L’Express a placé la défense de la rationalité au cœur de son ADN. C’est pourquoi, chaque semaine, nous mettons en lumière les bénéfices qu’apporte la recherche à la société, sans jamais hésiter, non plus, à apporter notre contribution à la lutte contre la désinformation scientifique. Nous avons choisi, cette année encore, de prolonger cet engagement en soutenant des chercheurs qui partagent ces combats grâce à un événement dédié : la remise des Prix des personnalités Sciences et santé.
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Professeur de médecine, pharmacologue, pneumologue, chef de service au Centre hospitalo-universitaire de Bordeaux, Mathieu Molimard est aussi membre de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT). Depuis près de cinq ans, il est devenu l’une des figures de la lutte contre la désinformation médicale. Il s’est distingué par des prises de position claires, n’hésitant jamais à s’opposer aux médecins et chercheurs qui propagent des infox, dont le Pr Didier Raoult. Son engagement lui a valu des campagnes de diffamation d’une grande violence. Mais cela n’a pas entamé sa détermination. Dernièrement, il a même obtenu, avec l’aide de nombreux autres chercheurs, la rétractation de la toute première étude de l’IHU de Marseille (IHUm) qui prétendait que l’hydroxychloroquine était efficace contre le Covid-19. Et il ne compte pas s’arrêter là.
L’Express : La première étude du Pr Raoult sur l’hydroxychloroquine a été invalidée à la fin de l’année dernière. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
Pr Mathieu Molimard : Cette rétractation est le minimum minimorum. Elle était essentielle, car cet article représentait la fondation du château de cartes qu’était la croyance selon laquelle l’hydroxychloroquine soigne le Covid-19. Mais il y a encore des dizaines d’études de l’IHUm qui doivent suivre. Je pense à celle menée, sans autorisation, sur des étudiantes de l’université d’Aix-Marseille qui ont dû effectuer des prélèvements vaginaux. Et aussi aux autres études sur l’hydroxychloroquine, dont celle sur plus de 30 000 patients, également conduite sans autorisation. Il s’agit du plus grand essai clinique sauvage de l’histoire.
L’Express a révélé un rapport dénonçant de graves manquements éthiques et des erreurs multiples [MFP2] de Didier Raoult, que l’université d’Aix-Marseille (AMU) a tenté de cacher. Le président de l’université, Eric Berton, a assuré que ces pratiques appartiennent au passé. Qu’en pensez-vous ?
M. Berton pousse la poussière sous le tapis en minimisant la problématique des méconduites scientifiques. Des chercheurs qui enquêtent sur les travaux de l’IHUm ont démontré que près de 700 de leurs études présentent de potentielles irrégularités. Il ne s’agit pas de sept ou huit études comme M. Berton l’affirme ! Il y a un abcès et, au lieu de soigner, les autorités locales se contentent de placer une compresse. Cela suppure et s’aggrave. Pourtant, tout cela est connu depuis 2018 et le premier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui avait conduit l’Inserm et le CNRS à retirer leur agrément à l’IHU de Marseille. Rien n’a été fait et les dérives ont continué jusqu’au Covid-19 et à l’hydroxychloroquine. L’IHUm est en train de mourir, sa réputation à l’international est déplorable. On risque l’amputation. Ce serait une grande perte, car il existe d’excellents chercheurs dans cet institut.
Qui doit agir ?
François Crémieux, le président des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), a essayé. Mais il n’a pas été soutenu. Ni par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) ni par le ministère de la Santé et celui de la Recherche. Tous les systèmes de contrôle ont échoué. Tout le monde semble avoir démissionné. Il s’agit d’une défaillance à tous les niveaux de l’Etat.
Il y a des enquêtes judiciaires en cours, car le procureur de la République a été saisi par de nombreuses autorités, dont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Igas. J’attends que la justice fasse son travail. D’ici là, les autorités devraient faire du ménage. De nombreux chercheurs de l’IHUm impliqués dans les études frauduleuses sont toujours en poste et continuent de se pavaner en clamant que leurs travaux sont irréprochables. C’est de la provocation.
Vous êtes devenu une figure de la lutte contre la désinformation scientifique, mais vous n’êtes pas seul dans ce combat. Qui vous soutient ?
