Il y a comme un réflexe suicidaire dans la défense des démocraties libérales. La mairie de Paris est depuis longtemps déconnectée de la réalité – je ne parle même pas de la dette abyssale niée avec un aplomb spectaculaire –, mais avec l’organisation en catimini d’une consultation citoyenne sur la végétalisation, elle franchit le Rubicon de la réalité alternative. Avec 4 % de participation, la mairie de Paris aurait dû capituler, ou au minimum éviter de se vanter des 82,95 % de oui. Et pourtant dès l’annonce des résultats, nous avons assisté au défilé des membres de la secte de l’Hôtel de ville, réjouis et victorieux, qui en profitaient pour renvoyer tous les grincheux vers l’extrême droite – pauvreté de l’argumentaire, prémisses du fascisme pour de vrai.
Quelques jours plus tôt, Anne Hidalgo expliquait que sa lamentable défaite à l’élection présidentielle (1,75 % des voix) était principalement due aux… sondages. La déconnexion avec le réel est telle qu’alors que le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, nous apprend que les actes antisémites ont augmenté de 340 % dans l’agglomération parisienne entre 2023 et 2024 et qu’à Paris et dans l’agglomération parisienne, 88 % des actes antireligieux sont des actes antisémites, contre 62 % à l’échelle nationale, rien n’est annoncé pour lutter contre l’antisémitisme ou au moins faire semblant de s’y intéresser ou au minimum lancer une énième et inutile consultation citoyenne.
La maire de Paris a autre chose à faire : des élections 2026 à préparer et le panier de crabes se referme sur les petites phrases et les couteaux aiguisés dans le dos. Alors que les démocraties illibérales usent des élections comme d’une caution, préparant déjà les esprits, depuis le déni répété de Donald Trump de ne pas accepter sa défaite de 2020, à ne plus accorder d’importance aux voix des urnes, assister au spectacle désolant d’une mairie de Paris qui saute par-dessus la réalité des 4 % de participants pour lancer une végétalisation dont personne ne sait de quoi il retourne, est un signe glaçant, le signe d’une défaite annoncée des démocraties libérales.
Que reste-t-il au libéralisme pour proposer une alternative aux populismes, libertarianismes et autres illibéralismes en vogue ? Si nous ne comprenons pas que le réarmement de l’Europe n’est pas seulement militaire, mais doit être idéologique, nous avons déjà perdu. Et quand j’écris idéologie, je ne propose pas des doctrines, des interdits, des comment vivre ou comment dire. Non, je parle de retour aux fondamentaux libéraux, à la liberté et au débat qui passent invariablement par une fierté de l’histoire occidentale et européenne. En résumé : cesser de cracher dans la soupe si nourrissante du libéralisme, relire John Stuart Mill, se vanter crânement d’être le fruit d’une histoire qui a mis à bas l’obscurantisme religieux et absolutiste, permis l’émancipation du sujet en citoyen, de l’esclave en libre travailleur, du bigot en libre penseur, de la censure en liberté d’expression, des larmes en rires, accoucher de la souplesse sociale et culturelle, de la possibilité d’un horizon débarrassé du poids du destin.
Exciter le citoyen européen anesthésié par trop de confort mais aussi de déresponsabilisation qui l’ont éloigné de l’effort comme des urnes, de l’ambition comme de l’espoir, c’est cesser de lui proposer un passé qui n’est que honteux, un avenir qui n’est que bureaucratie, un progrès qui n’est que sociétal, un présent qui n’est que peur et tremblements face à l’impuissance érigée en maître.
Les démocraties libérales sont frappées d’immobilisme. Ses enfants sont désenchantés à force de déconstruire et de fuir le récit occidental, devenus vulnérables aux attaques des islamistes comme des populistes de gauche et de droite qui ne proposent qu’un illusoire et lugubre retour en arrière. Il existe une figure fictive qui pourrait nous être utile, qui a la même importance pour moi que pour Romain Gary – ce doit être un truc de métèque : « Arlequin était un enfant du peuple, qui avait surgi de la souffrance la plus profonde pour répondre par ses lazzi aux siècles de péché originel, d’art gothique glorifiant la douleur, de clous et d’épines – oui, il était sorti du populaire pour déchirer d’un coup de pied le voile des ténèbres et faire la figue à tout ce qui exige de l’homme la soumission et la résignation. »
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2025-03-28 11:45:00
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