L’Express

« Donald Trump pense que c’est open bar » : les manœuvres des Etats-Unis pour exploiter les fonds marins

« Donald Trump pense que c’est open bar » : les manœuvres des Etats-Unis pour exploiter les fonds marins

Donald Trump aime creuser. Et pas seulement un fossé avec ses alliés historiques, qu’ils soient militaires ou économiques. Son « drill, baby, drill » (« fore, chérie, fore ») pour le pétrole et le gaz, promesse de campagne, a déjà fait l’objet de plusieurs décrets signés dès son premier jour à la Maison-Blanche. Désormais en pleine guerre commerciale avec la Chine, alors que les surtaxes atteignent 145 % côté Washington et 125 % côté Pékin, le président des Etats-Unis pourrait faire sien un autre vieux dicton, bien connu du secteur minier : « if it isn’t grown, it is mined » (« si ce n’est pas cultivé, ce doit être extrait »).

D’après les informations du Financial Times, son administration travaille à la rédaction d’un décret permettant le stockage des métaux récupérés dans les fonds marins du Pacifique, au milieu des eaux internationales. Cette réserve stratégique d’Etat aurait l’avantage d’être prête à l’emploi en cas de conflit avec la Chine, si cette dernière limitait l’importation des – nombreux – métaux critiques sur lesquels elle possède un quasi-monopole. Un robinet qu’elle a en réalité déjà commencé à fermer. Début avril, en représailles aux droits de douane américains, Pékin a ajouté à la liste de contrôle de ses exportations sept éléments de terres rares, essentiels pour les entreprises de la défense, de l’énergie ou de la tech. D’autres pourraient suivre.

D’où l’idée d’exploiter les abysses. Sur le plancher océanique reposent des nodules, de gros galets formés pendant des millions d’années, qui renferment du nickel, du cobalt, du cuivre, du manganèse et quelques terres rares. Autant de composants essentiels pour la fabrication des batteries ou des câbles électriques. A l’affût d’une opportunité, The Metals Company (TMC), une entreprise canadienne, a révélé fin mars qu’elle négociait avec l’administration des Etats-Unis pour le dépôt d’un permis d’exploitation, au second trimestre 2025, dans la zone dite de Clarion-Clipperton, entre Hawaï et le Mexique, au cœur des eaux internationales du Pacifique. Elle dit vouloir s’appuyer sur une loi américaine afin de s’affranchir du code minier sur lequel planche actuellement l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Un projet « assimilable à de la piraterie environnementale », a critiqué Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition écologique.

« Nous pensons avoir suffisamment de connaissances pour démarrer et prouvons que nous pouvons gérer les risques. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un régulateur doté d’un régime réglementaire solide et désireux d’accorder à notre demande une audience équitable », justifie Gerard Barron, le PDG de The Metals Company, parfois surnommé le « Elon Musk d’Australie ». « C’est un coup de poker à plusieurs niveaux », estime plutôt Pascale Ricard, chargée de recherche au CNRS et juriste en droit international de la mer. Le premier : les impacts environnementaux sont encore loin d’être connus et bien identifiés. Une trentaine de nations, France en tête, réclament un moratoire sur cette extraction en eau profonde, dans l’attente d’un solide consensus scientifique. Le second : la rentabilité économique d’une telle opération n’a pas été démontrée. Mais TMC, après avoir investi « plus d’un demi-milliard de dollars » au cours de la dernière décennie, est bientôt à court d’argent. « Elle ne peut plus se permettre d’attendre », résume André Abreu, directeur des politiques internationales à la Fondation Tara Océan.

Un flou juridique

Pour cette société, le chaos planétaire déclenché par Donald Trump tombe à pic. En dévoilant les négociations avec les équipes de l’auteur de L’Art du deal, elle cherche à « trumpiser » le secteur et contourner l’Autorité internationale des fonds marins, lassée de sa lenteur à adopter des règles communes. « TMC profite de la conjoncture pour faire chanter l’AIFM, en disant : si un moratoire est décidé, on fait affaire avec les Etats-Unis. Pour l’administration américaine, c’est aussi l’occasion de dire qu’elle n’a pas besoin des minerais de la Chine, qu’elle va en prendre là où il y en a. Dans l’esprit de Donald Trump, les eaux internationales, c’est open bar », poursuit André Abreu.

D’autant que le droit international qui les régit comporte des failles. Seule l’AIFM, créée en 1982 en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, est compétente pour l’exploitation minière de la « Zone », c’est-à-dire des fonds marins et de leur sous-sol au-delà des limites des juridictions nationales. Les ressources qu’elle renferme sont proclamées, par cette même Convention, patrimoine commun de l’humanité. Plus de 160 pays ont ratifié l’accord… Mais pas les Etats-Unis. Ce qui laisse un flou juridique, « une ambiguïté que The Metals Company tente d’exploiter, analyse Pascale Ricard. Le statut de la ‘Zone’ ne peut être efficace que si l’ensemble des Etats le respecte. Même si Washington n’en est pas signataire, il y a toujours eu un accord implicite pour agir de bonne foi… » Jusqu’à présent.

« Une bataille juridique va se mettre en place », anticipe le directeur des politiques internationales à la Fondation Tara Océan. « Toute action unilatérale constituerait une violation du droit international et porterait directement atteinte aux principes fondamentaux du multilatéralisme. Il est impératif de réaffirmer le mandat exclusif de l’AIFM », a déjà répliqué sa secrétaire générale, l’océanographe brésilienne Leticia Carvalho. La prochaine session de négociations de l’organisation aura lieu en juillet, quelques semaines après la Conférence des Nations unies sur l’Océan (Unoc) organisée à Nice. Trois mois, un abysse temporel sur l’échelle d’un Donald Trump imprévisible qui aura peut-être, d’ici là, dynamité une autre partie du monde. Sous-marin, cette fois-ci.



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2025-04-23 03:45:00

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