Auteur de The Next Pope*, publié il y a cinq ans, le Britannique Edward Pentin est journaliste, auteur spécialiste de l’Eglise catholique et de la politique du Vatican. Ancien producteur et présentateur à Radio Vatican basé à Rome, il a travaillé pour Newsweek, Foreign Affairs Magazine, Newsmax et le National Catholic Register, qui est le plus ancien journal catholique des Etats-Unis. Avec Diane Montagna et une équipe de journalistes catholiques pratiquants, il est aussi le cofondateur du site interactif The Cardinals Report, véritable « tableau de bord » de la vie de la curie qui permet de connaître, en ligne, tous les paramètres de l’élection à venir pour succéder au pape François, décédé ce lundi 21 avril.
L’Express : Quel est votre bilan du pontificat de François, dont ont dit qu’il fut un « pape de gauche » ?
Edward Pentin : Ce fut un pontificat en dents de scie, assez conflictuel. Pendant douze ans, François s’est efforcé de repousser les limites de l’Eglise pour tenter d’y inclure tout le monde – y compris ceux qui n’ont pas fait repentance de leurs péchés, ce qui est normalement un préalable – parce qu’il voulait l’ouvrir à ceux qui en sont à la périphérie, à la marge. Cette notion de « périphérie » fut au cœur de son action. Cela a entraîné des difficultés parce qu’il a dû mettre la doctrine de côté ou, du moins, minimiser son importance, afin d’attirer ceux qui, autrement, n’auraient probablement jamais prêté attention à l’Eglise. Je pense bien entendu à la communauté LGBT et à tous ceux qui estiment que le Vatican leur est hostile. Cela a été une source de tensions et de discorde au Vatican. L’autre sujet de controverse fut ses affinités avec les leaders du « Sud global », notamment ceux de la gauche latino-américaine, par exemple le dictateur vénézuélien Nicolas Maduro ou le Cubain Fidel Castro [NDLR : formé à l’école jésuite, tout comme le pape].
Tourné vers le Sud, François était désireux d’intégrer les populations des pays en voie de développement. Il était également mondialiste, en phase avec l’ONU et les instances internationales qui prônent le multilatéralisme plutôt que la souveraineté individuelle des nations. Autrement dit, il n’aimait pas particulièrement l’Amérique du Nord – en raison, sans doute, de ses origines latino-antiaméricaines – et pas du tout Donald Trump, ni la droite en général. Il existe toutefois un cas particulier : le pape s’est lié d’amitié avec Viktor Orban, ce qui a de quoi surprendre dans la mesure où la politique anti-immigration du leader hongrois est en contradiction avec ses idées. Ce rapprochement fut le résultat d’un important travail accompli par les diplomates hongrois et ceux du Vatican.
L’autre ironie, c’est que le dernier leader international à avoir serré la main du pape, la veille de sa mort, fut J.D. Vance…
La chose intéressante est que François a toujours été plus amical avec les leaders de gauche et que, malgré son état, la rencontre avec le vice-président américain a bien eu lieu, la veille de son décès. L’opportunité de cette brève entrevue a d’abord été débattue au Vatican, où il a été question que la rencontre soit annulée. Il aurait été facile d’expliquer que le pape était trop malade pour cette rencontre. Mais in extremis, J.D. Vance a pu serrer la main de François.
Cette photo prise et distribuée le 20 avril 2025 par les médias du Vatican montre le pape François rencontrant le vice-président américain JD Vance au Vatican.
Le pape n’était pas, semble-t-il, un grand fan de la France. Etait-ce à cause de la laïcité à la française ?
Je l’ignore. Il avait promis de visiter Paris, mais il ne l’a jamais fait. Et lorsqu’il a foulé le sol français, ce n’était pas dans la capitale mais à Strasbourg en 2014 (brièvement, au Parlement européen), à Marseille en septembre 2023 ou en Corse en décembre 2024. Je pense surtout qu’il n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à l’Europe occidentale et aux pays riches en général. Il ne s’est pas non plus rendu en Grande-Bretagne ni en Espagne. Son attention était focalisée ailleurs, vers les périphéries, les pays en développement et les pays pauvres.
