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Enquête sur les caprices du Louvre : le rôle d’Emmanuel Macron, le coup de maître de Laurence des Cars

Enquête sur les caprices du Louvre : le rôle d’Emmanuel Macron, le coup de maître de Laurence des Cars


A-t-on jamais vu dossier aussi rondement mené ? 22 janvier, publication dans Le Parisien d’une note « confidentielle » adressée par Laurence des Cars à Rachida Dati, dans laquelle la présidente-directrice du Louvre s’alarme de l’état de son musée. 24 janvier, Emmanuel Macron fait savoir qu’il s’exprimera dans quatre jours. 28 janvier, le sfumato de La Joconde en arrière-plan, le voici promettant, avec lyrisme, « un Louvre repensé, restauré, agrandi », qui dessinera « une nouvelle carte du Tendre culturel », afin de devenir « un Louvre des savoirs », le tout en six ans après cinq chantiers : restauration des infrastructures, tarification différenciée pour les non-Européens, espace dédié pour La Joconde, création d’une entrée et d’espaces souterrains sous la cour carrée. Il aura donc fallu – en apparence – moins d’une semaine au président d’un pays surendetté pour voler au secours d’une patronne de musée découvrant diriger un navire prenant l’eau – à croire que le péril était grand. Un empressement d’autant plus intrigant que l’ardoise pèsera lourd. La nouvelle entrée côté colonnade Perrault, chef-d’œuvre du classicisme français voulu par Louis XIV, et les espaces creusés sous la Cour carrée devraient coûter, à la louche faute de chiffrage précis à ce stade, environ 400 millions d’euros, et la même somme pour couvrir les trois autres volets. Dans le grand monde de la culture, on écarquille les yeux : 800 millions pour le Louvre alors que partout les musées périclitent et les budgets s’atrophient ? Chez les patrons de musée, on applaudit, crispé, la maestria de Laurence des Cars ayant obtenu du chef de l’Etat qu’il fasse sien chaque paragraphe de son programme, jusqu’à exposer lui-même les tarifs des billets d’entrée. Chapeau bas pour la spécialiste du XIXe siècle, verbe rapide et voix de contralto. Comment fait-elle ?

Dans son bureau au rez-de-chaussée de l’appartement du Grand Ecuyer, couloir de stucs noirs et teintures moutarde, Laurence des Cars déploie son programme avec certitude, et un brin de dramaturgie. 11 novembre 2023, une canalisation d’eau chaude explose dans les salles accueillant, depuis quatre jours, les trésors du musée napolitain Capodimonte. Panique, fermeture et découverte d’une canalisation corrodée. Accourue, la présidente apprend de la bouche du capitaine des pompiers que le musée n’a pas la cartographie de son réseau d’eaux. Perdue ? Quelques semaines plus tard, c’est le nouveau directeur de l’architecture, Arnaud Amelot, un ancien du château de Fontainebleau, qui s’assoit à sa rectangulaire table en verre. Chargé d’établir un diagnostic complet du bâtiment, il a découvert un mal sévère, endémique. Equipements électriques, sûreté, génie climatique, circulations mécanisées, tout a vieilli. 80 % des escaliers roulants datent des années 1980, les 16 giga tableaux électriques ne sont plus aux normes quand les 16 000 mètres carrés de verrières relèvent de la plus pure passoire thermique. Incurable ? « La solution n’est pas la réparation par tranches, la dégradation va trop vite, nous courrons derrière les problèmes, nous avons besoin d’un projet global à la mesure de ce qu’est le Louvre, le plus grand et le plus visité des musées du monde », résume Laurence des Cars. En écho, le directeur de l’architecture confesse mal dormir depuis ce mois de novembre 2023, priant pour qu’aucun tuyau n’explose pendant la nuit, les incidents, à l’en croire, étant incessants. Mi-février, une canalisation a encore cédé, cette fois dans une réserve de peintures. « La vétusté est normale, mais ce bâtiment est un monstre où tout prend des proportions gigantesques, un mur d’investissements se profile pour éviter une dégradation irréversible ou un accident majeur », expose-t-il.

