La « destruction mutuelle assurée » est une notion bien connue dans le nucléaire. Elle se décline désormais dans l’IA. Une note remarquée, titrée « Superintelligence Strategy », a récemment exposé à quoi ressemblerait un déraillement semblable de l’IA. Si un Etat tentait d’obtenir une domination unilatérale dans le secteur, les autres seraient légitimes à l’en empêcher par l’espionnage ou le sabotage. Cette publication pourrait sembler relever du thriller si ce n’était la qualité de ses auteurs : Eric Schmidt, ex-président de Google, Alexandr Wang, fondateur de Scale AI, l’un des leaders des jeux de données pour l’entraînement des modèles, et Dan Hendrycks, conseiller de la société d’Elon Musk xAI.
Ces trois spécialistes partent du postulat que la superintelligence ou AGI (intelligence artificielle générale), une IA bien meilleure que les humains dans toutes les tâches cognitives, arrivera dans un horizon de vingt-quatre à trente-six mois. L’hypothèse repose sur les lois d’échelle, soit l’idée que plus de puissance de calcul, plus de données et des modèles plus volumineux ouvriront inévitablement la voie à de plus grands progrès dans la puissance des intelligences artificielles.
C’est ce qui a poussé des chercheurs, à partir de 2017, à nourrir leurs modèles avec des volumes de données toujours plus gros. Comme Bookcorpus, un recueil de 7 000 livres non publiés pour entraîner GPT-1 par exemple. Il existe de nombreuses raisons de ne pas croire les hommes de l’art : ils ont clairement intérêt à faire des prédictions audacieuses parce qu’ils lèvent des capitaux, augmentent la valorisation des actions et se convainquent, peut-être, de leur propre importance historique.
Les lois d’échelle tirent l’IA
Mais si, à l’automne dernier, des doutes entouraient encore les progrès que ces lois d’échelle pourraient apporter, ils ont été balayés. Les modèles continuent de progresser. Fin décembre, le système o3 d’OpenAI a obtenu un score de 85 % au test de référence ARC-AGI, bien au-dessus du précédent meilleur score d’une IA (55 %) et à égalité avec le score humain moyen. Il est désormais clair qu’avec les data centers en cours de livraison, qui contiennent une puissance de calcul décuplée, les nouveaux modèles atteindront l’intelligence artificielle générale.
Les investisseurs de la Silicon Valley ne financent de nouvelles sociétés qu’à la condition qu’elles soient « AGI-proof », autrement dit résistantes à l’AGI. L’ex-conseiller en intelligence artificielle de l’administration Biden, Ben Buchanan, expliquait récemment comment le gouvernement américain – le précédent mais aussi l’actuel – se prépare à ce bouleversement, notamment dans sa mission de sécurité nationale, avec la conviction qu’une AGI révolutionnera les opérations cybernétiques, le renseignement et même la conduite de la guerre avec des drones ou des robots autonomes.
Au-delà de la sécurité nationale, qui intéresse à juste titre les gouvernements, quel serait l’impact pour nos sociétés ? Et plus précisément, quel serait l’impact sur le marché du travail et donc la distribution des revenus et des richesses ? Le risque d’un manque de ressources matérielles est limité. Le remplacement du travail intelligent se traduira par une augmentation relative de la valeur du capital physique. Les usines, les infrastructures, les centrales électriques gagneront en importance. Les propriétaires de ces biens d’équipement auront un avantage incontestable face à ceux qui en sont dépourvus. Les opinions publiques réagiront à la disparition en masse d’emplois dits qualifiés, soit par le refus de ces technologies – avec la possibilité qu’elles soient fournies en contrebande par un autre pays plus ouvert -, soit par la mise en place de filets de sécurité, le fameux revenu universel. La richesse résidant alors dans du capital physique plus facilement taxable, ces filets de sécurité trouveront leur financement. La vraie question que pose ce modèle de société tient au fait que les choses resteront figées, sans espoir, dans les pays qui ne maîtriseront pas l’AGI. Les chances de progresser et de grandir y seront extrêmement ténues.
Mesurer la capacité de l’AGI à innover s’avère donc crucial. Si elle permet d’accélérer le rythme du progrès technologique et donc d’améliorer le niveau de satisfaction matérielle avec moins de ressources, elle propulsera les sociétés humaines dans une économie de l’abondance, succédant à celle de la pénurie (ou post-scarcity). Des concepts qui passaient il y a peu pour de la science-fiction mais qu’il faut désormais conjuguer au présent.
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Author : Robin Rivaton
Publish date : 2025-03-09 07:30:00
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