Quelques jours avant la mise en application des accords signés à Schengen en 1985, Jean-Michel Demetz analysait la portée de ce tournant pour la France : « Pour un vieux pays élevé dans la religion des ’frontières naturelles’ et vétilleux sur leur défense, l’événement est historique ». Il décrivait la nervosité du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, quant à la mise en oeuvre de cette nouvelle liberté de circulation et prenait pour exemple l’aéroport de Schipol, « plaque tournante de tous les trafics ». Face à ces réticences, il s’interrogeait sur le rôle à venir des frontières pour un continent en pleine mutation : « Avec l’essor continu des échanges en Europe, la frontière peut-elle encore avoir d’autre signification que symbolique ? » En 2025, l’espace Schengen compte 29 membres : 25 des 27 pays de l’Union européenne et 4 états associés.
Dans L’Express du 23 mars 1995
L’adieu aux frontières
Sous le portrait de Beatrix, sa reine, le major J. C. Oussoren, de la maréchaussée royale des Pays-Bas, attend avec une placidité toute néerlandaise les renforts. 80 nouveaux agents vont arriver d’ici au 26 mars, jour d’entrée en vigueur de l’accord de Schengen. A cette date, l’officier responsable de l’immigration à Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam, ne sera plus comptable de la seule sécurité des frontières du royaume, mais aussi de celle des 6 autres pays européens qui ont ratifié la convention.
Signée en juin 1985, celle-ci prévoit, en effet, la libre circulation des personnes (toutes nationalités confondues) au sein de l’espace aujourd’hui constitué par la France, les 3 Etats du Benelux, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal. Ainsi, un Angolais débarquant à Amsterdam pour gagner ensuite Paris, par la terre ou par les airs, ne sera contrôlé qu’une fois – à son arrivée aux Pays-Bas. La France ne gardera donc plus ses frontières terrestres qu’avec la Suisse et l’Italie. Et ce sont les douaniers allemands ou de la péninsule Ibérique qui veilleront pour elle sur l’Oder-Neisse ou à Gibraltar, face à l’Europe de l’Est ou au Maghreb.
Pour un vieux pays élevé dans la religion des « frontières naturelles » et vétilleux sur leur défense, l’événement est historique. Pourtant, ni à Schiphol ni aux autres points de passage des frontières, on ne fêtera particulièrement l’événement, le 26 mars. Et le projet, un moment caressé, de promener dans le même avion, d’un pays à l’autre, des ministres des 7 pays, pour prouver que l’ère des contrôles était bien révolue, a été abandonné.
D’abord, parce que les ministres de l’Intérieur des Sept, héritant d’un accord engagé par leurs collègues des Affaires européennes, sont plus tièdes que ces derniers et parfois même franchement nerveux devant son application. Charles Pasqua, bien qu’il ait ratifié la convention en 1990, n’a ainsi jamais fait mystère de son manque d’enthousiasme pour ce démantèlement partiel des contrôles. Mais c’est peut-être aussi la perspective d’une escale à Schiphol qui a refroidi les excellences. Car l’aéroport, qui traîne déjà une détestable image de plaque tournante de tous les trafics, ne sera pas prêt avant la fin de l’année à effectuer un tri rigoureux entre les voyageurs de la « zone Schengen », les citoyens du reste de l’Union européenne et les autres.
En attendant décembre, il a bien fallu trouver un arrangement. Plutôt que de conserver les contrôles (comme à Marseille-Marignane), les autorités de l’aéroport ont réservé aux passagers de l’espace Schengen des tourniquets à carte magnétique qui leur permettent de passer librement. Mais cette procédure permet tous les détournements. Rien n’empêche de remettre cette carte à un complice qui souhaiterait échapper à toute vérification d’identité et d’aller soi-même, avec son passeport, se présenter au poste ordinaire de police : « Schiphol est un maillon de la chaîne qui a déjà sauté », dénonce un conseiller de Charles Pasqua. Et de s’interroger : « Comment a-t-on pu accepter une telle absence de garanties dans un aéroport si sensible ? » Mais, avec l’essor continu des échanges en Europe, la frontière peut-elle encore avoir d’autre signification que symbolique ?
Voilà dix jours, l’Autriche, prochain candidat au « club Schengen », a voulu tester l’application de l’accord qui prévoit un strict renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union. Au poste de Nickelsdorf, sur l’axe routier le plus fréquenté entre Budapest et Vienne, les douaniers ont systématiquement vérifié documents et bagages. L’opération à peine engagée, des files d’attente de neuf heures se sont formées. Test concluant.
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Publish date : 2025-03-26 08:23:00
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