En avril 2024, devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, la présidente annonce déjà son programme. Face à la dizaine de députés présents, elle décrit un musée en proie à « un continuel déclassement », une « multiplication d’avaries dans des espaces parfois très dégradés », l' »obsolescence des équipements techniques ». L’exposé pose deux questions. Si tout va si mal, pourquoi n’avoir rien fait jusqu’alors ? D’autant plus intrigant que, chaque année, l’établissement public rédige un rapport d’activité, listant dépenses, ressources et prévisions. Aucun, depuis une décennie, n’a approché son dramatique constat. « Je n’ai jamais rien lu dans ces rapports qui donnent à penser qu’il faille d’urgence exécuter ces travaux ; pourquoi crier soudain ? », claque un ancien administrateur. A l’évidence, le Louvre nécessite de constantes rénovations. Elles sont menées par étapes, faisant du palais un perpétuel chantier. Ainsi selon La Gazette Drouot, Jean-Luc Martinez, le prédécesseur de Laurence des Cars, aurait, entre 2014 et 2018, rénové 34 000 mètres carrés de galeries, dépensé 50 millions d’euros pour moderniser l’entrée sous la pyramide et lancé, en 2018, un plan décennal de remise à niveau des infrastructures. De 2018 à 2022, 200 millions d’euros ont été dépensés pour rénover les bâtiments, 43,5 millions d’euros en 2023. Escalators remplacés, toilettes construites, vestiaires du personnel, réservation via Internet, la maison n’a pas chômé. Mais ces millions, à croire l’actuelle direction, ne suffiraient plus. « Continuer à coller ici ou là des rustines serait inefficace, irresponsable et financièrement pénalisant à terme, il n’y a pas d’autre moyen que de lancer un plan très ambitieux », analyse François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques chargé du Louvre.

La directrice du musée du Louvre, Laurence des Cars, prononce un discours au musée du Louvre à Paris le 28 janvier 2025.

Qui paiera la facture ?

Mocassins plats et cheveux courts, Laurence des Cars le revendique en riant : « Je n’ai pas peur. » Tout en elle confirme cette crâne assurance lestée d’une volonté intrépide. Bref retour en arrière. Printemps 2021, il faut remplacer à la tête du musée l’archéologue Jean-Luc Martinez ayant accompli deux mandats. L’année suivante, en 2022, il sera mis en examen pour « faits de blanchiment et complicité d’escroquerie en bande organisée » dans la vente à Abou Dhabi de sept objets égyptiens, dont la provenance pose question. Emmanuel Macron souhaite nommer une femme. La petite-fille du romancier Guy des Cars, née duchesse dans un château qui abrita pendant la Seconde Guerre mondiale des trésors du Louvre, n’est pas sur les rangs, clamant « être bien dans sa gare ». Sa gare ? Le musée d’Orsay où elle est arrivée deux ans auparavant, et où elle a appris à connaître Brigitte Macron, à laquelle elle ouvre ses galeries quand celle-ci souhaite émerveiller des invités. Si Laurence des Cars ne veut pas le job, il en est une qui ferait l’affaire : Sophie Makariou, directrice au Louvre des Arts de l’Islam de 2006 à 2013, puis présidente du musée Guimet. Reçue une heure à l’Elysée, elle paraît tenir la corde, quand soudain la coiffe au poteau la non-candidate Laurence des Cars, désignée par le chef de l’Etat. Septembre 2021, celle-ci prend ses fonctions, empêchée d’ailleurs par le président, décidément à la manœuvre, de suggérer un remplaçant pour Orsay – là encore, il a ses propres idées. Quant à Sophie Makariou, écartée dans l’ultime sprint, elle aura la surprise d’inaugurer le mois suivant son exposition consacrée au Tadjikistan en la présence d’Emmanuel Macron et de la Garde républicaine – lot de consolation ?

