« Vous reprendrez bien un peu de ce 4 000 ans d’âge ? » Dans la paume de sa main, Patrick Eckert, sommelier certifié en eau, tient une bouteille au design élégant. A l’intérieur, un liquide issu d’icebergs fraîchement détachés, que l’entreprise norvégienne Svalbardi a soigneusement récupéré près de l’archipel du Svalbard, situé à 1 000 kilomètres du pôle Nord. Cette eau est presque entièrement dépourvue de minéraux. Elle est exceptionnellement légère en bouche, son terroir unique se marie parfaitement avec les mets les plus fins, vante le site de la marque.
Son prix nous ferait pourtant avaler de travers. « Pour cette édition spéciale, il faut compter près de 10 000 euros. Il s’agit sans doute de l’eau potable la plus chère du monde », confie Patrick Eckert. A l’origine, Svalbardi la vendait plutôt aux alentours de 150 euros. Mais elle a stoppé sa commercialisation à la suite de l’épidémie de Covid-19, l’un de ses principaux fournisseurs ayant mis la clé sous la porte. Depuis, le prix des bouteilles déjà sur le marché flambe.
« Le concept d’eau de luxe est très ancien. On en trouve des traces dès le Moyen Age », explique le sommelier, qui connaît ce marché comme sa poche. Très tôt, les buveurs avertis se sont rendu compte que certaines sources possédaient des qualités particulières. En France, celle de Châteldon, dans le Puy-de-Dôme, jouissait d’une belle réputation sous Louis XIV. On raconte qu’elle était transportée en bonbonnes depuis l’Auvergne jusqu’à la table du roi à Versailles. Fagon, médecin de la cour, l’aurait recommandée à Sa Majesté pour ses vertus digestives.
Trois siècles plus tard, certaines sociétés s’aventurent dans l’océan pour s’approvisionner en eau ultrapure. Svalbardi a été la première à occuper le créneau. Mais il y en a d’autres. Au Canada, Berg scrute les morceaux d’iceberg qui se brisent, les récupère et recueille l’eau qu’ils contiennent en quantité limitée : pas plus de quelques milliers de bouteilles à chaque prélèvement. Inland Ice, qui opère au Groenland, utilise le même procédé. « D’autres entreprises pompent l’eau en profondeur sous les icebergs car on peut y trouver d’énormes bulles d’eau douce. Des réserves immuables, qui ne se mélangent pas à l’eau salée tant que la pression et les courants le permettent », explique Patrick Eckert.
Une eau plate de luxe
Ce marché ne pèse pas grand-chose par rapport à celui de l’eau minérale en bouteille. Il ne requiert pas non plus de capitaux importants puisque l’investissement de départ se situe aux alentours de 5 à 10 millions d’euros. Tout le monde peut donc tenter sa chance. Pour autant, trouver des clients n’est pas facile. A peine une cinquantaine de restaurants dans le monde proposent une carte des eaux. Beaucoup d’établissements ne voient pas l’intérêt de servir de l’eau plate hors de prix à leurs clients en raison de l’image négative qui est souvent associée à cette industrie.
« Cette question n’est pas toujours abordée de manière rationnelle, poursuit Patrick Eckert. Aujourd’hui, les géants de l’eau abreuvent la planète en utilisant énormément de plastique. Leur impact sur l’environnement est beaucoup plus important que celui des petites sociétés familiales qui cherchent à exploiter la ressource de l’océan. » Svalbardi sélectionnait ses bouts d’icebergs avec précaution, ne ciblant que ceux sur le point de fondre. Sa bouteille en verre était réutilisable. Son bouchon en bois provenait de forêts durables. Mais, en dépit de son activité certifiée neutre en CO2, certaines tables refusaient de référencer ce fournisseur.
« La pédagogie reste à faire, y compris dans les grands restaurants. Les eaux d’iceberg sont très légères. Elles fonctionnent vraiment bien avec une salade vinaigrette ou des œufs. Mais si vous avez du poivre dans l’assiette ou un plat de caractère, mieux vaut opter pour une Châteldon », explique le sommelier. Malgré cette image trouble, l’eau de luxe a de beaux jours devant elle. En Asie ou au Moyen-Orient, celle qui sort du robinet reste globalement de mauvaise qualité. Une clientèle aisée peut accepter de payer cher un produit haut de gamme. Il y a donc encore de la place pour quelques entreprises audacieuses, prêtes à se jeter dans le grand bain.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-06-06 07:00:00
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