L’Express

Terrorisme, complotisme… Dans les quartiers populaires, les jeunes entre défiance et crédulité

Terrorisme, complotisme… Dans les quartiers populaires, les jeunes entre défiance et crédulité

Depuis six ans, l’association Square mène des actions visant à développer l’esprit critique chez les jeunes des quartiers populaires urbains. Il est d’autant plus salutaire qu’il est accompagné par des chercheurs qui recueillent des données sur leur représentation du monde et mesurent l’impact des initiatives prises. Ces données sont précieuses parce qu’elles sont rares.

Lorsqu’il arrive qu’un travail académique soit mené sur les croyances ou les engagements de cette catégorie de la population, les résultats suscitent souvent une polémique. Citons notamment La Tentation radicale, remarquable étude dirigée par Olivier Galland et Anne Muxel et publiée aux PUF, qui a donné lieu à un tir de barrage aussi risible que politiquement motivé. Elle était méthodologiquement solide mais ses résultats inquiétants ont déplu à une certaine extrême gauche qui, semblable aux gesticulations antisciences d’un Donald Trump, fait tout pour casser les thermomètres qui indiquent une fièvre qui ne leur convient pas.

Des résultats préoccupants

Le portrait que l’enquête Square dresse d’une partie de la jeunesse est donc essentiel. Menée en Ile-de-France auprès de 1 400 jeunes de 11 à 25 ans, elle apporte des données objectives sur leur rapport à l’information et aux théories du complot. Et les résultats sont préoccupants. Par exemple, un tiers des jeunes interrogés pensent que le gouvernement laisse volontairement se produire des attaques terroristes et 41 % des jeunes adultes croient que certaines maladies ont été créées comme des armes. Plus que l’adhésion à des théories du complot qui en sont pour partie des conséquences, c’est la différence de confiance envers les institutions entre cette population et la moyenne nationale qui est sidérante.

Un quart d’entre eux déclare donner crédit à l’école quand la moyenne française est de 67 %. 29 % de ces jeunes font confiance aux chercheurs tandis que 81 % de nos concitoyens sont dans ce cas ! On ne sera pas étonné de constater que de telles différences sont aussi enregistrées concernant la police ou la justice. C’est donc le constat d’une méfiance générale qu’on doit comprendre car elle est aussi bien institutionnelle qu’épistémique, d’ailleurs les journalistes ne trouvent pas non plus grâce à leurs yeux.

Cette méfiance s’accompagne d’un sentiment d’impuissance politique deux fois plus élevé que dans le reste de la population. Lorsqu’on leur soumet des informations issues des réseaux sociaux, 41 % des jeunes adultes répondent ne pas savoir si elles sont vraies ou fausses et la moitié ignore le rôle des algorithmes dans la sélection des contenus qu’ils consomment. On pourrait encore ajouter que 1 sur 2 ne sait pas distinguer un fait d’une opinion. Ces jeunes s’informent majoritairement via les réseaux sociaux, tout en déclarant à 60 % ne pas leur faire confiance.

L’esprit critique s’apprend

La situation pourrait paraître désespérante : elle ne l’est pas. L’enquête Square montre aussi que l’esprit critique s’apprend. Les scores tant des collégiens que des jeunes adultes s’améliorent notablement dans tous les domaines après qu’ils ont participé à des ateliers d’éducation à l’information : que ce soit dans la distinction des faits ou des opinions ou dans la volonté pratique de diversifier ses sources d’information aussi bien que dans leur identification des risques du biais de confirmation. Le plus remarquable est que ces effets sont tangibles trois mois après encore après l’expérimentation.

De ce point de vue, ces jeunes gens qui manifestent une rupture inquiétante avec notre espace commun sont aussi une source d’espoir. Ils ne sont ni perdus ni en totale sécession. En revanche, ils manifestent, parce qu’ils sont porteurs de variables économiques et culturelles spécifiques, un fort sentiment de frustration. Celui-ci présente un risque de se transmuer en représentations à la fois agonistiques et paranoïdes du monde. A l’heure où certaines nations ont franchement basculé dans la démocratie des crédules, souvenons-nous que la rationalité est ce qui fait la possibilité de l’union par-delà les différences culturelles. Nous en sommes tous potentiellement dotés mais il faut créer les conditions sociales pour la stimuler plutôt que la désespérer.



Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/terrorisme-complotisme-dans-les-quartiers-populaires-les-jeunes-entre-defiance-et-credulite-6C2D5NAD2NB2XARCGJ26WI6DXQ/

Author : Gérald Bronner

Publish date : 2025-03-30 10:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile