Exit les vastes bureaux du 13e arrondissement et la magnifique vue sur tout Paris ! Le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), a récemment déménagé dans des locaux bien moins spacieux, situés dans le centre de la capitale. Tout un symbole, quand on sait la mauvaise passe que traverse l’institution, engagée dans l’une des plus graves crises qu’elle ait connues depuis sa création en 2013.
Le 24 mars, dans le cadre du projet de loi sur « la simplification de la vie économique », des députés ont adopté en commission un amendement visant tout bonnement à supprimer cette instance, chargée d’expertiser les universités et autres établissements post-baccalauréat. Les élus considèrent l’institution comme trop dispendieuse, idéologisée et inutile. Le texte, rédigé par le groupe Écologiste et Social, doit être débattu cette semaine à l’Assemblée nationale.
Pour ne rien arranger, l’institution fait, dans le même temps, l’objet d’intenses critiques venant du monde universitaire. En cause : le très grand nombre d’avis défavorables qu’elle a récemment délivrés aux universités de la vague E, basées en Ile-de-France (hors Paris), dans les Hauts-de-France, à Mayotte et à La Réunion (NDLR : les évaluations se font par vagues successives). Inquiets de perdre les crédits qui leur sont alloués et qu’à terme, leur formation disparaisse, de nombreux directeurs se sont empressés de contester ces appréciations.
« Evaluation normative et idéologique », logique « bureaucratique » et « chronophage », soupçons de « fraude »…. Dans L’Express, la nouvelle présidente de l’institution, Coralie Chevallier, nommée le 4 mars dernier, répond aux attaques. Et dessine au passage un vaste projet de réforme de l’institution, qu’elle veut – si tant est qu’elle survive à cette mauvaise passe – plus simple et plus efficace. Entretien.
L’Express : Les multiples avis défavorables adressés aux universités de la vague E suscitent une vive inquiétude dans le monde universitaire. De nombreux acteurs dénoncent le risque de disparition de certaines formations. Ces craintes sont-elles fondées ?
Coralie Chevallier : Le Hcéres ne décide en aucun cas de fermer des formations. Par ailleurs, l’expérience des années précédentes montre que les universités savent tenir compte des recommandations faites dans la phase provisoire lorsqu’elles déposent leur projet et les avis définitifs sont très rarement défavorables. Les réactions ont commencé à émerger avant ma prise de poste et dès mon arrivée, il y a un mois, j’ai mis en place un certain nombre de mesures de remédiation. Le fait d’employer le terme « avis », même provisoire, était une erreur. Nous sommes donc revenus à la terminologie employée les années précédentes, et qui parle plutôt de « points d’attention ». L’idée, à ce stade la procédure, est de regarder comment fonctionnent les formations, de faire un bilan et de pointer les éventuels éléments à prendre en compte. Ce n’est qu’à l’issue de ce processus qu’un véritable avis sera rendu. Les délais peuvent paraître courts. Or, en réalité, les établissements s’auto-évaluent en permanence. Ils ont conscience des modifications qu’ils vont être amenés à effectuer dans le cadre de leur projet.
Sur quels critères portent ces fameux « points d’attention » ?
Dans le cadre de nos évaluations, nous regardons de près les résultats des étudiants, les taux de poursuite d’études et de réussite professionnelle. Nous tenons également compte du niveau d’encadrement et des processus mis en place pour améliorer la qualité de la formation. Je précise que tous ces critères ne sont pas arbitraires. Ils s’inscrivent dans le cadre national qui réglemente les diplômes de licences et de masters. Permettez-moi d’insister sur ce point : contrairement à ce que certains veulent faire croire, nos motivations ne sont ni politiques ni empreintes d’idéologie.
Justement, certains syndicats d’enseignants soupçonnent le Hcéres de s’être montré particulièrement sévère vis-à-vis des établissements de sciences humaines et sociales (SHS) pour des raisons « idéologiques ». Les SHS ont-elles été plus épinglées que d’autres ?
Il est faux de dire que les SHS sont particulièrement visées. Les fameux « points d’attention » que nous avons soumis aux établissements du supérieur sont répartis de manière quasiment égale dans les trois grands domaines que sont les sciences et technologies, les humanités et les langues, le droit et la gestion.
On reproche aussi aux experts de ne pas avoir tenu compte du public accueilli par les universités concernées par la vague E. Or, les élèves concernés sont souvent issus de classes moins favorisées qu’ailleurs et évoluent parfois dans un contexte socio-économique difficile. N’y a-t-il pas là un biais ?