Selon vous, le prochain pape sera-t-il « de gauche » ou plutôt conservateur ?
Il y a un aphorisme que j’aime bien. A Rome, on dit qu’un « gros pape succède toujours à un pape mince » et vice-versa, ce qui signifie que le pape à venir est toujours, ou très souvent, différent de celui qui l’a précédé. Les chances qu’un candidat cardinal soit plus à droite, plus conservateur, sont donc élevées, car le pontificat qui s’achève a été, je l’ai dit, très conflictuel. Il a contrarié de nombreux cardinaux qui, sans être de droite, mais simplement centristes, ont trouvé que François allait trop loin. On assistera probablement à un rééquilibrage lors du conclave, après les funérailles papales.
Parmi la liste des 22 papabile établie par vos soins sur votre site collegeofcardinalsreport.com, le cardinal marseillais Jean-Marc Aveline figure parmi les favoris. Quelles sont ses chances ?
C’est un candidat assez fort parce qu’il était connu comme étant le cardinal préféré de François. Certes, cela peut représenter un handicap. Car si les cardinaux penchent pour la rupture, ils choisiront quelqu’un d’autre. Mais s’ils veulent jouer la continuité – ce qui est aussi possible –, ils peuvent opter pour une figure qui ressemble à François, mais en moins controversé, moins polémique, moins radical. Expert incontesté du dialogue interreligieux, Jean-Marc Avelin est, comme François, sensible aux questions liées à l’immigration. Ce qui s’explique par son profil : né à Sidi Bel Abbès (Algérie) en 1958, il a grandi dans les quartiers nord de Marseille, ville multiculturelle s’il en est, où il a accompli l’essentiel de son parcours religieux, notamment dans les paroisses Saint-Marcel et Saint-Pierre-Saint-Paul. C’est là qu’il a créé en 1992 l’Institut des sciences et de théologies des religions (ISTR), qu’il a dirigé jusqu’en 2002. C’est un personnage très sympathique, affable, qui pourrait faire consensus auprès de toutes les tendances de l’Eglise – il sait se montrer conciliant avec sa frange la plus traditionnelle.
Un pape africain ? C’est également possible
C’est aussi un homme extrêmement intelligent. Benoît XVI, le premier, l’avait repéré dès 2008 et nommé membre du Dicastère [NDLR : conseil] pour le dialogue interreligieux. C’est un point positif. En même temps, il est critiqué pour son trop grand « modernisme ». Il a tendance à être considéré comme un « indifférentiste », comme on dit en théologie. Une notion signifiant que toutes les religions sont tenues pour très similaires et que l’Eglise catholique n’est pas vraiment différente des autres. Je ne pense pas qu’il le dirait ainsi, mais c’est l’image qu’il véhicule parce qu’il évoque souvent la façon dont nous devons tendre la main aux personnes des autres religions, de la fraternité interreligieuse ; de ce qui, finalement, tend à gommer les différences. Or les théologiens plus orthodoxes ne sont guère friands ce point de vue.
Le prochain pape pourrait-il être américain ?
Beaucoup jugent cela improbable, parce que depuis le XVIIIe siècle, il existe une sorte de règle tacite selon laquelle un cardinal issu d’une grande puissance ne peut pas devenir pape. Cela reviendrait à placer trop de pouvoir entre les mains d’une seule nation. Selon ce raisonnement, le pouvoir d’un pape américain qui se surajouterait à celui de Donald Trump, créerait une situation inacceptable. Cette probabilité est donc faible. Mais on ne sait jamais.
Et un pape d’Amérique latine ?
Je crois comprendre que c’est très peu probable du fait que le pontificat de François a été jugé tumultueux. Les cardinaux ne voudront sans doute pas d’un Sud-Américain, même s’il s’agit d’un cardinal mesuré, prudent et fidèle à l’orthodoxie vaticane.
Dans cette élection, le continent africain a-t-il sa chance ?
