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Management : et si on arrêtait de trouver tout le monde « inspirant » ? Par Julia de Funès

Management : et si on arrêtait de trouver tout le monde « inspirant » ? Par Julia de Funès

Inspirant. C’est le mot réflexe, le terme pavlovien, la clochette verbale. « Merci pour ce témoignage inspirant, merci pour cette conférence inspirante. » Toujours ce même adjectif, après chaque prise de parole, comme un tic de langage. Le mot qu’on dégaine quand on veut être aimable sans trop s’engager. Comme s’il n’existait plus rien d’autre dans notre vocabulaire pour saluer un discours, une histoire, un récit de vie. Il suffit d’un revers surmonté, d’un rêve poursuivi ou d’un projet accompli pour mériter le label. Camille a fait un burn-out et en a tiré un podcast ? Inspirant. Maxime a traversé l’Islande en monocycle pour se reconnecter à l’essentiel ? Inspirant. Lucie a fait un TEDx sur le courage de dire non aux réunions Zoom ? Inspirant. Benoît a quitté son CDI pour fabriquer des savons à base de lait d’avoine solidaire ? Inspirant. Si ce mot dit quelque chose, c’est bien à quel point nous avons rabaissé l’idée même d’inspiration.

Autrefois, être inspiré, c’était s’élever. Il y avait derrière le concept d’inspiration une promesse de dépassement, de transformation intérieure. Etre inspiré, c’était sentir que quelque chose, en l’autre, éveillait en nous une version plus noble, plus grande, plus haute de nous-mêmes. Cela supposait une verticalité à gravir en même temps qu’une humilité à tenir. Seulement, dans une époque où tout se vaut, où l’équivalence règne en maître, où la différence est systématiquement comprise comme une injustice, où la victimisation tient lieu de mérite, cette idée même d’élévation, d’altitude, d’éminence semble presque anachronique. On ne cherche plus à être transformé ou augmenté, seulement à être touché et conforté. Juste assez pour ressentir un écho en soi, quelque chose à notre niveau, qui nous conforte dans l’idée qu’on n’est pas si nul. On n’attend plus de la grandeur ni de la hauteur, mais l’effacement de nos rancœurs et la réhabilitation de notre honneur. Il ne s’agit plus de se dépasser, mais de se reconnaître. De s’identifier. Or l’identification n’élève pas. Elle console. Elle ne cherche pas des modèles, juste des semblables. Pas des héros à imiter mais des miroirs à contempler. Ce que nous attendons d’un discours, ce n’est plus qu’il nous rehausse, mais qu’il nous rassure. Qu’il nous murmure qu’on est, nous aussi, potentiellement « inspirants », pour peu qu’on survive à nos tracas avec assez de storytelling.

Mais voilà, malgré l’aplanissement et l’affaissement de l’inspiration, ce mot survit. Il résiste. Il s’accroche. Il persiste. Peut-être parce qu’il révèle un manque inavoué et inavouable. Une nostalgie confuse. Le dernier souffle de la verticalité dans un monde horizontal. Dans une société lisse où les hiérarchies s’effacent, où toute autorité est suspecte, où la réussite devient provocation, où l’on se méfie des grandeurs, des élites, des succès, le mot « inspirant » semble maintenir un peu de verticalité. Un reste. Une trace. Comme si, malgré tout, malgré le confort du « tout se vaut », nous ne pouvions nous empêcher de chercher plus haut. D’espérer, en secret, qu’il existe encore des figures, des gestes, des pensées, des discours, des êtres qui nous dépassent. Comme si, en dépit de la grande bascule égalitariste, nous cherchions finalement des cimes. Un regard vers le haut. Un coin de ciel. Des voix qui nous tirent vers le haut. Des élans qui nous arrachent au sol, ne serait-ce qu’un instant. Peut-être est-ce cela, au fond, qui rend le mot inspirant si fréquent.

Dernier souffle d’une époque qui croyait encore à la verticalité, il porte en lui le souvenir d’un monde où l’on regardait vers les sommets, non pour envier, mais pour apprendre, non pour jalouser mais pour approcher, non pour dominer mais pour grandir. Où l’on admettait que chacun puisse aspirer à plus grand, sans que ce soit un aveu de faiblesse mais l’occasion d’une promesse.

Alors oui, le mot est fatigué, galvaudé, surjoué, essoré. Il sert à tout et surtout à n’importe quoi. Peut-être faut-il néanmoins le conserver. Moins pour sanctifier la médiocrité surmontée, que pour continuer à indiquer ce qui nous manque cruellement : de la hauteur, de la grandeur, de la noblesse.



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Author : Julia De Funès

Publish date : 2025-04-14 10:00:00

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