Comme je l’ai dit dans mes auditions préalables à ma nomination, l’évaluation doit être personnalisée. Elle doit, en effet, tenir compte du contexte, des spécificités de chaque territoire, de leurs difficultés propres. C’est déjà le cas aujourd’hui. Toutefois, même si elles apparaissent bien dans les rapports pilotés par le Hcéres, ces nuances mériteraient d’être renforcées. Nous allons nous y atteler. Le problème auquel on se heurte est que le processus d’évaluation est souvent réduit à deux mots : « favorable » et « défavorable ». L’avis rendu sonne souvent comme un couperet et l’on a tendance à occulter tout le reste. Il est nécessaire de regarder les textes dans leur globalité. Or ces derniers donnent beaucoup de précisions sur les points forts, les points faibles de chaque formation et les recommandations formulées.
N’êtes-vous pas également dépendants du contexte budgétaire ? En d’autres termes, les difficultés financières actuelles ne poussent-elles pas le Haut conseil à se montrer plus exigeant et sélectif ?
Le contexte budgétaire actuel inquiète la communauté universitaire. Toutefois, il est important pour moi de rappeler que le Hcères est une autorité publique et indépendante. Nous ne recevons aucune consigne du ministère nous demandant d’être plus exigeants. Ceux qui pensent que nous sommes tenus de respecter une logique de quotas d’avis favorables ou défavorables, fixés par l’exécutif, se trompent. Ça n’existe pas ! Par ailleurs, il est évident qu’il ne faut pas évaluer de la même façon un établissement qui bénéficie de nombreuses ressources et un autre qui se trouve dans une forme de précarité budgétaire. C’est là que la personnalisation de l’évaluation dont nous parlions est importante.
Certains professeurs parlent de « Hcéres gate ». Des experts avancent que les conclusions de leurs rapports auraient été modifiées au dernier moment pour mieux coller à un avis défavorable. Ce soupçon de fraude est-il justifié ?
Evidemment, je me suis saisie du sujet dès mon arrivée pour essayer de comprendre d’où venait cette accusation de fraude. Aujourd’hui, je suis en mesure de vous affirmer qu’elle est totalement fausse. La procédure se déroule de la manière suivante : un comité d’experts, constitué de pairs, des personnes de la même discipline, produit des évaluations. Puis la personne qui préside ce comité s’entretient avec un conseil scientifique, de façon à vérifier qu’aucune erreur ou incohérence ne se glisse dans l’évaluation.
Lors de ces échanges, les conclusions peuvent être revues à la hausse ou à la baisse, mais c’est toujours le président du comité d’experts qui garde le dernier mot. Ce qui a pu troubler, et générer ces accusations, c’est que les changements dont on parle n’ont pas été communiqués aux autres membres du comité. Nous avons donc décidé de changer les règles. Désormais, les experts auront accès au détail de ce qui a évolué, et pourront réagir s’ils se souhaitent. Reste que tout ceci fait partie de la procédure normale.
J’entends aussi certaines voix s’étonner que certains points négatifs soulevés lors des évaluations aient pu conduire à un avis défavorable, malgré de nombreux autres éléments par ailleurs positifs. Mais c’est normal. Pour qu’on comprenne bien, je prends souvent l’exemple des licences professionnelles : les textes indiquent bien que le taux de poursuite d’études des élèves titulaires ne doit pas dépasser 50 %. Les experts auront beau noter positivement l’une de ces formations, saluer son attractivité, louer l’engagement des enseignants… s’il y a « trop » de poursuites d’études, l’avis rendu sera « défavorable ».
Des députés ont récemment voté un amendement visant à supprimer le Hcéres, pointant du doigt son coût trop élevé. Que pensez-vous de cet argument ?
La subvention que nous percevons est d’environ 20 millions d’euros. Or, l’essentiel de ce budget est consacré à l’indemnisation des enseignants-chercheurs chargés de se rendre sur le terrain et de porter leurs regards sur le système. Nous pourrions procéder autrement en nous basant uniquement sur des indicateurs froids et quantitatifs. Ce serait assurément moins cher mais ce n’est pas la vision que j’ai de l’évaluation qui, à mon sens, doit être confiée à des pairs. D’autre part, je rappelle que l’évaluation des diplômes nationaux est inscrite dans la loi. Même si l’on supprimait le Hcéres, ce travail devrait être pris en charge par quelqu’un, ce qui induirait forcément un coût, probablement identique à celui dont on parle actuellement.
Ces mêmes députés dénoncent également une « évaluation normative et idéologique » qui vise à « introduire des logiques de gestion néolibérales dans les administrations publiques » et qui « déstabilise les collectifs et renforce la souffrance au travail »…
Notre tâche consiste à demander aux établissements du supérieur : « Quelle est votre stratégie pour faire en sorte que la réussite des étudiants s’améliore ? Comment faire en sorte que leur insertion professionnelle ou leur poursuite d’études se déroule bien ? » Il me semble parfaitement acceptable que l’on regarde la façon dont les crédits alloués à l’enseignement supérieur et à la recherche sont utilisés. C’est l’inverse qui serait plus surprenant ! Il est dans notre intérêt à tous de confier cette mission à une autorité publique indépendante. J’insiste sur le fait que nous agissons en toute indépendance. Demandons-nous plutôt ce qui arriverait en cas de suppression du Hcéres : la seule alternative serait de mettre ce pouvoir entre les mains du ministère. Pour le coup, le risque d’influence du politique et de l’exécutif serait bien réel.
