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Un contrat à 120 000 euros au-dessus de la tête : aux Baumettes, les « coups de pression » des narcotrafiquants

Un contrat à 120 000 euros au-dessus de la tête : aux Baumettes, les « coups de pression » des narcotrafiquants

Combien vaut, selon les narcotrafiquants, une vie humaine ? Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux au début du mois de décembre dernier, celle d’un chef de détention adjoint de la prison marseillaise des Baumettes a été mise à prix pour « 120 000 euros ». Selon plusieurs sources syndicales, le nom de ce surveillant et l’adresse exacte de son domicile y ont été diffusés, à l’attention de tout exécutant susceptible d’honorer ce « contrat ». « On monte d’un cran dans la violence. Il y a toujours eu des menaces, mais là, il n’y a plus de limites », soupire Catherine Forzi, surveillante aux Baumettes depuis plus de vingt ans et secrétaire locale pour le syndicat FO Justice.

Dans le huis clos de la prison, les faits semblent s’être enchaînés à une vitesse impressionnante. Tout remonte à la fin du mois de novembre, alors qu’un détenu, soupçonné d’appartenir au « haut du spectre » de la DZ Mafia – l’un des plus importants clans de trafiquants de drogue marseillais – conteste ses conditions de détention au quartier d’isolement, et obtient de s’entretenir avec la cheffe d’établissement, Karine Lagier. « C’était surtout à propos des fouilles et de sa vie en cellule. Il y a eu un échange houleux entre les deux, il lui a tenu des propos désobligeants et déplacés », raconte Jean-Charles Allen, surveillant au centre pénitentiaire et secrétaire local de l’Ufap-Unsa Justice. A la suite de cet échange, la cheffe d’établissement dépose plainte. Le vendredi 29 novembre, le détenu comparaît en commission de discipline, présidée par le chef adjoint de détention, qui le condamne à plusieurs jours de quartier disciplinaire.

« Il n’était pas du tout d’accord avec cette sanction, le ton est monté, et c’est dans le week-end que la fameuse vidéo est sortie sur les réseaux sociaux », résume Jean-Charles Allen, qui précise qu’à ce stade, rien ne permet de savoir si cette vidéo a été mise en ligne « par le détenu lui-même, par son réseau à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison, ou même par d’autres détenus qui ont eu vent de l’affaire ». « Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a des téléphones aux Baumettes, et que c’est très facile d’avoir accès aux réseaux sociaux », assure le syndicaliste, dépité. Dans un tel contexte, ces menaces sont prises très au sérieux par l’administration : dès le 1er décembre, le procureur de Marseille Nicolas Bessone ouvre une enquête à la suite de « manœuvres d’intimidation et de menaces à l’encontre du personnel » des Baumettes.

« Situation exceptionnellement grave et sérieuse »

En parallèle, des patrouilles de police supplémentaires sont envoyées régulièrement en observation à proximité de la prison et de la résidence Les Baumes, qui jouxte le centre de détention et héberge de nombreux agents pénitentiaires. « Il faut rappeler qu’au mois de septembre précédent, un départ d’incendie avait eu lieu devant le domicile d’un autre surveillant, voisin du fameux chef de détention. La situation avait de quoi nous inquiéter », relate Catherine Forzi. Dans la nuit du dimanche 1er décembre au lundi 2 décembre, l’une de ces patrouilles de la brigade anticriminalité sud croise un véhicule aux abords de la prison, « conduit par deux individus cagoulés, vêtus de noir », rapporte une source policière à L’Express. Une « course-poursuite » débute alors, avant que la voiture ne s’encastre dans un rond-point. Les deux hommes sont interpellés – un couteau sera retrouvé dans le véhicule, et un « pistolet chargé » dans un sac, jeté quelques instants plus tôt par les fuyards. Les deux suspects, âgés « de 17 et 21 ans », ne sont pas marseillais. Selon la même source, l’un était originaire « de région parisienne, et l’autre d’Avignon ».

Sans qu’un lien ne puisse encore être établi entre ces deux événements, Nicolas Bessone confirme, dans un communiqué du 6 décembre, que ces deux suspects ont été placés en garde à vue puis mis en examen, notamment pour « tentative d’homicide volontaire avec préméditation ou guet-apens », « participation à un groupement en vue de la préparation d’un assassinat en bande organisée » et « menaces, violences, ou tout autre acte d’intimidation » sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Dans la foulée, Karine Lagier et son chef de détention adjoint sont temporairement éloignés de leurs fonctions respectives, et placés sous protection policière. Depuis, aucun d’entre eux n’a repris son poste à la prison des Baumettes. Contactée, l’administration pénitentiaire évoque auprès de L’Express une situation « exceptionnellement grave et sérieuse », et assure que « des mesures de protection appropriées ont été immédiatement organisées » pour garantir la sécurité de ces agents.

« Si tu m’embêtes, je vais te faire pareil »

Alors que l’enquête est encore en cours, ni Karine Lagier, ni le parquet de Marseille n’ont répondu aux sollicitations de L’Express sur les suites de l’affaire. Mais selon une source pénitentiaire, le détenu mis en cause aurait, de son côté, été transféré dans un autre établissement, et les deux personnes arrêtées à proximité de la prison seraient actuellement incarcérées « hors de la région ». En attendant, le personnel des Baumettes tente d’assurer au mieux ses missions, même si les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir chez les détenus. « Le message envoyé n’est pas le bon, parce qu’aujourd’hui certains nous lancent : ‘Si tu m’embêtes, je vais te faire pareil’. Ils disent ça en rigolant, mais ils le disent quand même », regrette Catherine Forzi.

Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Ufap-Unsa Justice, ne cache pas son inquiétude en énumérant les faits de violence vécus par d’autres personnels ces derniers mois : en juillet, une surveillante de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes était rouée de coups sur le parking de son domicile après une altercation avec un détenu emprisonné pour une affaire de stupéfiants ; un an plus tôt, l’un de ses collègues de la même prison était victime d’une tentative d’incendie de son véhicule, garé devant chez lui – mis en examen en octobre dernier, l’un des auteurs a admis avoir répondu à un contrat pour « lui mettre un coup de pression » pour « 5 000 euros » ; en septembre, un surveillant de la prison de la Santé, à Paris, était agressé par trois personnes à son domicile, lui reprochant de récentes fouilles au quartier d’isolement. Alors que Gérald Darmanin a annoncé début janvier la création d’une prison « test » dédiée à la détention des « 100 plus gros narcotrafiquants de France », le représentant syndical réclame une « réflexion poussée » sur la protection des agents, et fait part de ses interrogations : « Qu’on réussisse ou non à fabriquer une prison-bunker, il y aura toujours des failles et des pressions sur les agents. Comment fait-on pour minimiser ce risque ? »



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2025-02-11 07:00:00

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