L’Express

Le « 28e régime » : un chantier titanesque pour sauver les start-up européennes

Le « 28e régime » : un chantier titanesque pour sauver les start-up européennes

Un marché unique ? En théorie, et selon la promesse fondatrice de Jacques Delors, oui. En pratique, les trous dans la raquette sont encore nombreux au sein de l’Union européenne : juridiques, fiscaux, administratifs. Alors, au moment de se comparer aux Etats-Unis sur le terrain de l’innovation, un constat s’impose : il est plus facile pour un entrepreneur d’attaquer le marché américain que celui de son propre continent. Entre 2008 et 2021, près de 30 % des licornes européennes (NDLR : des entreprises valorisées plus d’un milliard d’euros) se sont délocalisées en dehors de l’UE, et seulement 8 % des entreprises de taille sont basées en Europe, selon les propres chiffres de la Commission. L’ancien Président du Conseil italien, Mario Draghi, estime que les barrières internes à l’UE sont équivalentes à des droits de douane de 45 % sur les biens manufacturés et de 110 % sur les services, très présents dans la tech.

C’est ici qu’intervient le « 28e » régime d’entreprise. Un dispositif qui unifierait certaines règles dans l’Union européenne. L’idée n’est pas toute neuve. Les économistes Enrico Letta et Mario Draghi, l’ont proposé dans leurs rapports respectifs sur l’innovation européenne, présentés l’an passé. Dans leur sillage, plus de 9000 start-up, accompagnées de 60 fonds et 20 associations ont également signé une pétition en faveur de ce nouveau régime harmonisé. Cet activisme a payé. La Commission a officialisé le début de ce travail fin mai. Objectif annoncé : « Simplifier les règles et réduire le coût de l’échec en abordant des aspects critiques dans des domaines tels que l’insolvabilité, le droit du travail et le droit fiscal. » Côté calendrier, un accord est attendu d’ici le premier trimestre 2026.

« Le niveau de fragmentation restera conséquent »

Le chantier s’annonce titanesque. « Que met-on concrètement dedans ? Et à qui est-ce ouvert ? Les deux sujets sont toujours en discussion », note Marianne Tordeux-Bitker, directrice des affaires publiques de France Digitale, le lobby des start-up tricolores. Les principales demandes sont liées à l’embauche. Créer une filiale dans un autre pays, ou recruter hors de ses bases au sein des 27 peut relever du parcours du combattant. Le plus facile, à l’heure actuelle – mais coûteux – est de racheter une entreprise locale. « Une harmonisation commerciale sur les règles de vente au sein de chaque état serait aussi utile », pointe de son côté Jean-Rémi De Maistre, le CEO et fondateur de la start-up spécialisée dans le droit Jus Mundi. D’autres attentes existent autour de la « due diligence », ces documents demandés avant des levées de fonds. Un lissage européen des demandes permettrait d’attirer plus de bailleurs, veut-on croire chez France Digitale. Stock-options, accès à la commande publique, insolvabilité… La liste de course est longue.

Trop ? « Il n’y a pas l’ambition d’avoir un seul et unique cadre dans les secteurs d’avenir. Les différences nationales vont persister. On conservera un niveau de fragmentation assez conséquent », juge Victor Warhem, économiste, membre de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), une agence d’innovation européenne. Une certaine méfiance règne. L’Europe a déjà tenté d’unifier certaines règles avec la création de la « société européenne », en 2004. Un échec. Moins de 5000 entreprises ont souscrit à ce statut qui n’est pas accessible aux jeunes pousses, et demeure complexe juridiquement. Une autre tentative, cette fois spécifiquement pour les PME, en 2011, n’a guère eu plus de succès.

Certains sujets, comme le droit du travail, semblent par ailleurs inextricables. « Plusieurs États européens dont la France, la Belgique ou encore l’Espagne ont adopté des règles nationales sur le droit à la déconnexion, sans que cette notion ne soit diffusée dans l’ensemble de l’UE. Se pose ainsi la question du régime applicable à un salarié de droit européen exerçant dans un pays avec une réglementation mieux-disante sur ce point, notamment en cas de télétravail », interrogent Théo Verdier, codirecteur de l’Observatoire Europe de la Fondation Jean Jaurès, et la spécialiste en droit européen Ophélie Omnes, sur le site internet du think tank. « L’idée d’un salariat à deux vitesses se poserait assurément. »

Au vu du calendrier serré, l’expert Victor Warhem rapproche ainsi plutôt le « 28e régime » actuel du « Pass PME » promu par le Commissaire européen Stéphane Séjourné, aux ambitions plus modestes. Une simplification administrative, et une facilité d’implantation au sein de l’UE. Ce qui reste une avancée louable. Et sûrement, au fond, une bonne méthode. La naissance d’un régime supplémentaire, au lieu d’une harmonisation globale de toutes les législations locales, a été éprouvée par… les Etats-Unis. L’économiste espagnol Luis Garicano, dans sa newsletter Silicon Continent, publiée fin mai, cite l’exemple du National Securities Markets Improvement Act (NSMIA), sur l’investissement au sein de chaque Etat américain. Cet amendement, sans remplacer les lois existantes, a permis de faire exploser le nombre et la taille des tours de table – le financement nécessaire aux start-up outre-Atlantique. « Le NSMIA a réussi parce qu’il a adopté une philosophie complètement différente. Plutôt que d’harmoniser diverses réglementations, il a créé une voie claire qui les contourne. » C’est aussi la nature du « 28e » régime, qui devra peut-être un jour changer de nom, si l’UE décide dans le futur d’accepter un nouveau membre.



Source link : https://www.lexpress.fr/economie/high-tech/le-28e-regime-un-chantier-titanesque-pour-sauver-les-start-up-europeennes-DOKE2YCJIBD2RBMQ4J4QTIKN6U/

Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-06-12 05:30:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile