La croisade de Robert F. Kennedy Jr. contre les vaccins se poursuit. Cette fois, le ministre américain de la Santé s’en prend au DTC, ce triptyque vaccinal contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche, qui protège les nourrissons depuis des décennies. Au cœur de ses attaques : la version DTCe du vaccin, un vestige technologique des années 1940 qui incorpore des bactéries de coqueluche entières, mais inactivées. Si les pays riches l’ont depuis longtemps remplacé par une formulation acellulaire, le DTCa, qui intègre des fragments purifiés de la coqueluche, cette ancienne version demeure le standard dans de nombreux pays en développement.
Le 26 juin, dans une vidéo YouTube adressée aux responsables de GAVI, l’Alliance internationale du vaccin, Kennedy a livré son verdict : « Les filles vaccinées avec le vaccin DTCe sont 10 fois plus susceptibles de mourir – toutes causes confondues – dans leurs six premiers mois de vie que les enfants non vaccinés. »
Pis, il a ensuite accusé cette organisation internationale qui a immunisé plus d’un milliard d’enfants contre des maladies mortelles depuis 2000 de passer sous silence ce rapport bénéfice-risque défavorable à la vaccination DTC et « d’ignorer la science » en matière de vaccination des enfants. « J’appelle GAVI à regagner la confiance du public et à justifier les huit milliards de dollars que les États-Unis lui ont fournis depuis 2001. Et je vais vous dire comment le faire : en prenant la sécurité des vaccins au sérieux et en vous basant sur la meilleure science disponible, même si elle contredit les paradigmes établis. Nous ne contribuerons plus financièrement à GAVI jusqu’à ce que ce soit le cas », a-t-il menacé. L’aide de 1,58 milliard de dollars (1,35 milliard d’euros), promise par l’ex-président américain Joe Biden, ne sera donc pas versée.
Une étude menée par « des divinités de la vaccination »
À l’appui de ses accusations, Robert F. Kennedy Jr. a cité une étude de 2017 « publiée dans une revue Elsevier évaluée par les pairs […] menée par cinq divinités de la recherche vaccinale, de fervents partisans des vaccins internationalement vénérées, qui ont conclu que les preuves actuellement disponibles suggèrent que le vaccin DTC pourrait tuer plus d’enfants qu’il n’en sauve ». Cette déclaration choc du très antivax ministre américain n’est pas si surprenante. Ce qui l’est davantage, c’est que l’étude en question existe réellement et que ses conclusions sont bien celles qu’il évoque.
Ces travaux, intitulés « Introduction du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche et du vaccin oral contre la poliomyélite chez les jeunes nourrissons d’une communauté urbaine africaine : une expérience naturelle », ont effectivement été publiés en 2017 par cinq chercheurs (quatre danois et un Guinéen) dans EBioMedicine, une revue de l’éditeur Elsevier. Dans ces travaux, les scientifiques ont analysé l’introduction des vaccins DTC et polio dans un quartier urbain de Guinée-Bissau au début des années 1980. Ils ont étudié la mortalité de 1 057 enfants âgés de 3 à 5 mois. L’étude montre que les enfants ayant reçu le vaccin DTC (avec ou sans polio oral) avaient un risque de mortalité 5 fois plus élevé que les enfants non vaccinés, avec des différences importantes selon le sexe : 9,98 fois plus élevé chez les filles et 3,93 fois chez les garçons.
Des limites méthodologiques et un consensus ignorés
Néanmoins, ces travaux ont été très largement critiqués par l’ensemble de la communauté scientifique et médicale lors de leur publication car ils souffrent de nombreux biais. D’abord, il s’agit d’une « expérience naturelle observationnelle » et non d’un essai clinique « randomisé contrôlé », considéré comme la référence pour produire des preuves solides, car les participants sont répartis au hasard entre un groupe recevant le traitement et l’autre un placebo. Cette distinction méthodologique est cruciale, car les études observationnelles sont plus susceptibles de biais de confusion et ont parfois du mal à établir des liens directs de cause à effet.
