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Psychologue, une profession en mal de régulation : ces pistes pour mieux protéger les patients

Psychologue, une profession en mal de régulation : ces pistes pour mieux protéger les patients

François* est psychologue dans l’est de la France. Diplômé, enregistré auprès de l’agence régionale de santé, et même référencé par une plateforme mutualiste. Un site Internet détaille sa formation initiale, ses formations complémentaires et les troubles qu’il prend en charge (anxiété, dépression, boulimie…). C’est donc en toute confiance que Nathalie* a pris rendez-vous pour sa fille de 7 ans. Les premières consultations se passent bien, mais lors d’une séance, le praticien, qui reçoit à son domicile, propose une étonnante « séance piscine ». La maman donne tout de même son accord, mais quand elle vient récupérer la fillette, celle-ci était… nue dans le bassin avec François. « Nathalie a immédiatement arrêté le suivi. J’essaye maintenant de la persuader de porter plainte, mais cette démarche lui fait un peu peur », raconte Lucie, une autre psychologue qui a, depuis, repris le suivi de la petite fille.

A Paris, David, très déprimé après une rupture avec son compagnon, se tourne vers un psychologue proche de son domicile, trouvé sur un annuaire en ligne « et plutôt bien noté sur Google ». Le rendez-vous se passe mal d’emblée : le professionnel cherche à tout prix à lui faire dire qu’il avait une mauvaise relation avec ses parents (ce qui n’était pas le cas), et lui demande même s’il est « sûr de son orientation sexuelle ». Choqué, David mettra plusieurs mois avant de s’adresser à un autre psy, qui le suit depuis.

Des situations caricaturales, qui ne disent rien des compétences et de la probité des milliers de psychologues qui exercent dans notre pays ? Sans nul doute. En revanche, ces cas illustrent parfaitement l’une des difficultés auxquelles peuvent être confrontés les patients lorsqu’ils s’adressent à ces professionnels de la santé mentale : l’absence de possibilités de recours, hormis l’arme nucléaire de la plainte pénale, face à des pratiques inadaptées. Car, contrairement aux médecins, aux sages-femmes, aux kinés ou aux infirmiers, il n’existe pas d’ordre des psychologues. Si ces structures ne sont pas exemptes de critiques, les patients peuvent néanmoins les saisir et, de fait, plusieurs centaines de soignants sont sanctionnés chaque année à des degrés divers.

Mon Soutien psy, c’est la première brique, le début de l’histoire et pas la fin

Franck Bellivier

Rien de tel à ce jour pour les psychologues : il existe bien un code de déontologie, mais il n’est pas inscrit dans la loi. Rédigé par une partie des représentants du secteur, sans caractère obligatoire, il n’est pas opposable juridiquement. La pression monte toutefois pour la création d’un ordre, et d’un code ayant une valeur légale. Deux propositions de loi ont notamment été déposées en ce sens en 2021, puis en 2024. « Aujourd’hui, la profession reste dans une forme d’autorégulation, mais on voit bien que ce n’est pas suffisant pour garantir la sécurité des patients », plaide Eric Poulliat, ex-député Renaissance de Gironde, auteur de la deuxième proposition. Car les besoins en santé mentale de la population explosent – et avec eux les pratiques déviantes, si l’on en croit l’un des seuls baromètres disponibles, celui de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) : « Nous assistons à une augmentation des signalements pour des prises en charge problématiques dans ce champ. Beaucoup sont liées à des thérapeutes non diplômés en psychologie, mais la profession de psychologue est aussi concernée », confirme Donatien Le Vaillant, le chef de la Miviludes. Entre autres exemples, ces psys qui, pour l’un, traitait des enfants avec une douteuse « thérapie par apposition des mains » et pour l’autre, proposait « d’entrer en communication avec des entités spirituelles »…

Offre peu lisible

Sans même parler de telles dérives, il peut aussi s’avérer très délicat pour les patients de s’orienter face à une offre foisonnante et souvent peu lisible. Le titre de psychologue recouvre en effet des spécialisations variées (travail, éducation et développement, neuropsychologie…), et pour la prise en charge des troubles psychiques, des approches diverses – thérapies cognitivo-comportementales (TCC), psychanalyse… Difficile de s’y retrouver. « Si un praticien ne convient pas, les patients peuvent en changer », répond Florent Simon, secrétaire général du syndicat national des psychologues (SNP). Encore faut-il avoir les moyens de « tester » différents thérapeutes : les consultations, dont les tarifs varient de 60 à 80 euros, sont loin d’être à la portée de tous.