Le président Macron et moi menons une conversation depuis longtemps

Laurence Des Cars

La quinquagénaire Laurence des Cars se met au travail, adoptant le management vertical et offensif qui fait sa patte. La maison Louvre et ses 2 300 agents, secoués par les démêlés judiciaires de Jean-Luc Martinez, n’a pas le moral, vague à l’âme qui l’émeut peu. Elle fonce, congédie l’historique responsable des éditions de catalogue, licencie son adjoint chargé des bandes-dessinées et, très vite, se convainc que l’heure est venue de tout refaire de fond en comble. « J’y ai réfléchi, je suis arrivée ici avec des projets auxquels j’ai travaillé », commente-t-elle. On ne saurait diriger le Louvre sans être habité par une conscience aiguë de son pouvoir, tant la mission s’apparente à une gageure, voire une folie. La première difficulté étant que l’établissement ne fut pas conçu comme un musée, mais fut – et demeure – un palais (avec ses 14,5 kilomètres de couloirs, 410 fenêtres, 3 000 clés et 244 000 mètres carrés) destiné à faire rayonner pendant huit siècles le faste de la monarchie et certainement pas à accueillir, autour de ses 30 000 œuvres exposées, une dizaine de millions de visiteurs, qui s’épuisent sur les 10 000 marches, se cognent dans des couloirs étroits, se perdent entre les étages, délaissant des salles désertes pour s’agglutiner devant La Joconde.

Des visiteurs prennent des photos de la « Joconde » de Léonard de Vinci, au musée du Louvre, à Paris, le 17 avril 2024.

Aussi depuis son arrivée dans les appartements du Grand Ecuyer, aile de la direction, la patronne du musée dantesque est résolue à faire à la mesure du Louvre, soit du grand, du très grand, et s’est attelée à en convaincre le chef de l’Etat. « Le président Macron et moi menons une conversation depuis longtemps, celle-ci n’a pas commencé en janvier », admet-elle, sourire frisquet. Autrement dit, la mise en scène présidentielle du 28 janvier n’a servi qu’à emballer le chantier à 800 millions, afin d’ »empêcher les autres patrons d’établissements culturels de partir en toupie, il les a mis ainsi devant le fait accompli », pique un fin connaisseur des politiques culturelles. Et puis, le colossal projet tombe à point nommé pour le président en mal de dossiers spectaculaires. Le Louvre transformé, rénové, et doté d’une nouvelle entrée dans le frontispice du XVIIe siècle n’offre-t-il pas la magnifique opportunité de graver sa signature dans notre histoire patrimoniale ? Un remake version XXL de Notre-Dame, sans incendie ni élan populaire mais, espère-t-on en croisant les doigts très forts, avec les mêmes mécènes, et surtout l’un d’entre eux, Bernard Arnault, en compagnie duquel on vit Emmanuel Macron déambuler, le 16 mars 2023, dans le musée fermé. Le patron de LVMH est un soutien régulier et généreux du Louvre. Or la nouvelle entrée, côté Saint-Germain-l’Auxerrois, facilitera la visite des clients de la Samaritaine, son magasin amiral, d’autant que toute la place sera réaménagée. « Notre proximité avec le Louvre fait que nous nous y intéressons, mais à ce stade, le groupe n’est pas impliqué et il n’y a aucun accord », calme Jean-Paul Claverie, conseiller patrimoine de Bernard Arnault. Gageons que le moment venu, le mastodonte du luxe saura soutenir le chantier qui ne pèche pas par modestie. « Il s’agit d’imaginer un pendant à la place de la Concorde, un grand espace urbain et paysager », décrit ainsi l’architecte François Chatillon.

