Le football (Carton jaune), la boxe (Fat City), la gymnastique (La petite communiste qui ne souriait jamais) ou le baseball (Le Meilleur) ont leurs grands romans. Si le tennis a fasciné de nombreux écrivains, à commencer par Marcel Proust, il n’a jamais eu son chef-d’œuvre rien qu’à lui. Dans le bouleversant Le Jardin des Finzi-Contini, de Giorgio Bassani, le court sert de havre à la bourgeoisie juive de Ferrare avant les lois antisémites de Mussolini. Chez Nabokov, il est un prétexte érotique pour décrire la jeunesse insolente de Lolita. Mais de grand roman focalisé sur ce sport, rien.
Dans son Eloge du tennis, Murielle Magellan avance une exception : L’Infinie Comédie, de David Foster Wallace, fiction de 1 000 pages (et de 388 notes de fin) dans lequel le personnage principal est un espoir du tennis américain. Avouons que ce pavé postmoderne nous a plus assommés qu’un match de Gilles Simon.
Mythologie du sport
Les mordus de tennis peuvent se consoler. Il leur reste des films (Match Point), la meilleure autobiographie d’un sportif (Open, d’Andre Agassi) et de nombreuses citations philosophiques (Deleuze, Barthes, Grozdanovitch…). A quoi on peut désormais ajouter le merveilleux Eloge du tennis, de Murielle Magellan, parfaite lecture en cette période de Roland-Garros. La romancière, réalisatrice et scénariste est une passionnée, du genre à rester debout jusqu’à 4 heures du matin pour un Pouille-Nadal à l’US Open.
L’ouvrage fait défiler la mythologie du sport, du jeu de paume à l’irritant Jannik Sinner, tout en racontant le tennis loisir et le propre combat de l’auteure pour se classer 15/2. Murielle Magellan montre ce qui rend la discipline si unique. Au football, on peut s’en remettre à Dieu, ou pester contre ses coéquipiers. Avec une raquette, on ne joue que contre soi-même, menacé sans cesse par une défaillance mentale ou un geste mal exécuté. Voilà le sport nietzschéen par excellence, et pas que pour son éternel retour (de service).
L’écrivaine partage son panthéon intime, fait de challengers : Andre Agassi plutôt que Pete Sampras, Gabriela Sabatini plus que Steffi Graf. Mais c’est Jimmy Connors, bad boy dans un sport de bourgeois, qui remporte les faveurs de sa nostalgie. « Connors se ruait dans la balle en transpirant, comme un bloc dévale une pente poussé par les vents. A grand fracas. Il haranguait. Il luttait. Il boxait. Plus que les autres, il boxait. » Murielle Magellan donne bien sûr son avis sur le débat du « Goat », ou « greatest of all time ». En amateure d’esthétique plus que de chiffres, elle vote sans hésitation Roger Federer, un « papillon » à l’ère des robots, contre Novak Djokovic.
Un sport féministe
Arrivé à l’égalité salariale dans les compétitions majeures, le tennis est aussi un sport féministe. Citant Billie Jean King et sa « bataille des sexes » ou Martina Navratilova et son coming out, en 1981, Murielle Magellan rend surtout un vibrant hommage à Amélie Mauresmo, qui a révélé son homosexualité presque par accident à l’âge de 19 ans, subissant la stupidité des Guignols de l’info comme celle de Martina Hingis (« elle est à moitié homme »). Depuis, tout le monde a oublié la Suissesse humiliée par Steffi Graf en 1999, alors qu’Amélie Mauresmo, première femme à entraîner un joueur masculin star (Andy Murray), n’a cessé d’être une pionnière, toujours à sa façon, sans ostentation : « Mauresmo a deux enfants qu’elle a portés. Mauresmo dirige Roland-Garros. Mauresmo divorce. Mauresmo vit, et le monde change. »
Mais, comme le souligne Murielle Magellan, ce qui fait la supériorité du tennis, c’est le rapport au temps. Deux, trois ou cinq sets ? Un tennisman ne sait jamais combien d’heures il bataillera sur un court. Il ne sait pas non plus jusqu’à quel âge il arrivera à pratiquer sa passion de façon digne, dans une discipline où un septuagénaire roué peut donner du fil à retordre à un fringant vingtenaire. Et ce sont bien les crépuscules qui nous ont offert les plus beaux moments. On échange ainsi toutes les finales de Roland-Garros pour ce troisième tour entre Jimmy Connors et Michael Chang, en 1991, au bout duquel la légende américaine, à 38 ans, a tenu à remporter le premier point du cinquième set avant de renoncer, épuisé. Jamais un abandon ne déclencha une telle ovation. A l’approche de la soixantaine, Murielle Magellan elle-même ne sait pas combien d’années elle pourra rivaliser avec des adolescentes. Mais elle veut jouer, encore et toujours. Il faut imaginer les Sisyphe de la petite balle jaune heureux.
Eloge du tennis, par Murielle Magellan. Rivages, 221 p., 17 €.
Source link : https://www.lexpress.fr/culture/livre/livres-pourquoi-le-tennis-est-le-plus-beau-sport-du-monde-X52FF4WR5BEYTG7P26Q2OPJD7Y/
Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-05-31 14:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.