En réponse à ce double enjeu, transparence et remboursement, les pouvoirs publics ont créé au printemps 2022 Mon soutien psy. Réservé aux problèmes psychologiques « d’intensité légère à modérée » (anxiété transitoire, symptômes dépressifs, troubles du sommeil…), ce dispositif, qui a évolué au fil de l’eau, prévoit aujourd’hui la prise en charge de 12 séances, au tarif de 50 euros, à condition de s’adresser à un psychologue conventionné. Petite révolution, ceux-ci font l’objet d’une sélection par un comité d’experts, sur la base de critères de formation (un master en psychologie) et d’expérience (avoir travaillé au moins trois ans auprès de patients avec des troubles psychiques).

Dire que les psychologues s’y sont opposé relève de l’euphémisme : le combat a été homérique. Tarif « trop bas », nombre de séances « trop limité », prescription initiale d’un médecin qui « contreviendrait à l’autonomie professionnelle » (une mesure supprimée depuis), « hiérarchisation des souffrances psychiques éloignées de la réalité des patients »… Leurs griefs étaient nombreux. Trois ans après son lancement, une large part des représentants de la profession reste vent debout contre ce dispositif. Pourtant, malgré les appels au boycott, le nombre de psychologues conventionnés progresse régulièrement : ils étaient 5 406 au 17 mars 2025, sur 27 000 libéraux, dont environ 15 000 remplissant les critères d’éligibilité, selon le ministère de la Santé. Ni plébiscite, ni rejet total, donc.

Vers un remboursement des consultations spécialisées ?

Alors que l’Assurance-maladie doit lancer ces jours-ci une campagne de communication sur ce dispositif, le ministère envisage déjà de lui donner une suite. « Mon Soutien psy, c’est la première brique, le début de l’histoire et pas la fin », confie Frank Bellivier, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Son ambition désormais ? Aboutir à un remboursement des psychothérapies spécialisées pour les patients atteints de pathologies psychiques caractérisées – schizophrénie, dépression sévère, troubles bipolaires… Un énorme trou dans la raquette aujourd’hui, puisque Mon soutien psy ne s’adresse normalement pas à ce public.

Catherine en sait quelque chose. Sa fille Claire, 42 ans, souffre à la fois de schizophrénie et d’un trouble anxio-dépressif, et a un besoin d’un suivi. En l’absence de psychologues dans son centre médico-psychologique, cette Parisienne a dû se tourner vers l’offre libérale : « Cela lui coûte 380 euros par mois. Elle travaille dans l’informatique, avec un salaire d’environ 2 000 euros », rapporte Catherine. Impossible pourtant de se passer de ces rendez-vous, indispensables pour calmer ses angoisses et éviter le retour de ses « idées délirantes ». Encore a-t-elle la chance d’avoir trouvé une spécialiste de sa pathologie grâce aux recommandations d’un psychiatre hospitalier. Mais avant d’en arriver là, Claire est passée par les cabinets de cinq psychologues. Choisis un peu au hasard, dans les Pages jaunes, en raison de leur proximité avec son domicile, ils n’ont pas su l’aider : « Elle a perdu beaucoup de temps », regrette Catherine.

Identifier et valider les compétences des professionnels qui s’inscriraient dans ce nouveau dispositif de remboursement : voilà tout l’enjeu de la réforme en gestation au sein de la délégation ministérielle à la santé mentale. « On parle de financer des consultations avec l’argent du contribuable. Les patients doivent donc pouvoir être orientés vers des psychologues qui emploient des méthodes qui bénéficient de données probantes », insiste Frank Bellivier. Que ce soient la remédiation cognitive dans la schizophrénie, la psycho-éducation et les TCC dans les troubles bipolaires ou pour la prévention des rechutes en cas de dépression, de nombreuses psychothérapies ont fait la preuve de leur bénéfice. Essentielles pour une bonne prise en charge, elles généreraient aussi, selon de nombreuses études, des économies en améliorant l’état des patients, et donc en diminuant les rechutes et les hospitalisations.