Un pape africain est parfaitement envisageable. L’Eglise y est en pleine croissance. Elle est aussi considérée comme généralement plus orthodoxe, en particulier sur les sujets liés à la moralité. Si les cardinaux veulent un pape plus conservateur et plus centriste que François, l’Afrique a donc toutes ses chances, notamment avec le cardinal guinéen Robert Sarah. Le fait qu’il soit encore septuagénaire (il aura 80 ans en juin) augmente ses chances. Si François était décédé plus tard, cela aurait été différent. Mais là, il reste dans la course. C’est un candidat très fort dans le sens où il est considéré comme un homme très saint doublé d’un grand intellectuel. Ce théologien conservateur jouit d’une grande popularité au sein de l’Eglise. En outre, il est considéré comme un candidat sérieux à la fonction depuis un certain temps.
Après un Polonais, un Allemand et un Argentin, les cardinaux ne vont-ils pas revenir à la tradition en élisant un Italien ?
La probabilité est forte, en effet. Comme chacun sait, le souverain pontife a été italien pendant plus de quatre cent cinquante ans jusqu’à Jean-Paul II. Les Italiens aimeraient que cela leur revienne. Beaucoup d’entre eux jugent que les deux derniers pontificats ont été trop agités. Sous Benoît XVI, il y a eu beaucoup de problèmes de communication lors des révélations des affaires d’abus sexuels dans l’Eglise mais aussi de l’affaire Vatileaks [NDLR : des fuites de documents confidentiels révélant la corruption, le népotisme et le favoritisme au Saint-Siège], ainsi que des problèmes avec les finances de la curie, ce qui n’était d’ailleurs pas nécessairement lié à Benoît lui-même. Quant à François, comme nous le savons, il était jésuite, ce qui n’est pas forcément jugé comme un point positif. A Rome, son pontificat est considéré par beaucoup comme une anomalie historique. Je pense donc qu’il y aura un mouvement de balancier vers la tradition. Les cardinaux italiens voudront probablement renouer avec la grande histoire de l’Eglise. Je ne fais pas de pari mais ils sont bien placés.
L’élection du pape, c’est comme des petits pois dans une casserole
Que va-t-il se passer maintenant ?
Les funérailles devraient avoir lieu dans quatre ou cinq jours. Viendront ensuite les Novemdiales, c’est-à-dire les neuf jours de deuil suivant les funérailles. Puis il y aura les congrégations générales, pendant lesquelles les cardinaux se réunissent à huis clos et discutent des priorités pour l’avenir de l’Eglise. Ces réunions durent trois ou quatre jours. Ensuite, il y a le conclave qui aura lieu dans deux ou trois semaines environ.
Comment l’élection fonctionne-t-elle ?
On vote deux fois par jour. Les scrutins ont lieu le matin et l’après-midi. Pour être élu, une majorité des deux tiers est requise. En dessous de ce seuil, on vote à nouveau jusqu’à ce qu’un cardinal recueille le nombre de voix souhaité. Au bout de quatre jours sans majorité, les cardinaux font une pause d’une journée, selon le système institué par Benoît XVI. D’autre part, il n’y a pas de candidat déclaré. Les cardinaux votent comme ils l’entendent. Bien sûr, il y a des conciliabules pendant les jours précédents, de sorte que, en parlant les uns avec les autres, les cardinaux apprennent à se connaître. C’est un bon système qui fonctionne. Jean XXIII, qui fut pape de 1958 à 1963, l’a comparé à des petits pois dans une casserole d’eau bouillante. Les petits pois montent et descendent. Au cours du processus électoral, on voit certains candidats s’élever puis, s’ils n’obtiennent pas assez de votes, retomber au fond de la casserole tandis que d’autres petits pois s’élèvent vers la surface. Ainsi, celui qui était un parfait inconnu au premier jour du conclave peut prendre de l’élan, monter en haut de la casserole, obtenir le plus grand nombre de voix et, au troisième ou quatrième jour, être élu pape. Le résultat est totalement imprévisible.
*éd. Sophia Institute Press, 2020.
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/europe/edward-pentin-le-prochain-pape-pourrait-parfaitement-etre-un-francais-VBMMJO2QZRFHFNWHNF2DEG5FSM/
Author : Axel Gyldén
Publish date : 2025-04-21 15:30:00
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