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Covid long, cinq ans après : « On ne comprend toujours pas l’origine des symptômes »

Covid long, cinq ans après : « On ne comprend toujours pas l’origine des symptômes »

Le 17 mars 2020 à midi précisément, la France se confinait pour la première fois. Annoncée par Emmanuel Macron dans une allocution télévisée historique, la mesure restera comme l’une des dates clés de la crise du Covid-19. Auparavant lointaine, irréelle, voire anecdotique ou mensongère pour certains, la réalité sanitaire s’est imposée d’un coup à tous les Français. Comme un coup de semonce, adressé au pays tout entier.

Depuis cette date traumatique, beaucoup d’énigmes ont été résolues. Les scientifiques savent désormais comment le Sars-Cov-2 se transmet, comment il infecte nos cellules. Grâce aux vaccins, on sait également comment se protéger de cette maladie, autrefois inconnue. Mais sur le plan clinique, un mystère résiste, encore et toujours. Cinq ans après, nul ne connaît vraiment les mécanismes impliqués dans le Covid long, cette série de symptômes étranges qui perdurent chez certains patients.

Les données sur le sujet ont pourtant grandement évolué, depuis 2020. Des milliers d’articles scientifiques ont été produits sur la question. Sans entièrement lever le voile, ils permettent une plus fine compréhension des mécanismes en jeu. Surtout, ils ont permis de confirmer l’existence même de cette pathologie. Au début de la crise sanitaire, beaucoup de médecins pensaient que les patients n’étaient pas vraiment affectés, qu’ils déliraient, ou qu’ils souffraient d’un mal sans rapport avec leur infection. Le doute n’est plus permis.

Quelque chose se passe, mais quoi ?

Il existe à présent un consensus scientifique pour dire qu’une infection au Covid-19 peut déclencher une dégradation persistante de certaines facultés. Les patients décrivent alors une grande fatigue, des troubles de la concentration ou de l’humeur, une gêne respiratoire, des difficultés à l’effort mais aussi toute une série de difficultés plus singulières, allant des troubles digestifs aux problèmes de peau. Un fardeau qui, pour certains, empêche toute activité professionnelle.

L’affection est bien réelle, oui, mais que se passe-t-il ? Encore aujourd’hui, les scientifiques l’ignorent. Le corps demeure, à ce sujet, une boîte noire. « On sait que le virus peut rester, notamment dans le cerveau. Mais on ne sait toujours pas très bien ce qui produit les symptômes, et leurs liens entre eux », résume le Pr Yazdan Yazdanpanah, infectiologue et directeur de l’Agence nationale de recherche sur les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE).

En octobre 2024, l’institution a organisé une journée centrée sur cette maladie, avec Santé publique France, et la Haute autorité de santé. Un résumé de la littérature scientifique a été publié à cette occasion. Pas une semaine ne passe sans qu’une étude ne sorte sur le Covid long, et pourtant, les constats n’ont pas vraiment évolué depuis. « Ce qui nous pose problème, c’est que nous n’avons pas de tests précis, de marqueurs biologiques comme on dit dans le jargon », poursuit le scientifique.

Combien de malades ?

Sans outil de diagnostic fiable, impossible de différencier les patients atteints de Covid long de ceux qui souffriraient des mêmes symptômes, mais avec des causes différentes. Résultat : les doutes subsistent quant à la part réelle des personnes atteintes. Elle serait d’environ 4 % en France, d’après des études réalisées sur des adultes, et publiées par Santé publique France en 2022. Une plateforme de recension des malades devait voir le jour pour affiner ces résultats, mais ses décrets d’application n’ont toujours pas été publiés.

Aux Etats-Unis, qui retiennent des critères différents pour définir le Covid long, les chiffres ne sont pas du tout les mêmes. Selon une étude publiée dans la revue Clinical Infectious Diseases, en février 2025, de 10 à 26 % des personnes infectées garderaient des symptômes prolongés. L’analyse compare différents registres, tirés du projet Recover, un gigantesque programme de recherche américain qui suit des dizaines de milliers de patients. Tous constatent les mêmes évolutions : les cas augmentent quand le Covid-19 circule ; ils ont tendance à diminuer une fois que le virus régresse.

Le profil des victimes est tout aussi variable. Oui, il est désormais admis que les personnes vaccinées sont plus protégées. Les malades qui ont fait une forme grave sont, à l’inverse, plus à risque. Mais, dans le même temps, les femmes sont bien plus touchées que les hommes, de l’ordre de 30 à 45 % de plus, selon plusieurs études, dont la plus récente est parue en janvier 2025 dans la revue Journal of the American Medical Association Network Open. Elles sont pourtant plus rarement admises à l’hôpital que les sujets masculins infectés.

Pas « un » mais « des » Covids longs ?

Face à autant de cas de figure, et autant d’incohérences, les scientifiques parlent désormais non pas d’un, mais « des » Covids longs. « Plusieurs mécanismes entreraient en compte, soit séparément, soit de manière cumulée dans l’organisme. Ce qui veut dire qu’il y a potentiellement autant de stratégies à appliquer. Si on ne teste qu’un seul facteur, alors qu’il y en a quatre ou cinq différents, les résultats seront forcément mauvais », précise le Pr Yazdan Yazdanpanah.

