Ils sont scandalisés, en colère… et surtout très inquiets pour le futur. Depuis l’élection de Donald Trump, la science est la cible d’attaques inédites aux Etats-Unis. Budgets amputés, licenciements, censure : tous les secteurs – santé, environnement, recherche fondamentale – sont touchés. Face à cette situation alarmante, les scientifiques ont lancé le mouvement Stand Up for Science (Défendre la science), qui vise à alerter l’opinion publique face à ces dangers. Leurs collègues français ont également manifesté et organisé des conférences dans tout l’Hexagone ce vendredi 7 mars afin de les soutenir et expliquer que nous sommes tous concernés.
L’Express a pu échanger avec quatre scientifiques de premier plan qui participent au mouvement, Françoise Combes, astrophysicienne, professeur au collège de France et présidente de l’Académie des sciences ; Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Haut conseil pour le climat et ex-coprésidente du Giec ; Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux ; et Dominique Costagliola, épidémiologiste, biostatisticienne, spécialiste du sida et des maladies infectieuses. Ils nous expliquent pourquoi il est capital de soutenir la science face à ce qu’ils qualifient tous d’un retour à l’obscurantisme.
Françoise Combes : « Certains mots deviennent interdits »
« Il est essentiel de montrer notre solidarité envers nos collègues et amis scientifiques aux Etats-Unis. Ils subissent des actions soudaines et violentes de la part de l’administration Trump : coupes dans les budgets de la recherche, licenciements de chercheurs précaires, étudiants et postdoctorants, interdiction de travailler dans certains secteurs liés au climat et à l’environnement ou à la santé.
La science est internationale, nous collaborons avec eux et ces actions auront un impact non seulement aux Etats-Unis, mais dans le monde entier. Les vérités scientifiques sont déjà bafouées au profit d’informations fausses. Certains sujets et même certains termes de vocabulaire deviennent interdits. Nous devons nous battre pour la liberté de la science. Nous devons la défendre contre l’obscurantisme. »
Valérie Masson-Delmotte : « Les conséquences nous concernent tous »
« La science pour le climat est particulièrement mondialisée. Nous devons collaborer, partager en permanence nos données, comparer nos modèles. Forcément, ce qui se passe aux Etats-Unis nous interpelle. J’ai été particulièrement sidérée de voir comment certains scientifiques ont été humiliés. Des chercheurs ont désormais l’interdiction de parler aux médias. D’autres sont licenciés du jour au lendemain. 10 % du personnel de l’Agence de financement de la recherche a été remercié. 800 personnes ont été licenciées à l’Agence nationale des océans et de l’atmosphère. Le budget de l’Agence de protection de l’environnement a été amputé de 65 %.
Il y a aussi la censure de tous les projets ‘Diversité, équité et inclusion’ (DEI, programme qui promeut l’inclusion et la lutte contre les discriminations envers les minorités). Les recherches en lien avec les inégalités environnementales, la justice environnementale et la protection des écosystèmes et du climat sont donc touchées. Le premier rapport américain sur l’état de la nature, qui est terminé, ne sera par exemple pas publié. Et des informations liées au changement climatique ont été effacées des sites des ministères de l’Agriculture, du Transport, de l’Energie et de l’Agence de protection de l’environnement.
Qu’est-ce que l’obscurantisme ? C’est quand on fait en sorte que les connaissances scientifiques ne soient plus accessibles à tous et qu’on diffuse de la désinformation. Quand la vision de quelques-uns est imposée contre l’intérêt général. C’est cohérent avec ce que nous observons aujourd’hui. L’idée sous-jacente du projet 2025 [NDLR : issu du think-tank conservateur Heritage Fondation] est de tout privatiser, de se débarrasser du service public. C’est une forme de sabotage de la science. Cela va affaiblir le progrès du savoir, sa mise à disposition du grand public et son utilisation pour éclairer la politique.