Ensuite, cette étude porte sur un nombre relativement restreint d’enfants (environ 1 000), alors que les essais cliniques sur les vaccins incluent le plus souvent des dizaines de milliers de personnes, ce qui restreint considérablement la portée de ses conclusions. Surtout, elle a été menée dans des régions où le manque d’accès aux soins, les conditions nutritionnelles précaires et la prévalence élevée des maladies infectieuses induisent une mortalité infantile très élevée. Ce qui l’expose à un biais de survie : les enfants les plus fragiles peuvent par exemple mourir sans lien direct avec le vaccin.
Les auteurs de l’étude citée par Kennedy ne sont pas non plus des « divinités de la recherche vaccinale ». Peter Aaby, chercheur à l’université du Danemark du Sud, est effectivement une figure connue de la recherche vaccinale et a publié dans de nombreuses revues prestigieuses. Mais ses recherches sur le DTC sont largement contestées, tout comme celles sur le Covid-19 qui affirmaient que le vaccin à virus atténué AstraZeneca était plus intéressant que les vaccins à ARN messager. En mars dernier, deux enquêtes fouillées publiées par le journal danois Weekendavisen ont également révélé plusieurs faits troublants sur Peter Aaby et Christine Stabell Benn (également coautrice de l’étude de 2017). D’abord, ils ont caché délibérément, pendant 14 ans, les résultats d’un essai clinique randomisé sur la mortalité associée au vaccin DTC qui contredisent leur hypothèse de travail. Ils ont aussi détourné certains de leurs propres résultats négatifs pour les faire passer comme des preuves positives.
Mais le plus important est que Robert F. Kennedy Jr. a délibérément ignoré de nombreuses études bien plus robustes qui démontrent la sécurité et l’efficacité des vaccins DTC. Ainsi, une revue systématique et méta analyse qui compile les conclusions de 11 autres études publiées dans Medical Virology 2023 conclut par exemple que les vaccins pédiatriques combinés sont sûrs, bien tolérés et fournissent des protections efficaces. Et une étude publiée en 2024 dans The Lancet qui reprend les données de vaccinations des cinquante dernières années conclut que « les vaccins contenant le DTC ont sauvé plus de 40 millions de vies dans le monde au cours des 50 dernières années ». L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), elle, estime que ce vaccin contribue à sauver la vie de 3,5 à 5 millions d’enfants chaque année.
La réponse de GAVI par la médecine fondée sur des preuves
Face à ces accusations, Gavi a publié un communiqué rappelant le consensus scientifique, qui confirme l’efficacité du DTC. Elle rappelle également que si le vaccin DTCe (à germes entiers) cause des effets secondaires plus forts que le DTCa (acellulaire), ils sont néanmoins bénins dans la plupart des cas (fièvre et douleurs au point d’injection). Surtout, le DTCe produit une réponse immunitaire plus forte et durable. Si de nombreux pays choisissent de maintenir le vaccin à cellules entières, c’est le plus souvent parce que leur population présente un risque plus élevé de maladie grave, ou que leur système de santé est moins apte à traiter les infections de coqueluche. « Les systèmes de santé des pays à faibles revenus sont beaucoup moins équipés pour offrir des doses de rappel fréquentes », précise également Gavi. Le DTCa provoque effectivement moins d’effets secondaires – de 26 à 12 pour 100 000 doses administrées, indique une étude publiée en 2021. Mais il perd de son efficacité à long terme et ne prévient donc pas la propagation des maladies aussi efficacement, ce qui nécessite des doses de rappel. Raison pour laquelle seuls les pays dont le système de santé est solide peuvent se payer le luxe de recourir au DTCa.
Quant aux accusations de ne pas prendre en compte toutes les données, GAVI a rappelé que ce sont des « experts indépendants en matière de vaccination réunis par l’OMS » qui examinent « l’ensemble des données factuelles recueillies sur plusieurs décennies […] y compris les études soulevant des inquiétudes ». Ironie de l’affaire, Robert F. Kennedy Jr. a terminé son message vidéo en invitant Gavi « à (le) rejoindre dans une nouvelle ère de médecine fondée sur des preuves ». Ce à quoi Gavi a répondu en se basant sur des preuves… qui donnent tort à RFK.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-06-28 07:17:00
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