On accuse aussi la Haute instance d’être trop « bureaucratique » et « chronophage ». Quelles mesures avez-vous prévu de mettre en place pour y remédier ?
Notre activité se situe à différents niveaux : nous évaluons à la fois l’établissement, les formations qu’il dispense et son activité de recherche. Les réformes importantes que nous allons mettre en place concernent ces trois domaines. L’objectif général est de diminuer de moitié la durée de ce processus d’évaluation. Aujourd’hui, entre le moment où un établissement démarre son auto-évaluation et la date de finalisation du rapport, il peut s’écouler deux ans. J’ai annoncé un certain nombre de réformes qui permettront de réduire ce délai à un an. Pour ce faire, nous sortirons de la logique actuelle d’exhaustivité et nous réduirons de moitié le nombre de critères d’évaluation. Cette logique est non seulement plus efficace, elle est aussi plus respectueuse de l’autonomie des établissements et nous permet d’avoir une vision plus globale. On ne peut pas dire que nous respectons l’autonomie des établissements tout en continuant à soulever toutes les pierres. Par ailleurs, nous simplifierons aussi les démarches en laissant les établissements libres de nous envoyer les documents attendus au format qu’ils souhaitent.
Est-ce que ces mesures s’appliqueront aussi à l’évaluation de la recherche, l’autre volet du travail du Hcéres ?
Oui. Nous réfléchissons également à laisser plus de marge aux laboratoires dotés d’un conseil scientifique indépendant, pour éviter une double évaluation. Une expérimentation à ce sujet sera lancée l’an prochain et s’appuiera sur les recommandations d’un groupe de travail qui se réunira en mai, avec des représentants des universités, des organismes de recherche et des directeurs et directrices de laboratoires.
Une de vos priorités à la tête du Haut conseil est de « contribuer à la dynamique de l’espace européen de la recherche ». Que voulez-vous dire par là ?
Chaque Etat mène ses politiques de recherche comme il l’entend. Mais il existe, de fait, dans l’Union européenne, une règle tacite, qui recommande à ce qu’il y ait évaluation indépendante des diplômes de l’enseignement supérieur. C’est un standard de qualité informel, qui facilite la coopération, les échanges étudiants, le recrutement… A la fin, cela contribue à un « espace européen de la recherche », une zone de libre circulation des savoirs, si vous préférez.
Lors des auditions qui ont conduit à ma nomination, j’ai insisté sur la nécessité de protéger, et de contribuer à ce système. Si demain, on décide de confier les prérogatives d’évaluation jusqu’ici détenue par le Hcéres au pouvoir politique, ce qu’il risque d’avenir avec l’amendement actuellement discuté à l’Assemblée nationale, nous ne remplirions plus les critères européens de qualité d’évaluation et nous perdrions immédiatement notre capacité à faire valoir la qualité des formations françaises au sein de l’espace européen.
Vous parlez également de renforcer le « regard » de l’instance sur l’intégrité scientifique ?
Au sein du Hcéres, nous avons un département qui s’appelle l’Office français pour l’intégrité scientifique (Ofis). Il a pour mission, et c’est inscrit dans la loi, de contribuer à faire émerger les bonnes pratiques en la matière. C’est un sujet important, et d’actualité, on l’a vu, d’ailleurs au travers des enquêtes de L’Express (NDLR : sur les inconduites scientifiques de Didier Raoult ou les impostures d’Idriss Aberkane), ou des nombreux scandales autour des revues prédatrices, qui publient tout et n’importe quoi.
Mais, pour avancer sur cette question, je suis convaincue qu’il nous faut d’abord faire un état des lieux exhaustif. De quoi parle-t-on exactement ? A quel point cette problématique pèse-t-elle sur la recherche ? Dans cette optique, l’Ofis va prochainement publier un rapport, inédit par son ampleur, car il concernera plus des deux tiers de la recherche française et apportera un état des lieux des manquements à l’intégrité scientifique. Ce rapport permettra d’indiquer le nombre d’instructions, le nombre de manquements confirmés, leur répartition par type (plagiat, falsification), et leur répartition par grand domaine disciplinaire. Ce sera un point de départ pour enrichir les réflexions sur ce sujet de société majeur.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/education/nous-ne-decidons-en-aucun-cas-de-fermer-des-formations-la-nouvelle-presidente-du-hceres-repond-aux-ANIGWDXPKJCTBG7I7EFHLWVWYM/
Author : Amandine Hirou, Antoine Beau
Publish date : 2025-04-08 06:00:00
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