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« Fascination pour Hitler » : l’attaque de Nantes pose la question du suivi des élèves « inquiétants”

« Fascination pour Hitler » : l’attaque de Nantes pose la question du suivi des élèves « inquiétants”

Juste après le drame, les langues se sont déliées. Le lycéen de 16 ans, auteur de l’attaque au couteau qui a fait plusieurs blessés et tué une jeune fille du lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides à Nantes, est décrit par tout le monde comme étant « extrêmement solitaire », ayant « peu d’amis voire pas du tout » et entretenant une « fascination pour Hitler ».

Voici ce qu’a indiqué le procureur Antoine Leroy le 25 avril, au lendemain du meurtre. « Il s’agit d’un jeune à l’évidence suicidaire », a poursuivi le magistrat qui a aussi évoqué des « scarifications » avant son passage à l’acte, et des écrits où il « souhaitait qu’on lui tranche la gorge ». Le matin même, les élèves de l’établissement avaient aussi reçu un courriel sombre et confus. Un peu plus tard, l’adolescent masqué et muni d’un couteau de chasse faisait irruption en plein cours pour s’en prendre violemment à une élève, la frappant de 57 coups de couteau, avant de se rendre dans une autre classe. Un technicien informatique mettra fin à l’attaque en administrant à l’agresseur un coup de chaise dans le dos.

Des signaux alertants

Même si une telle issue tragique est extrêmement rare, la communauté éducative est régulièrement confrontée à ce type de profil d’élève solitaire, tenant des propos parfois menaçants. Ce qui pose la question de leur prise en charge et des signaux qui doivent alerter. « Les absences répétées, le repli sur soi, la manifestation d’une certaine mélancolie voire la tenue de propos suicidaires sont évidemment des indicateurs forts qui doivent nous pousser à intervenir », explique Gwenaëlle Durand, infirmière et secrétaire générale du SNIES Unsa Education.

« Dans le cas de l’agresseur de Nantes, il semble s’agir d’une évolution psychotique. Même si, ne l’ayant pas expertisé, je préfère rester prudent », avance le pédopsychiatre Patrice Huerre (1). Et le spécialiste d’énumérer les deux cas de figure les plus fréquents chez des jeunes de cet âge-là : d’abord, des comportements jugés « étranges » d’adolescents très timides et isolés pouvant s’aggraver progressivement au fil des mois, voire des années. Sans forcément que cela ne débouche sur un passage à l’acte. « La réputation s’établit dans le temps. Le problème est que l’entourage a tendance à s’y habituer, explique Patrice Huerre. Mais on peut aussi être confronté à des éclosions psychotiques brutales aiguës sans qu’il y ait eu de signes précurseurs. Le jeune en question peut alors se retrouver dans un état délirant avec une altération de la réalité. Ce qui peut donner lieu à des actes violents. »

Dans ce cas précis, il est évidemment très compliqué d’agir en amont. Il arrive que certains élèves, confrontés à un camarade qui tiendrait des propos troublants ou s’adonnerait à des pratiques inquiétantes comme des scarifications, s’en remettent à l’infirmière scolaire. « A ce moment-là, nous leur demandons de servir d’intermédiaire et de tenter de le convaincre de venir nous voir. Si cela ne fonctionne pas, nous menons une petite enquête pour réunir un maximum d’éléments avant de le convoquer pour un entretien », explique Gwenaëlle Durand. Chefs d’établissement, professeurs, conseillers principaux d’éducation… Tous les acteurs de collèges et de lycées sont invités à se montrer vigilants.

« Il est très fréquent qu’on se réunisse en équipe pour évoquer des cas jugés problématiques. Comme celui d’un élève qui passerait beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, qui aurait du mal à faire la différence entre les jeux et la réalité ou entre la vie publique et privée », explique Audrey Chanonat, principale de collège dans l’académie de Poitiers et membre du Syndicat des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN). Ces adolescents sont alors orientés vers des psychologues, des infirmières scolaires ou des assistantes sociales.

« Le problème est que nous manquons cruellement de moyens humains pour faire face à l’augmentation des troubles liés à la santé mentale chez les jeunes. Le phénomène s’est fortement accéléré depuis la crise du Covid », alerte Audrey Chanonat. « Comment voulez-vous qu’un psychologue de l’Education nationale, qui s’occupe en moyenne de 1 500 à 2 000 élèves, fasse un suivi individualisé sur le long terme ? », lance-t-elle.

« Mon fils n’est pas fou ! »

Carole Zerbib, proviseure à Paris et membre du SNPDEN (Syndicat National des Personnels de Direction de l’Education Nationale), a pris l’initiative de faire venir une psychologue privée dans son établissement une journée par semaine. « Les élèves se confient plus facilement à quelqu’un qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance. Seul un professionnel est en mesure de détecter si le mal-être dont souffrent certains jeunes n’est qu’une passade liée à la période complexe de l’adolescence, ou s’il s’agit de quelque chose de plus profond et plus installé », avance-t-elle.

Reste la délicate question de la communication auprès des familles. « Lorsque je conseille aux parents de prendre rendez-vous dans un centre médico-psychologique pour leur enfant, il peut arriver qu’on me réponde : ‘Mais mon fils n’est pas fou !’ Beaucoup craignent aussi qu’on le mette immédiatement sous cachets. A nous de trouver les bons mots pour les rassurer et lutter contre les idées reçues », poursuit Carole Zerbib.

Du côté de la communauté enseignante, ces clichés ont aussi la vie dure. « Même si la situation a évolué ces dernières années, les problématiques liées à la santé mentale restent assez sous-estimées », regrette Patrice Huerre. Et le pédopsychiatre de faire remarquer : « Si un élève convulse ou a de la fièvre, il est immédiatement envoyé vers l’infirmerie pour qu’on lui prodigue des soins. En revanche, face à des troubles psychiques ou psychiatriques, on a tendance à hésiter et à repousser une éventuelle prise en charge, de peur de stigmatiser l’adolescent. » Or plus le sujet est traité tôt, plus on limite les risques de voir la situation s’aggraver. « On parle toujours du déficit de moyens qui est, effectivement, une réalité. Mais on omet trop souvent d’évoquer cette stigmatisation de la pathologie mentale. Or en l’occurrence, les deux se conjuguent », confirme le sociologue Hugues Lagrange (2).

En 2024, 124 agressions au couteau ont été enregistrées dans les collèges et lycées d’Ile-de-France. Et le spécialiste de conclure : « Il serait illusoire de penser que l’on aurait pu toutes les éviter. Mais ce chiffre pourrait être considérablement réduit si l’on faisait preuve de plus de volontarisme à la fois en termes de politiques publiques et d’évolution des mentalités. »

(1) Auteur de « Ni anges, ni sauvages. Les jeunes et la violence » (Le Livre de poche, 2004)

(2) Auteur de « La peine et le plaisir » (PUF, 2025)



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/education/fascination-pour-hitler-lattaque-de-nantes-pose-la-question-du-suivi-des-eleves-inquietants-7S3LV4MI3BEXXCFONJD3A47NFM/

Author : Amandine Hirou

Publish date : 2025-05-02 14:00:00

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