L’Express

Ce mail préfectoral qui en dit long sur le cauchemar administratif, par Nicolas Bouzou

Ce mail préfectoral qui en dit long sur le cauchemar administratif, par Nicolas Bouzou

Un de mes amis agriculteurs m’a transféré la semaine dernière un e-mail de sa préfecture ainsi libellé : « IMPORTANT, ce message est un message d’information n° 2, envoyé à tous les exploitants ayant un n° PACAGE non clos sur notre logiciel. » Un tel intitulé, si effrontément technocratique, a de quoi faire fuir. Il se trouve qu’apparemment un nombre conséquent de nos paysans est concerné. Voilà donc mon ami obligé de lire ce message… et d’en comprendre la teneur. Cette chronique étant limitée, je ne peux en reproduire l’intégralité, bien que j’en brûle d’envie. En voici quelques extraits. Ils permettent de saisir, mieux que n’importe quelle thèse d’économie ou discours politique, de quoi souffre notre pays.

« Pour que vos Jachères (code JAC) puissent rentrer dans le calcul »…

L’e-mail commence ainsi – respirez un grand coup : « Pour faire suite au premier message d’information du 18/03/2025 ; Ce deuxième message vous présente les principales modifications réglementaires PAC 2025 par rapport à la PAC 2024. Attention : pour que vos Jachères (code JAC) puissent rentrer dans le calcul du nombre de points (pour mémoire, il faut obtenir 4 points pour le niveau de base de l’aide et au moins 5 points pour l’aide de niveau supérieur), il vous faudra cocher dans la page consacrée qu’elles sont ‘IAE'(Infrastructures Agro Ecologiques). Dans l’écran de déclaration des éléments favorables à la biodiversité, telepac vous propose un inventaire des parcelles qui sont susceptibles d’être comptabilisées en tant qu’éléments favorables à la biodiversité au titre de l’écorégime ; Il faudra cocher vos Jachères. Bien évidemment, pour être comptabilisée, votre jachère ne devra pas être valorisée entre le 01/03/2025 et le 31/08/2025 (pas de fauchage, pas de broyage avec récupération de l’herbe et pas de pâturage), entre le 15/04 et le 15/10 pour les JAC mellifères, être broyée et fauchée pendant 40 jours du 01/05 au 09/06/2025. »

On pense souffler. Raté : une menace se profile : « Attention, si vous ne cochez pas ‘IAE’, vos jachères de plus de 5 ans passeront en prairies permanentes et aucun retour en arrière ne sera possible (nombre de points moindre pour l’ECOREGIME via la voie des pratiques et aucune possibilité d’intégrer vos jachères non IAE pour l’écorégime via IAE). »

Inattendue, une considération chevaline inattendue vient compléter le tableau : « Pour les détenteurs d’équidés, pour être comptabilisés dans le calcul du seuil d’éligibilité (5 UGB), les chevaux doivent avoir au moins 6 mois et au plus 3 ans au 31 mars 2025 (les chevaux reproducteurs de plus de 3 ans restent éligibles pour le calcul : au moins une naissance ou une déclaration de saillie entre le 16 mai 2024 et le 15 mai 2025). »

Des consignes angoissantes, coûteuses et infantilisantes

Mais quelle nausée ! La suite m’est encore moins évocatrice qu’un poème sanskrit : « BCAE7. Ce qui était appelé ‘obligation de rotation des cultures’ en 2023 et 2024 est complété en 2025 par la possibilité de choisir ‘la diversification’. Vous pourrez choisir soit le critère ‘rotation’ pour respecter cette conditionnalité c’est-à-dire mettre en place une culture différente sur 35 % de votre terre arable dès 2025 ET respecter une culture différente sur 100 % de vos terres arables entre 2023 et 2025 ; OU choisir le critère ‘diversification’. »

Tout le malheur de la France est dit ou presque dans ces lignes, accompagnées de plusieurs pièces jointes décrivant les cultures concernées, les surfaces, les années… Ces réglementations kafkaïennes sont le quotidien de nos agriculteurs, artisans et entrepreneurs. Elles sont angoissantes car presque impossibles à décrypter, coûteuses puisqu’il faut prendre le temps de s’y plonger pour tenter de les appliquer, infantilisantes par leur niveau de détail.

Mon ami m’assure qu’il reçoit ce genre d’e-mails régulièrement et que lui-même, malgré son expérience, peine à y donner suite. Comment s’étonner, dès lors, de l’augmentation des burn-out, des dépressions et même des suicides dans cette profession ? Imagine-t-on l’impact que peuvent entraîner ces messages à répétition sur le moral d’exploitants qui ne demandent rien d’autre que de faire correctement leur travail et ont l’impression de faillir devant une administration devenue folle ?

Un projet de loi de simplification économique est aujourd’hui coincé dans les méandres du Parlement. Par pitié, Mesdames et Messieurs les élus, et pour le bien de la France, débarrassez-nous de ce cauchemar normatif !

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères



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Author : Nicolas Bouzou

Publish date : 2025-03-27 11:00:00

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