Je veux saluer tous les pharmacologues de France, qui savent depuis le début que l’hydroxychloroquine ne peut pas marcher contre le Covid-19, ainsi que la Société française de pharmacologie et de thérapeutique, qui a émis une alerte à ce sujet dès le mois de mars 2020.
J’ai aussi eu la chance de rencontrer des gens issus de la société civile ou de domaines scientifiques qui ne sont pas les miens et que je n’aurais jamais imaginé connaître. Certains m’ont beaucoup aidé. Tout ce travail de lutte contre la désinformation n’aurait pas été possible sans eux. Je pense notamment au docteur Amélie Boissier-Descombes, qui a reçu les attaques les plus infâmes et avec qui nous avons mis en œuvre la tribune qualifiant l’étude sur les 30 000 patients de l’IHUm de « plus grand essai clinique sauvage de l’histoire ».
Il y a aussi eu de nombreux autres chercheurs et médecins qui se sont élevés contre les études frauduleuses et la désinformation médicale. Nous n’avons pas forcément travaillé ensemble, mais nous nous sommes serré les coudes. Quand je vois tous ces gens qui se battent pour la vérité scientifique, je retrouve foi en l’humanité.
Vous avez été pris pour cible, parfois très violemment, sur les réseaux sociaux. Etes-vous inquiet ?
Ce que nous avons observé depuis quelques années, c’est du jamais-vu. On nous a accusés d’être payés par l’industrie pharmaceutique simplement parce que l’on constatait que l’hydroxychloroquine ne fonctionnait pas. Nous avons été intimidés, insultés. J’ai même vu naître quelque chose d’inédit : des procédures bâillons dans la science, autrement dit des procès lancés par des désinformateurs visant à intimider et à faire taire. Des revues scientifiques ont même reçu des courriers d’avocats les menaçant de les traîner en justice si elles retiraient des études de l’IHUm. De mon côté, j’ai aussi eu ma dose de harcèlement et je reçois encore des menaces de mort. Heureusement, je dispose du soutien de ma direction, de l’hôpital et de l’université de Bordeaux, notamment.
Pourquoi le combat pour la rationalité est à ce point important ?
Je veux que la science soit respectée, que les études qui ne suivent pas les normes éthiques et légales soient retirées. Cela est nécessaire si nous ne voulons pas connaître les mêmes mises en danger de la santé publique lors d’une prochaine crise sanitaire. Ma bataille actuelle consiste à trouver un moyen de lutter efficacement contre la désinformation en matière de santé. La Société française de pharmacologie et de thérapeutique est une société savante dotée d’un petit budget reposant essentiellement sur la cotisation de ses membres, mais nous avons lancé les PharmacoFact, des contenus en ligne qui répondent directement aux infox que l’on trouve sur les réseaux sociaux. Et nous travaillons sur un projet de développement d’outils d’intelligence artificielle qui pourraient nous aider dans cette mission.
L’étape d’après est celle de l’éducation. Je suis persuadé que le succès de la désinformation prouve que de nombreuses personnes n’ont pas le minimum de culture nécessaire pour comprendre le fonctionnement des médicaments. J’anime un cercle de réflexion, les « Ateliers de Giens », et l’un des ateliers de cette année vise à déterminer quel est le minimum à enseigner à l’école. Je rêve aussi d’une plateforme ouverte qui proposerait des données factuelles validées par un conseil scientifique, avec un système transparent et une foire aux questions pour les journalistes, les médecins et le grand public.
N’avez-vous jamais été tenté d’abandonner ?
Il y a des jours où je me lève et me dis : « Les autorités ne font rien. Pourquoi je m’embête ? » Mais je n’ai jamais eu envie d’abandonner, non. Je suis coriace et je ne me laisse pas faire. Je vais porter plainte pour harcèlement à l’encontre de plusieurs personnes. Dans ce cadre, j’ai été aidé par des proches, et parfois même par des anonymes qui ne demandent rien. Il y a de la solidarité avec les personnes qui s’engagent dans la lutte contre la désinformation en santé. C’est ce qui fait qu’on se lève tous les matins et qu’on continue ce combat.
Un article de notre dossier spécial « Personnalités de L’Expresss Les Prix 2025 des sciences et de la santé », publié le 13 mars.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-03-11 11:30:00
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