Qui paiera les centaines de millions d’euros ? Sur le papier, calculs simples. Pour la rénovation, le Louvre réglera 80 millions d’euros chaque année de sa poche, comptant sur la refonte de la grille tarifaire qui devrait apporter 15 millions d’euros supplémentaires par an. L’Etat sortira 160 millions en dix ans. Quant aux nouveaux espaces (la seconde entrée et les galeries sous la Cour carrée), « les revenus de la licence de marque du Louvre Abou Dhabi nous garantissent 200 millions », d’après la direction du Louvre, l’autre moitié sera à chercher chez les mécènes. Des sommes pharaoniques en période de disette budgétaire. Il se murmure à ce propos que la Cour des comptes, auditant le Louvre, comme elle le fait tous les sept à huit ans, pourrait doucher ces ardeurs. Sous la direction de Vincent Peillon, ancien ministre socialiste de l’Education nationale, deux magistrats épluchent en ce moment même les bilans comptables. Laurence des Cars fut reçue une première fois, elle sera auditionnée une deuxième, avant le rapport définitif annoncé pour l’été. Et dans les couloirs de la Rue Cambon, l’ancien ministre confie sa perplexité devant la fièvre financière annoncée. Doté d’un budget de fonctionnement de 323 millions d’euros, le musée dispose de 66 % de ressources propres (chiffre en très légère baisse). Un résultat reposant essentiellement sur la redevance versée par les Emirats arabes unis jusqu’en 2047. « Le déficit prévu pour 2025 est de 26,8 millions d’euros, ramené en fait à 3 millions grâce à la licence de marque Abou Dhabi. Le quasi-équilibre comptable est garanti du seul fait de la licence de marque et cela depuis des années », analyse Xavier Greffe, professeur d’économie de la culture, ancien membre du conseil scientifique du musée. Est-ce le moment de dépenser autant ?

L’exemple de la salle des bronzes

Le « musée-monde », comme le qualifia le chef de l’Etat fin janvier, n’a en effet pas toujours fait montre d’une gestion sobre, s’adonnant parfois à quelques caprices. Souvent, les présidents ont eu la main lourde pour effacer les traces de leurs prédécesseurs ou gravir les leurs dans le palimpseste parisien. Ainsi la salle des bronzes et ses 20 000 bronzes grecs qui, en 2019, n’eurent plus l’heur de plaire à Jean-Luc Martinez. Sol en marbre, murs crème… Or, un tableau de 1866 montre la pièce avec sol parqueté et murs rouges. Ni une ni deux, on casse le marbre, on pose le parquet, on repeint les murs en rouge, on déménage les bronzes pour installer les collections étrusques. Au passage, 260 pièces rouillées nécessitant 90 000 euros de réparations. A New York, le déménagement fait hurler les ayants droit de l’artiste américain Cy Twombly, auquel le Louvre avait commandé en 2007 une toile pour le plafond de la salle, The Ceiling, peinture de 34 mètres de long à dominante bleu ciel. Les murs rouges et le parquet marron portant selon eux atteinte au droit moral du plasticien, ils assignent l’établissement. Le Louvre transige, et Laurence des Cars doit faire refaire la salle refaite – retour des murs crème. Dans le même esprit, Jean-Luc Martinez jette son dévolu sur le pavillon de l’Horloge, dont il déplace la collection Beistegui pour y installer des salles consacrées au « Louvre d’hier et de demain ». Un réaménagement fait à la barbe des Emiriens. En 2007, en effet, dans le traité organisant le partenariat entre le Louvre et Abou Dhabi, un chapitre prévoit que la capitale des Emirats arabes unis donnera 25 millions d’euros pour financer la réfection du pavillon de Flore, en échange une salle y sera baptisée en mémoire du cheik Zayed. Parfait. Sauf qu’à Paris, on décide de ne pas toucher à Flore, mais de transformer l’Horloge, aussi l’argent empoché pour Flore est-il fléché vers l’Horloge. Et ce n’est pas fini. A son arrivée, Laurence des Cars n’approuvant pas les modifications, elle les fait défaire tout comme elle lance des travaux dans le département Arts de l’islam, pourtant entièrement rénové, dix ans auparavant, en 2013, et aux dires des spécialistes en bon état. « Le parcours était cohérent, fluide, fonctionnel, il avait coûté 103 millions d’euros, il ne me semblait pas nécessaire de le reprendre », observe Cristina Haye, ancienne directrice de la maîtrise d’ouvrages.