Les conséquences nous concernent tous. 23 % des articles scientifiques publiés ces cinq dernières sont signés par au moins un chercheur américain. Les Etats-Unis réalisent 50 % de la surveillance de l’océan. Le rendu du futur rapport du Giec, prévu en 2028, sera probablement retardé. Ne pensez pas que l’Europe est épargnée. Le livre Climat obstruction across Europe décrit très bien comment l’obstruction contre le climat est organisée aux Etats-Unis et en Europe, les méthodes et outils utilisés, les think-tanks impliqués. J’ai aussi été très choquée par le manque de réaction, en France, quand les entrées de l’Institut national de la recherche agronomique et de l’Office de la biodiversité ont été murées par des agriculteurs il y a quelques mois. »
Mathieu Molimard : « Attaquer la science, c’est hypothéquer l’avenir »
« Nous assistons à des attaques sans précédent contre la science depuis des années. Mais le phénomène s’accélère de manière dramatique avec l’arrivée de Trump, qui est marquée par des choses impensables qui s’apparentent à de véritables autodafés. C’est une censure de la science. Il y a même un antivax à la tête du ministère de la Santé, Robert Kennedy Jr., qui prône une chasse à l’homme contre Anthony Fauci [NDLR : immunologue de renom et ancien conseiller Covid-19 de Donald Trump].
Mais le risque ne se limite pas aux Etats-Unis. Depuis des années, la recherche et l’université sont le parent pauvre des budgets en France. Nous avons observé des attaques contre la science tout au long de la crise Covid, avec la remise en cause des méthodes scientifiques, la propagation de méconduites éthiques, ainsi que du charlatanisme et des manipulations populistes où les opinions prennent le pas sur la science. Les chercheurs dont les conclusions ne correspondent pas aux croyances établies sont harcelés et menacés de mort ; c’est du jamais-vu depuis des décennies. Tout cela sans que les autorités réagissent, ou trop peu. C’est très inquiétant.
Il faut sensibiliser la population sur le danger que représentent ces attaques qui sapent la confiance dans les faits et les preuves, ainsi que dans les institutions, au profit de croyances et de récits alternatifs. Elles remettent en question la liberté de recherche et d’expression, qui est un pilier fondamental de la démocratie. Ces attaques vont à l’encontre des idéaux des Lumières, qui sont à l’origine du progrès et de l’émancipation humaine par l’éducation, la connaissance, le débat et la critique. Elles favorisent un retour vers l’obscurantisme qui permet de soumettre les ignorants. C’est pour tout cela que j’ai manifesté aujourd’hui avec mes collègues de l’Université de Bordeaux. La science, la recherche, ce sont des biens communs. Les attaquer, c’est hypothéquer l’avenir. »
Dominique Costagliola : « Cela peut nous arriver ici aussi »
« La situation mondiale est terrifiante. Il y a une attaque générale contre la science et la santé. Les financements du Plan d’urgence du président pour la lutte contre le Sida (PEPFAR) et de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international ont été coupés. Sans elles, il va y avoir des milliers de morts chez les femmes atteintes par le VIH et leurs enfants en Afrique. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies sont également ciblés. Tout comme les Instituts nationaux de la santé (NIH) – le plus important financeur mondial de la recherche médicale -, où les comités qui évaluent la recherche sont suspendus et tous les nouveaux projets sont bloqués. Ceux déjà financés sont tout de même supprimés s’ils possèdent un mot-clef en rapport avec les programmes ‘Diversité, équité et inclusion’.
Par exemple, une chercheuse qui portait une étude longitudinale (à long terme) sur les personnes LGBTQI + ne pourra pas aller au bout. Son projet tombe à l’eau. Parmi les mots ‘interdits’, il y a même ‘femme’. Il n’est donc plus possible de mener des recherches qui étudient les différences entre les hommes et les femmes dans les maladies cardiovasculaires ! Pour résumer, tout ce qui est considéré comme ‘woke’ de près ou de loin est ciblé.
Les universités américaines, nombreuses à recevoir d’importants financements du NIH, doivent diminuer leur nombre de doctorats, leurs frais, etc. Autant de signes qui découragent les jeunes de s’engager dans la recherche. Toute une génération va être sacrifiée. Et je connais des collègues britanniques, mais aussi français, dont les projets, qui étaient en partie financés par le NIH, ont été supprimés. Il ne faut pas se leurrer, cela peut nous arriver ici aussi. Même si c’est moins brutal, on entend déjà des discours contre’le wokisme’, le budget de la recherche a déjà diminué de près d’un milliard dans les différents arbitrages cette année. »
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/face-a-donald-trump-le-cri-du-coeur-de-quatre-scientifiques-le-risque-ne-se-limite-pas-aux-etats-4HV6DFJ4DZE7TIB3GH7MOWJ65Y/
Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-03-07 17:31:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.