Des études ont montré que certains patients présentaient une inflammation anormale. D’autres mettent en évidence une réponse immunitaire atypique. D’autres encore pointent l’action des morceaux du virus restés bloqués dans l’organisme, quand ils ne dessinent pas des formes de séquelles, comme une atteinte des poumons, de la circulation sanguine, ou de la production de sérotonine. « La clé sera sûrement de combiner ces approches à l’avenir », indique le scientifique.

Autant de processus différents ne laissent que peu d’espoirs quant à la découverte d’un unique marqueur biologique. En revanche, une série d’indicateurs pourraient permettre d’établir des « signatures » conduisant à privilégier un type de Covid long ou un autre. En janvier 2025, des chercheurs ont publié un article dans la revue Pediatric research, du groupe Nature, montrant que l’intelligence artificielle arrivait à détecter l’une de ces empreintes, sur une trentaine d’enfants. Ces résultats doivent être confirmés.

Vers une signature biologique ?

Yazdan Yazdanpanah appelle à maintenir l’effort de recherche, malgré le peu d’avancées. L’ANRS MIE souhaiterait ainsi voir émerger plus d’essais cliniques français, alors qu’un seul a été lancé pour le moment. A l’échelle mondiale, on en compte seulement 61. A titre de comparaison, quelques mois après le premier confinement, plus de 200 étaient en cours pour trouver un vaccin. « On manque également de données sur les enfants, chez qui les Covid longs sont plus rares », alerte le spécialiste.

Cette relative faible attention portée au Covid long s’explique en partie par l’absence d’urgence : contrairement aux Covid dits « aigus », les affections longue durée ne provoquent pas de séjours en réanimation. Ils tendent au contraire à s’améliorer avec le temps. Mais de façon très lente. Ainsi, selon la dernière étude de Santé publique française en la matière, qui date déjà de 2022, plus de 43 % des patients disent subir des symptômes encore un deux après.

Ici, pas de doute, il ne s’agit pas d’une simple « impression ». Alors qu’elles étaient imperceptibles pour les malades eux-mêmes, des difficultés cognitives et de mémoire ont été recensées après l’inoculation du Sars-Cov-2 chez une trentaine de volontaires anglais, dans une étude parue en 2024 dans eClinicalMedicine, une revue du groupe The Lancet. Et ce, jusqu’à un an après. Une autre analyse, publiée dans Nature Medecine en 2024 montrait la même chose sur 351 patients déjà malades. Des anomalies à l’imagerie cérébrale ont également été observées.

Le combat des malades

L’idée que le Covid long puisse sortir de l’imagination des patients, et qu’il n’y aurait rien à faire, a longtemps freiné la reconnaissance de ces souffrances. Elle est encore populaire chez certains médecins généralistes. « Une des priorités à l’avenir doit être de faire passer une communication à destination des professionnels de santé, pour qu’ils soient à jour sur le consensus scientifique », appelle Daniel Christien, membre fondateur de la principale association de patients Covid long, AprèsJ20.

Cinq ans après, l’association regrette le peu de moyens mis en œuvre pour lutter contre le Covid long. En janvier, elle a envoyé une lettre ouverte au ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, appelant à un sursaut, alors que certains centres spécialisés ont fermé ces derniers mois. Sans réponse pour le moment. « Les pouvoirs publics pensent souvent que la pandémie est terminée, que c’est du passé. Mais nous, on est toujours là. Et nous sommes nombreux, sûrement des millions, d’après les estimations. Il n’y aura pas de traitement miracle, on le sait, mais on peut obtenir plus d’avancées », poursuit Daniel Christien.

Habitués à devoir prouver leurs difficultés, les patients tombent parfois dans l’excès inverse : ils fustigent toutes les propositions axées sur une prise en charge psychologique. Il s’agit pourtant de l’un des piliers de la prise en charge du Covid long. Une revue de littérature publiée dans la prestigieuse revue British Medical Journal en septembre 2024, conclut qu’elle est pour le moment la seule approche à apaiser les maux des malades, avec la rééducation physique.

La piste du déconditionnement

« Que l’on considère que l’esprit et le cerveau jouent un rôle ne veut pas dire que les souffrances n’existent pas », défend Cédric Lemogne, psychiatre à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris, souvent la cible de remontrances en ligne. Le chercheur est convaincu qu’en plus des pistes « biologiques », un conditionnement mental peut aussi s’opérer. « Souvent, les personnes amputées ressentent une vive douleur dans le membre qu’ils ont perdu. Il pourrait y avoir des manifestations similaires dans le cas du Covid long », soutient le spécialiste.

Lui, comme plusieurs autres équipes de recherche, ont choisi de se concentrer sur la persistance des symptômes, plutôt que leur origine : « En réalité, beaucoup de patients ressentent des difficultés prolongées après un évènement aigu. Cela peut être le cas après une gastro-entérite, une maladie de Crohn, une polyarthrite rhumatoïde, ou encore une borréliose de Lyme. Je pense qu’il y a des points communs à tous ces phénomènes, qu’il y a une approche qui pourrait nous faire avancer. »

Dans chaque cas, Covid long ou non, l’activité biologique des agents pathogènes, quand elle est mesurable, est quasiment inexistante. « Et pourtant les problèmes se poursuivent », explique le chercheur. Il y a, dans ces réflexions, au moins une avancée indéniable : longtemps, les affections longues dont on ne trouve pas de trace dans l’organisme ont été reléguées aux marges, minorées voire niées. A la faveur du Covid-19, elles ont, elles aussi, fini par s’imposer comme une réalité aux Français.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-03-17 05:30:00

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