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Comment Donald Trump casse le thermomètre mondial du climat

Comment Donald Trump casse le thermomètre mondial du climat

Peut-on avoir été employée de l’année en 2023, promue en 2024 et virée en 2025 ? Tout est possible dans l’Amérique de Donald Trump. Hanna Miller, spécialiste de la gestion des mammifères marins, en a fait l’amère expérience. En février dernier, au cours de vacances à Hawaï, la scientifique consulte ses mails et apprend que « ses compétences ne correspondent plus aux besoins actuels ». Elle ne le sait pas encore, mais plusieurs centaines d’employés de la NOAA, la réputée Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, ont reçu le même message lapidaire. Une variante du célèbre « You’re fired » télévisuel du président des Etats-Unis, traduit en réalité par Elon Musk et son département de l’efficacité gouvernementale (Doge).

Aucune branche de l’État n’est épargnée par les coupes budgétaires et les dégraissages massifs. Surtout pas celles liées de près ou de loin au climat puisque, selon Donald Trump, le réchauffement planétaire est un « canular ». Depuis le retour du républicain à la Maison-Blanche, plus de 1 200 fonctionnaires de la NOAA ont été sommés de vider leur bureau. Un millier d’autres devraient suivre dans les prochaines semaines. « Ces licenciements erratiques et aveugles, venant de personnes totalement ignorantes et insouciantes, sont préjudiciables à la nation », enrage Craig McLean, ancien scientifique en chef par intérim de la NOAA jusqu’à sa retraite en 2022. Lui-même a subi le rouleau compresseur Trump, qui l’avait viré lors de son premier mandat, avant que Joe Biden ne le réintègre. « Ces décisions ne rendent pas l’Amérique à nouveau grande, bien au contraire. »

La NOAA, créée en 1970 par Richard Nixon afin de rassembler trois vieilles agences nationales, est un instrument précieux. Elle surveille les ressources marines du pays ; élabore des modèles climatiques ; joue un rôle crucial dans le suivi météorologique ; prévient des sécheresses, ouragans et autres phénomènes extrêmes. L’institution « est essentielle à la vie quotidienne et aux activités d’innombrables entreprises », résument, dans une lettre ouverte aux membres du Congrès, plusieurs dizaines d’organisations environnementales. S’y attaquer causera « sans aucun doute des pertes inutiles en vies humaines et des dégâts matériels », alerte auprès de L’Express Richard Spinrad, son ex-administrateur. Aux Etats-Unis, et bien au-delà.

« Des millions de personnes en danger »

La moitié du réseau d’observation de l’océan Indien est soutenue par la NOAA. Les prévisions de mousson et le suivi des cyclones du pays le plus peuplé du monde reposent aussi sur les modèles de l’agence américaine. « Sans cette colonne vertébrale, les alertes précoces aux inondations, aux vagues de chaleur et aux tempêtes s’affaibliront, mettant en danger des millions de personnes », a prévenu le climatologue Roxy Mathew Koll sur LinkedIn. Même crainte pour les petites îles du Pacifique, dépendantes de la NOAA pour l’anticipation des typhons. Ou pour les nations des Caraïbes. Le Brésil pourrait, lui, ne plus pouvoir compter sur ses satellites, pourtant essentiel à la surveillance de la déforestation et aux impacts du changement climatique dans le poumon amazonien. Et l’ensemble de la planète se passer de ses marégraphes pour l’observation globale de l’élévation du niveau de la mer…

« La météo et le climat ne s’arrêtent pas aux frontières. La seule façon de comprendre notre planète est la coopération internationale. Devenir isolationniste et antagoniste envers nos alliés est complètement absurde », déplore Tom Di Liberto, ancien spécialiste des Affaires publiques de la NOAA, licencié par mail le 27 février à 15h45, deux semaines avant la fin de sa période probatoire. En France, l’Institut de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) est un partenaire de longue date du cousin américain. Les projets et les publications communes sont légion – près de 20 % de ces dernières sont cosignées avec des scientifiques exerçant de l’autre côté de l’Atlantique. L’accord-cadre entre les deux entités a même été renouvelé en juillet 2023. Risque-t-il de couler ?

