le reste de sa famille. Elle s’y fait draguer dès le premier soir par un certain Cédric Rossignol, un élu Renaissance de l’Ardèche, venu avec sa maîtresse de longue date, Laure Combaluzier. Laquelle, quelques jours plus tard, se jette du bateau sous les yeux de son amant.

La Spirale du milan royal est un récit à la construction d’orfèvre : les allers-retours entre passé et présent permettront d’éclairer les rapports qu’entretiennent les histoires de Laure et de Baptiste. Vincent Maillard adapte son écriture en fonction du narrateur : contrôlée quand il s’agit du père qui s’efforce d’être vaillant ; plus déjantée lorsque Joséphine parle, personnage en révolte et aux réflexions drolatiques sur le monde, à commencer par celui de la croisière. Cette fine observation des attitudes face au deuil se double d’une intrigue policière – comment Baptiste est-il vraiment mort ? – dont la résolution devra tout, en effet, après de jolis détours, au majestueux volatile qui donne son titre à ce roman singulier et attachant. B. B.

La Spirale du Milan Royal, par Vincent Maillard. Philippe Rey, 306 P., 21 €.

Eliane Patriarca

Joseph Vallot. L’histoire méconnue d’un savant alpiniste

Le portrait de cet étonnant scientifique naturaliste et alpiniste

Trente-quatre, c’est le nombre d’ascensions du massif du Mont-Blanc (4 810 mètres) qu’a effectuées de 1886 à 1920 un certain Joseph Vallot (1854-1925) ! Et cela à une époque où le mont Blanc est encore considéré « comme une sorte de Minotaure qui dévore de temps quelques voyageurs » et où la grimpe vers les hauts sommets relève du véritable exploit et de l’aventure, surtout lorsqu’on y bivouaque (en 1887, une première mondiale !) durant quelque 72 heures pour faire des recherches scientifiques. Joseph Vallot était en outre et surtout un scientifique singulier, aux multiples facettes, à la fois botaniste, géologue, météorologue et glaciologue.

Tout cela on l’apprend sous la plume avertie de la journaliste Eliane Patriarca, auteure de ce Joseph Vallot. L’histoire méconnue d’un savant alpiniste. A l’actif du natif de Lodève (Hérault), entre autres, un observatoire météorologique du mont Blanc ouvert à tout chercheur de 1890 à 1925 (et rénové aujourd’hui à l’occasion des 100 ans de sa mort). Les Cévennes, Paris, Chamonix (où se cache toujours un Payot, qu’il soit guide ou maire), Nice… On suit avec plaisir le trépidant parcours de cet insatiable touche-à-tout. M. P.

Joseph Vallot. L’histoire méconnue d’un savant alpiniste, par Eliane Patriarca. Glénat, 168 p., 19,95 €. (en librairie le 12 février)

Tatiana de Rosnay

Poussière blonde

Eté 1960, Reno. Pauline est une fille-mère de 21 ans, engrossée par le séduisant et cynique Kenndall Spencer, directeur adjoint de l’hôtel phare de la cité, le Mapes Hotel, qui l’a embauchée comme femme de ménage des toilettes pour dames. Elle est jeune et jolie et courbe gentiment l’échine. Mais une rencontre va radicalement changer la vie de Pauline : celle avec l’occupante de la suite 614, une femme hagarde, aux yeux rougis et au teint blafard, une certaine Mrs Miller. Elle ne la reconnaît pas, mais il s’agit bien évidemment de Marilyn Monroe, venue tourner sous la direction de John Huston ce qui sera son dernier film, Les Désaxés, l’adaptation mythique des Misfits d’Arthur Miller, son mari, avec lequel les relations sont des plus houleuses.

Auprès d’elle, Clark Gable, Montgomery Clift, Eli Wallach… Mais, ici, c’est la garde rapprochée de la star que l’on suit, Paula Strasberg, sa professeur d’art dramatique, Raph, son masseur, Agnes Flamagan, sa coiffeuse, Whitey, son maquilleur, May Reis, sa secrétaire. A l’instar de Marilyn, ils se prennent d’amitié pour Pauline, qui intègre quasiment « la joyeuse clique », notamment lors d’une soirée mémorable et avinée. Mais Marilyn ne l’est pas souvent, joyeuse. Tout le propos de Tatiana de Rosnay est là, justement : nous montrer, à travers le regard de Pauline, le terrible mal-être de celle qui mourra deux ans plus tard, à l’âge de 36 ans (par surdose involontaire de barbituriques, une option choisie par l’auteure). Elle s’y emploie avec dextérité dans cet attachant roman grand public. M. P.

