Quelle mouche a bien pu piquer Pedro Sanchez pour que l’Espagne apparaisse comme le mouton noir de l’Otan, au sortir du sommet annuel de l’alliance atlantique, le 25 juin, à La Haye ? Alors que tous ses alliés ont convenu de consacrer 5 % de leur PIB aux dépenses militaires d’ici à 2035, pour faire face aux nouvelles menaces, en particulier celle de la Russie, le dirigeant socialiste a été le seul à s’y opposer et à déclarer que Madrid limiterait le budget de ses armées à 2,1 % du PIB (contre 1,46 % en 2024). Dans le détail, l’Organisation a fixé à ses membres un objectif de 3,5 % pour les dépenses purement militaires et de 1,5 % pour la sécurité des infrastructures et des réseaux informatiques. C’est au premier chiffre que se compare l’engagement espagnol.
« Vous êtes le seul pays qui ne paie pas. Je ne sais pas quel est le problème », s’est exclamé Donald Trump, d’autant plus étonné que d’après lui, l’Espagne « se porte très bien ». Brandissant la menace de représailles, le président américain a déclaré que l’économie de ce pays « pourrait être complètement détruite » car, à la faveur des négociations sur un accord commercial entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ces derniers allaient « lui faire payer deux fois plus ». Sous entendu : lui appliquer des droits de douane plus élevés.
« Faire diversion »
L’exemption revendiquée – et obtenue – par Madrid est à lire à l’aune d’un climat politique intérieur délétère. Durant la semaine qui a précédé le sommet de La Haye, le 12 juin précisément, l’unité anticorruption de la garde civile (la gendarmerie espagnole) a publié un rapport accablant sur les pratiques de trois des plus proches collaborateurs de Pedro Sanchez. Présomption de pots-de-vin, recours à des prostituées, cadeaux et emplois publics distribués à leur entourage… La crédibilité du chef de l’exécutif a été très fortement ébranlée, alors que sa majorité au parlement ne tient qu’à un fil depuis les élections générales de juillet 2023.
« La réunion de l’Otan a offert à Pedro Sanchez une opportunité extraordinaire de faire diversion », analyse Felix Arteaga, chercheur spécialisé dans la défense et la sécurité à l’Institut royal Elcano, à Madrid. Au risque d’envoyer à Moscou un signal de division au sein de l’alliance Atlantique, le président du gouvernement espagnol a fait valoir qu’il protégeait l’argent de ses concitoyens. Consacrer 5 % du PIB aux dépenses militaires représenterait, a-t-il dit, « plus de 300 milliards d’euros » sur les dix prochaines années, entraînant hausses d’impôts pour la classe moyenne, coupes dans les dépenses sociales et dégradation des services publics. Un message qui ne pouvait être accueilli que favorablement par une opinion publique peu encline à la chose militaire.
Pas de culture militariste
« Dans notre culture, il y a cette idée qu’une majorité de la population ne veut pas entendre parler de l’armée. Beaucoup de gens ont toujours le sentiment qu’en donnant de l’argent aux militaires, on a beaucoup plus à perdre qu’à gagner », souligne Felix Arteaga. De fait, d’après l’Eurobaromètre d’octobre 2024, les Espagnols ne sont que 14 % à se déclarer favorables à ce que l’Union européenne fasse de la défense et de la sécurité une priorité budgétaire (contre 39 % des Français, 38 % des Allemands et 33 % des Italiens).
Dans la péninsule ibérique subsiste le souvenir controversé de 2003, lorsque le conservateur José Maria Aznar avait fait alliance avec George W. Bush pour attaquer l’Irak de Saddam Hussein, ce qui avait coûté les élections à la droite l’année suivante. Un épisode resté atypique. En 2022, juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Madrid avait certes consenti à porter ses dépenses militaires à 2 % à l’horizon de 2029. Mais cette année-là, le sommet annuel de l’Otan se tenait en Espagne et celle-ci célébrait le quarantième anniversaire de son entrée dans l’alliance.
En dehors de ces séquences très particulières, l’histoire du pays a toujours prévalu. « L’Espagne n’a pas participé aux deux guerres mondiales du XXe siècle, elle n’a pas été acteur de la guerre froide, rappelle Felix Arteaga. Quand l’économie se porte bien, le budget de la défense augmente un peu, mais moins que dans les autres pays européens. Quand l’économie va mal, il est le premier touché par les restrictions financières ».
Pour Pedro Sanchez se pose en outre un problème de faisabilité. Son gouvernement de coalition est tellement fragile que le socialiste ne s’est pas risqué à faire voter de loi de finances, ni pour 2024, ni pour 2025. Par deux fois, celle de 2023 a été prorogée. Difficile, dans ces conditions, de déplacer les enveloppes budgétaires. A ce jour, les dépenses militaires de l’Espagne ne représentent que 1,6 % de celles de tous les membres de l’Otan.
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Publish date : 2025-06-27 15:12:00
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