Un bouleversement profond

La délégation ministérielle a déjà son plan de bataille. « Dans un premier temps, nous devrons, en association avec les psychologues et les neuropsychologues, décrire les compétences attendues pour les différentes pathologies. A partir de là, le ministère de l’Enseignement supérieur établira un référentiel de formation, puis les facultés de psychologie, sur la base du volontariat, organiseront les cursus en adéquation avec les besoins des patients du secteur sanitaire et médico-social », résume Frank Bellivier. Un bouleversement profond, qui prendrait deux à trois ans pour aboutir, estime-t-il. Les stages, obligatoires pour obtenir le diplôme seraient, eux aussi, revus. Aujourd’hui, en effet, ils sont difficiles à trouver, et peu cadrés. Les objectifs pédagogiques sont peu formalisés, et les maîtres de stage ne font même pas l’objet d’un agrément. « On peut très bien valider une formation de psychopathologie clinique sans même être passé dans un service de psychiatrie », regrette le délégué ministériel.

Les psychologues déjà en exercice qui voudraient s’inscrire dans ce nouveau dispositif passeraient, eux, par des campagnes de validation des acquis de l’expérience. Autant de mesures déjà préconisées en 2019 par l’Inspection générale des affaires sociales. Pour lancer la réforme, il ne manque plus que le feu vert d’un ministre de la Santé – ces dernières années, la plupart s’y sont dits favorables, mais ne sont pas restés suffisamment longtemps pour prendre le dossier à bras-le-corps.

Celui (ou celle) qui appuiera sur le bouton devra toutefois s’attendre à des cris et de la fureur. « Une partie d’entre nous travaille déjà dans des services de psychiatrie, sans que l’on nous demande de vérifier ou de compléter notre formation. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent en libéral », s’agace Gladys Mondière, la présidente de la Fédération française des psychologues et de psychologie, qui comptait pourtant parmi les moins hostiles à Mon soutien psy. Pour Florent Simon, du SNP, c’est non aussi : « Nous voulons conserver notre autonomie par rapport aux médecins. Avec cette réforme, la liberté de notre profession d’adapter ses outils et ses pratiques aux patients serait compromise. » Les deux organisations plaident avant tout pour une augmentation des moyens du secteur public (hôpitaux et centres médico-psychologiques), que les psychologues abandonnent peu à peu du fait de la faiblesse des rémunérations. Quant à Camille Mohoric Faedi, représentante du Manifeste Psy, un collectif créé en opposition à Mon soutien psy, elle n’a pas souhaité répondre aux questions de l’Express, ni s’exprimer sur les projets du ministère, renvoyant à un rapport publié en 2023 par son organisation, pour « proposer une nouvelle place des psychologues cliniciens dans le système de santé », avec notamment une formation allongée.

Usurpations de titres et pseudothérapeutes en tout genre

En attendant, la question de la lisibilité des compétences réelles des psychologues reste entière. « Nous avons encore des remontées de malades atteints de troubles autistiques ou de schizophrénie accompagnés par des praticiens d’obédience psychanalytique, une pratique contre-indiquée pour eux », regrette Emmanuelle Rémond, la présidente de l’Unafam, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques. Une chose est sûre : si cette réforme s’engage, elle relancera inévitablement les discussions autour de la création d’un ordre. Le remboursement ne peut en effet se concevoir sans le respect d’un cadre déontologique, garanti par les pairs et avec d’éventuelles sanctions à la clef, écrivait déjà en substance l’Igas en 2019.

Un ordre faciliterait aussi la lutte contre un autre fléau, néfaste aussi bien aux professionnels diplômés qu’aux patients : les usurpations de titre et la prolifération de pseudothérapeutes en tout genre, qui jouent la confusion du public autour des professions « psy ». « A l’heure actuelle, seules les agences régionales de santé s’occupent de faire respecter le peu de lois qui protègent la profession et les usagers, mais elles sont débordées. Un ordre nous donnerait de la légitimité pour agir de notre côté », plaide Hélène Marais-Thomas, membre du conseil d’administration de l’Acopsy (association pour la création d’un ordre des psychologues).

Reste qu’en dehors de cette organisation, la plupart des syndicats et associations de psychologues s’y opposent, et travaillent sur des propositions alternatives. Tous ont conscience de la nécessité d’avoir a minima « un lieu pour recueillir et centraliser les plaintes et rendre des avis », selon Florent Simon. Mais face à la fragmentation des représentants de la profession, nul ne sait quand un projet validé par tous pourra aboutir. Les « psychocoaches », « psychogénéalogistes », et autres « psychopraticiens transpersonnels » ont encore de beaux jours devant eux.

* Les prénoms ont été modifiés.



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Author : Stéphanie Benz, Alexis Da Silva

Publish date : 2025-03-23 07:45:00

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