L’énergique Laurence de Cars, qu’on voit peu déambuler dans son musée, la faute dit-elle à un emploi du temps démentiel, est convaincue que son musée a d’urgence besoin d’engloutir ce quasi-milliard. Le prix à payer pour arrimer au XXIe siècle une institution pensée au XVIIIe. Elle soupire en rappelant que la seule réfection des escalators sous la pyramide lui a pris deux ans et demi, et encore, la rénovation ne réhabilite-t-elle les escaliers mécaniques que jusqu’à la mezzanine. Pas de sanitaire à l’accueil, plan de circulations hermétique, comme celui qui oblige les détenteurs de la carte « Amis du Louvre » d’arriver par l’escalier Richelieu mais leur interdit de repartir par là, aucun siège confortable devant les œuvres à l’instar des grands musées américains. Et une situation empirant selon une échelle exponentielle depuis que les 9 millions de visiteurs convergent massivement, voire exclusivement, vers la salle des Etats afin de se photographier devant La Joconde, aimant et abcès. Vendu par Léonard de Vinci à François Ier, le tableau attire 80 % du public. Transféré au Louvre en 1797, le tableau a bougé. Un siècle dans le Salon carré, et, depuis 1966, dans la salle des Etats, la plus grande, face aux 130 personnages des Noces de Cana de Véronèse. Laurence des Cars n’est pas la première à réfléchir où la déplacer afin de résoudre l’asphyxie. Dans la salle des Etats, là où le Second Empire abritait ses débats législatifs, Monna Lisa fut d’abord collée aux murs. Mauvaise idée, les visiteurs ne bougeant plus. De 2001 à 2005, grands travaux dans la salle – les derniers ne datant pourtant que de quatorze ans – et voici qu’on déménage la toile dans une pièce en cul-de-sac, aile Denon. Catastrophe, les visiteurs s’agglutinent, étouffent ne pouvant rebrousser chemin, dare-dare des pompiers sont postés dans le couloir pour crier dans un haut-parleur : « Don’t push, don’t rush ». Rudimentaire. Heureusement, la réfection de la salle des Etats s’achève, et l’annonce du retour de la vedette est affichée avec date et heures précises. Mauvaise idée, car dès le matin, la foule s’entasse, des personnes hurlent, d’autres s’écrasent les pieds. Quelques heures chaotiques, avant que la belle Italienne ne retrouve son calme, au milieu de la salle, protégée par un épais verre, si épais qu’il faut insérer dans la rambarde l’entourant une installation électrique italienne diffusant une lumière qui corrige les effets du verre, sans laquelle Monna Lisa serait verte. Chacun s’accordant sur la nécessité d’éloigner l’œuvre de son point de fixation, parmi les cinq chantiers, celui-ci seul fait à peu près l’unanimité.