Communications sous surveillance

« On est forcément inquiets », admet François Houiller, le président-directeur général de l’institut, qui n’a pas encore eu de contact avec la nouvelle direction de la NOAA. Le biologiste n’a donc pas pu obtenir de garantie sur la continuité des programmes partagés, comme Argo. Ce réseau de 4 000 flotteurs mesure notamment la température et la salinité des océans. Une sorte de thermomètre mondial des grands bleus. Si l’Ifremer est le pilier européen de ce grand programme, et en finance entre 7 et 8 %, les Etats-Unis y contribuent, eux, à hauteur de… 57 % ! Difficile d’espérer un tel maintien alors que l’administration Trump sabre dans les budgets, veut résilier les baux des bâtiments de la NOAA – dont le laboratoire qui gère l’observatoire du Mauna Loa, à Hawaï, et qui dispose des mesures les plus anciennes de la concentration de CO2 dans l’atmosphère – ou plafonne les dépenses des scientifiques. Avec une limite fixée à un petit dollar, terminées les commandes permettant de garantir l’activité des radars, navires ou flotteurs qui captent ces données cruciales sur l’évolution des océans.

Celles-ci sont au cœur des interrogations. Resteront-elles disponibles ? « A ce stade, je n’ai pas connaissance d’altération de la mise en commun des données qui ont pu être acquises et continuent de l’être par Argo… Mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas », note François Houiller, prudent. Il pourrait s’agir de la prochaine étape du sabordage de l’agence américaine par son président climatosceptique. Les employés maintenus en poste évoluent déjà dans un monde ressemblant de plus en plus à Big Brother. Ils sont désormais contraints de demander une approbation au cas par cas pour toutes communications ou engagements internationaux. D’après Franceinfo, les échanges entre les chercheurs de la NOAA et de l’Ifremer sont ainsi interdits depuis un mois. Un coup de canif dans l’un des principes fondamentaux de la coopération scientifique : son partage universel.

« Des pitreries remarquablement coûteuses »

Le grand congrès One Ocean Science, qui se tiendra du 3 au 6 juin à Nice (Alpes-Maritimes), pourrait donner le pouls des dégâts causés par les attaques de Donald Trump. Les Etats-Unis restent pour le moment la deuxième nation avec le plus d’inscrits, derrière la France. « Je n’ai pas vu de mouvement de désinscription, assure le président-directeur général de l’Ifremer et coorganisateur de l’événement avec le CNRS. Il y a des communications portées par des collègues américains, j’espère donc qu’ils seront présents. » Ce ne sera pas le cas d’une directrice de programme de la NOAA. Initialement invitée à être l’une des neuf conférencières du congrès, puisqu’elle « était parfaitement compétente » selon François Houiller, elle a été licenciée d’office par l’administration, étant encore en période probatoire.

« Le monde doit tenir compte de l’excellence scientifique historiquement prouvée, et ignorer les faux prophètes », clame Craig McLean. Avec 40 ans de NOAA derrière lui, l’ancien chef de la délégation américaine auprès de la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco a suivi le développement de l’agence dans la modélisation climatique, un domaine dans lequel « brille » son laboratoire de dynamique des fluides géophysiques à Princeton. Non sans douleur, le scientifique se remémore l’essor des prévisions météorologiques, « depuis le premier satellite destiné à prévoir le temps, les premiers ordinateurs se consacrant aux études météorologiques après avoir travaillé sur le projet Manhattan ». Toutes ces avancées ont permis aux Etats-Unis, à travers la NOAA, d’occuper un leadership dans le domaine et de s’affirmer comme un poids lourd au sein de l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

Une position remise en question aujourd’hui par « les pitreries remarquablement coûteuses de Donald Trump », regrette Craig McLean. Elles poussent même au pessimisme certains des experts les plus chevronnés. « Vu la situation actuelle, les Etats-unis ne devraient plus être à la pointe de la science du climat », soupire Tom Di Liberto. Venant d’un scientifique ayant représenté son pays lors de six COP – ces grandes messes annuelles consacrées au réchauffement de la planète -, le constat est encore plus cruel.



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2025-03-21 07:00:00

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