Poussière blonde, par Tatiana de Rosnay. Le Livre de poche, 384 p., 9,40 €.

Eric-Emmanuel Schmitt

Le Défi de Jérusalem

Tout est parti d’un coup de fil du Vatican qui souhaite l’envoyer en Terre sainte. A peine étonné, Eric-Emmanuel Schmitt accepte, désireux d’effecteur un tel séjour depuis des lustres. Et l’académicien Goncourt de revêtir l’habit du parfait pèlerin en septembre 2022. Avant de fouler les lieux saints, il nous rappelle que, fils de parents sceptiques, il était athée, jusqu’à cette nuit mystique de février 1989 passée à Tamanrasset pour écrire sur Charles de Foucauld, qui le vit se réveiller croyant.

Le voilà donc à Nazareth, chez les Sœurs de Notre-Dame, en compagnie de pèlerins réunionnais. Rebelle aux cérémonies liturgiques, il « barbote dans l’inconfort » lors de ses premières vêpres, puis tombe par trois fois de son lit étroit… Lac de Tibériade (Jésus ressuscité) et sa vilaine chapelle, Capharnaüm (recrutement des disciples), mont des Béatitudes (Sermon sur la montagne)… De quoi revisiter agréablement son catéchisme au fil de la plume inspirée du dramaturge franco-belge qui va connaître, en l’église du Saint Sépulcre, à Jérusalem, sa deuxième révélation, sous la forme d’un Dieu doté de chair et de sang. Et qui, tout comme le Pape, postfacier de ce carnet de pèlerin, n’oublie pas, en cette terre des trois monothéismes, d’appeler au « doux parfum de la paix » dans le monde. Tout cela, bien avant le 7 octobre 2023… M. P.

Le Défi de Jérusalem, par Eric-Emmanuel Schmitt. Le Livre de poche, 216 p., 8,40 €.

Éric Chacour

Ce que je sais de toi

Prix Première Plume, prix Femina des lycéens, plus de 120 000 exemplaires vendus depuis août 2023 chez son éditeur Philippe Rey… La réussite du premier roman du Québécois Éric Chacour est flagrante. Et hautement mérité. Né à Montréal de parents égyptiens, l’auteur, consultant dans le secteur banquier, a mis des années pour écrire sa fiction. Bien lui en a pris tant tout dans cette histoire – sa construction astucieuse, son écriture limpide, son propos déroutant, et l’attachante communauté levantine du Caire qui lui tient lieu de décor – ravit le lecteur. Dès l’ouverture, son intérêt est aiguisé par ce « tu » manié par le narrateur pour s’adresser au héros du roman, Tarek, dont le destin se dessine à l’âge de 12 ans. Médecin, Tarek sera médecin, comme son père, et pour la grande satisfaction de sa mère, parfaite représentante de sa communauté chrétienne, bourgeoise et occidentalisée, sorte de « bulle allogène » de plus en plus anachronique dans l’Egypte des années 1970.

Très vite, la vie de Tarek est sur les rails, entre ses activités hospitalières et son mariage avec la sympathique Mira, qui le rejoint dans la grande demeure familiale où vivent aussi Nesrine. Seule « entaille » à son parcours balisé : le dispensaire qu’il crée pour les déshérités de la décharge du Moqattam. Il y prend sous son aile le jeune Ali, dont il tombe bientôt amoureux. Courroux de la famille et de la communauté, Tarek s’envole pour Montréal en 1984. Reste la moitié du roman, dont il serait « criminel » de vous dévoiler la teneur… M. P.

Ce que je sais de toi, par Éric Chacour. Folio, 336 p., 9,50 €.



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Author : Marianne Payot

Publish date : 2025-02-09 12:00:00

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