Mieux répartir les visiteurs

A peu près, car Laurence des Cars lie son déménagement à la construction d’un espace dédié, avec ticket majoré, auquel il pourra être accédé via la fameuse deuxième entrée qui doit être construite sous la colonnade. Or le musée a beau souffrir d’une congestion endémique provoquée par La Joconde, il compte des espaces peu fréquentés, et d’autres fermés – 30 % des salles, selon différentes sources, chiffre impossible à confirmer auprès de la direction. Pourquoi ne pas envisager d’y placer l’œuvre de Leonard de Vinci ? « Par exemple, on pourrait songer au pavillon des Cessions qui abrite une collection d’arts africains et océaniens qui devrait depuis longtemps avoir déménagé à Branly », propose Didier Rykner, rédacteur en chef de la très informée revue La Tribune de l’art. « Ou la placer sous la Pyramide et rendre sa visite gratuite, voilà qui serait spectaculaire ! » renchérit l’historien Xavier Greffe. D’autres experts, désireux de demeurer anonymes, observent en outre que le Louvre pourrait se passer de ces travaux pharaoniques de création d’entrée nouvelle, s’il était envisagé de mieux diffuser le public, de l’éparpiller. Comment ? En gagnant de la surface. Comment ? En récupérant le pavillon de Flore, aux dires de tous celui qui bénéficie de la plus belle lumière, où travaille le Centre de recherche et de restauration des musées de France, que d’aucuns verraient volontiers relogé dans un bâtiment plus fonctionnel, moins grand et surtout hors du musée. Autre piste, le pavillon de Marsan, en face du pavillon de Flore, là où est installé le musée des arts décoratifs (MAD). Sous la présidence d’Henri Loyrette, il fut calculé qu’intégrer ce pavillon équipé d’une entrée rue de Rivoli, proche du métro, permettrait d’absorber 70 000 visiteurs par jour. Son équipe avait à l’époque proposé de déménager le MAD vers le musée de la Monnaie, quai Conti, établissement maigrement visité. Si le plan paraissait raisonnable, il sombra face à la bronca de la directrice du MAD, la précieuse mécène Hélène David-Weill, à laquelle Bernadette Chirac promit tout son soutien, prête rouspéta-t-elle, à défiler dans la rue.

Des visiteurs empruntent des escaliers roulants sous la pyramide du Louvre conçue par Ieoh Ming Pei au musée du Louvre, à Paris, le 17 avril 2024.

Toujours selon ses critiques, affolés par les dépenses excessives annoncées, le musée pourrait s’agrandir et mieux répartir ses visiteurs en récupérant des entrées condamnées. Car aussi fou que cela puisse paraître, celui-ci n’a cessé de fermer ses portes. Les membres du conseil scientifique se souviennent de Jean-Luc Martinez leur faisant ses adieux en se rengorgeant d’être le seul musée au monde avec une seule entrée. « Voici trente ans, il y avait la porte des Lions, la porte dans la salle des Colonnes et celle du pavillon de Marsan », se souvient Xavier Greffe. Celle du pavillon de Marsan étant fermée par une cloison, il suffirait de quelques heures pour la rétablir. « Ces portes datent du XIXe siècle et ne peuvent en aucun cas être la solution, nous devons répondre à des schémas de sécurité impératifs, il n’y a pas d’alternative satisfaisante autre qu’une seconde entrée principale dans la partie orientale », répond, à ces observations rapportées, la résolue Laurence des Cars. « Songer à ne régler le problème de l’entrée en n’ouvrant que des portes dans le quadrilatère Sully, c’est ne pas comprendre les flux actuels », renchérit Arnaud Amelot.

Créer une entrée côté colonnade Perrault, dans la partie Est du musée, est en réalité une vieille lune qui dormit un temps sur le bureau de Jack Lang. « La Colonnade était dès l’origine voulue pour servir d’entrée majeure du palais », insiste Arnaud Amelot. Le ministre socialiste de la Culture, pourtant connu pour ses ambitions spectaculaires, renonça – trop cher. « On ne touchera pas à l’écriture architecturale de la Colonnade, y compris son soubassement, il est prévu une entrée centrale sous le pont qui relie la cour Carrée à l’esplanade Saint-Germain et deux entrées latérales sur les retours des fossés », précise François Chatillon. La grande ambition, tout aussi respectueuse soit-elle, chiffonne néanmoins les anciens du Louvre, convaincus que d’autres solutions, plus humbles, pourraient être explorées. Comme étendre les horaires de visite. Car le « plus grand musée du monde » ferme ses portes à 18 heures, dernières entrées à 17h15, sauf le mercredi et le vendredi (nocturnes instaurées par Laurence des Cars) où les visiteurs peuvent rentrer jusqu’à 20h30, fermeture à 21 heures. Une exception mondiale. A l’époque d’Henri Loyrette encore, cette possibilité fut étudiée.

Ouvrir tous les jours jusqu’à 22h30 ancrerait le Louvre dans la vie des Parisiens, et absorberait, fut-il calculé, 45 % de visiteurs en plus, permettant d’encaisser de la billetterie (sachant que le budget des acquisitions est indexé sur celui-ci), et surtout, alignerait le navire parisien sur les standards de ses rivaux étrangers. « Nos enquêtes confirment que l’après-20 heures n’est pas une solution adaptée pour une fréquentation de bon niveau », répond encore la présidente. Et puis le projet paraîtrait frileux quand peut être lancé un concours international d’architectes et creusé des galeries sous la Cour carrée.

Ce chantier-là fait aussi blêmir les anciens administrateurs, critiquant en chœur une gabegie perpétrée à quelques mètres de la Seine dans une zone inondable riche en vestiges archéologiques. Du conservatisme frileux, leur réplique à distance Laurence des Cars, qui rappelle qu’ »à l’époque du chantier du Grand Louvre, les trois quarts de la cour carrée ont été fouillés, début mars les archéologues commencent les sondages dans le dernier quart, nous faisons le nécessaire ». La justification à ce colossal creusement est que le Louvre ne dispose pas de grandes salles d’expositions, n’étant équipé que de salles moyennes. Or, ceci relève d’une volonté assumée, la capitale étant dotée des – immenses – galeries nationales du Grand Palais, qui viennent de rouvrir, refaites pour 500 millions d’euros. Pourquoi en fabriquer sous terre de nouvelles alors qu’elles existent plus loin ? Est-ce bien raisonnable quand les finances publiques souffrent ? « Les expositions sont conçues pour le Louvre, par les équipes du Louvre, en écho à nos collections permanentes », précise la présidente. Qui ne fait pas mystère de vouloir, outre les réfections liées à l’incoercible vétusté, prolonger l’œuvre du Grand Louvre, colossal chantier orchestré sous François Mitterrand, imposant en 1989 l’insolente pyramide de verre à 603 losanges et son entrée sous la verrière de 21 mètres de haut. « Le Grand Louvre n’a touché que la moitié du Louvre, or il faut faire respirer le bâtiment dans sa totalité, du côté de la Cour carrée », clame Laurence des Cars. Ses équipes corroborent, arguant que le geste mitterrandien ne toucha que la cour Napoléon, refermant le palais sur lui-même quand il s’agirait désormais de l’ouvrir sur la ville via une façade amplifiée.

Au-delà des querelles entre conservateurs et bâtisseurs, entre dépensiers et économes, c’est bien en effet une ambition politique, furieusement à l’œuvre, qui se dessine derrière ce projet démiurgique se piquant de toiser l’éternité. Une volonté conçue de concert par l’étonnant duo que forment le président de la République et la présidente du Louvre, tenant entre leurs mains « le plus grand et le plus visité musée du monde ». Le Louvre, talisman dans l’imaginaire d’Emmanuel Macron, qui – s’en souvient-on encore ? – élu pour la première fois en mai 2017, déambula le soir même sous les étoiles de la cour Napoléon. N’aurait-il pas l’envie de prolonger l’œuvre dessinée par François Mitterrand, lui aussi élu deux fois, afin de conjurer avec faconde son règne encalminé ? L’ivresse de prouver qu’il est – lui aussi, lui toujours – capable de dessiner Paris et la France ? Et Laurence des Cars, caractère de bronze et énergie de fer, n’aurait-elle pas elle l’envie de se mesurer à son illustre prédécesseur, le grand savant Michel Laclotte, qui transforma la gare d’Orsay en musée et convainquit François Mitterrand de mettre en œuvre le Grand Louvre, rénovant à coups de dizaines de millions d’euros sa cour occidentale ? Soucieux l’un comme l’autre d’écrire leurs noms en ces murs rayonnants, qui virent défiler huit siècles de puissance monarchique française, un président et une présidente. Mesure, démesure, l’histoire éternelle du Louvre.



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Author : Emilie Lanez

Publish date : 2025-03-09 17:00:00

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