Dans une étude publiée en mars 2024, Santé publique France soulignait que la santé mentale des travailleurs s’était fortement dégradée en France au cours des dix dernières années. « En 2019, la prévalence de la souffrance psychique en lien avec le travail était plus de deux fois supérieure à celle de 2007, avec une augmentation notable à partir de 2016 », notait l’agence nationale. Un an plus tard, l’Igas publiait un rapport peu flatteur sur le management dit « à la française », signe que la question du travail devient progressivement un enjeu national. La France se classe aujourd’hui 36e sur 38 pays en Europe en matière d’engagement des employés, selon une étude Gallup parue en 2024. Selon Mozart Consulting, le coût du désengagement s’élève à 14 840 euros par salarié et par an, soit près de 300 milliards d’euros à l’échelle nationale. Un gouffre économique… et humain.
Comment sortir de cette impasse ? Et si, au lieu de lancer un énième plan, nous changions simplement de regard ? Pourquoi ne pas nous inspirer de pays dans lesquels performance et bien-être ne sont pas antinomiques, comme la Suède par exemple ? Là-bas, 84 % des salariés estiment que leur travail est intéressant et stimulant, et 89 % le jugent porteur de sens, selon le rapport 2024 de l’Agence suédoise pour l’environnement de travail.
L’efficacité à la suédoise, ce n’est pas l’opposé de l’efficacité à la française, c’est une autre manière de l’envisager. Moins verticale, plus collaborative. Là-bas, la performance ne se mesure pas au nombre d’heures passées au bureau, mais à la capacité de chacun à travailler dans un environnement qui le respecte et le responsabilise. Ce modèle repose sur quatre piliers : un équilibre vie professionnelle/vie personnelle non négociable, une gestion de carrière individualisée, un leadership humain, et une attention particulière portée à la qualité de vie au travail.
Ce modèle ne nie pas les exigences du monde du travail : il les articule autrement, dans une logique de long terme. Ces pratiques ne sont pas idéologiques : elles sont stratégiques. Et elles produisent des résultats. Ce pays affiche une productivité élevée, un fort taux d’emploi féminin, une stabilité managériale et surtout, un haut niveau d’engagement des salariés.
Repenser le management
En France, le management est souvent perçu comme un exercice de contrôle, de reporting, voire d’autorité. Résultat : une démotivation généralisée, un désengagement profond, et une perte de sens à tous les étages. Mais cette situation n’est pas une fatalité. Managers exténués, jeunes en quête de sens, entreprises peinant à fidéliser : tout indique qu’il est temps de changer de paradigme. Il ne s’agit pas de copier un modèle, mais de s’en inspirer pour créer notre propre voie. À condition d’accepter de revoir nos rapports à la hiérarchie, au temps, au collectif, au pouvoir.
Quand j’ai commencé à travailler en Suède, mon manager me posait chaque jour la même question : « Est-ce que tu es heureux ? ». J’étais désarçonné. Mais il veillait à mon bien-être, à mon évolution, à mon équilibre. Deux ans plus tard, je suis devenu son manager. Parce que pour lui, un leader, c’est quelqu’un qui fait grandir les autres.
Contrairement à une idée reçue, les jeunes ne veulent pas moins travailler : ils veulent travailler autrement. Ils recherchent un emploi qui respecte leur équilibre, leur liberté, et leur besoin d’utilité. Ils ne refusent pas l’effort, mais le non-sens. Plutôt que de les juger, écoutons-les : ils nous donnent des clés d’avenir, aspirant à des environnements qui valorisent l’écoute, l’autonomie et la clarté du cap. À bien des égards, ils incarnent déjà l’esprit d’un management renouvelé, plus proche du modèle nordique que du modèle hiérarchique hérité du XXe siècle.
Des pratiques motivantes
Ce sont les pratiques concrètes du quotidien qui rendent le modèle suédois si efficace et si stimulant. Elles illustrent comment des choix managériaux simples peuvent transformer en profondeur la culture d’entreprise.
Ainsi, en Suède, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est une norme. S’absenter pour s’occuper de son enfant est vu comme un signe de fiabilité. Un jour, en demandant timidement quelques semaines de congé parental, mon manager m’a répondu : « Ne sois pas ridicule, un bon père prend au moins quatre à six mois » — ces mots ont changé ma vie. Le bien-être est pleinement intégré à la culture d’entreprise. Des programmes de santé physique et mentale sont proposés par les employeurs : activités sportives, soutien psychologique, prévention, avec des bénéfices clairs sur la motivation et la fidélisation. En outre, une véritable dynamique d’apprentissage et d’évolution est développée par l’entreprise. En Suède, j’ai pu suivre de nombreuses formations, y compris sur la parentalité.
À cela s’ajoute une culture collaborative solidement ancrée. Les espaces et les outils sont pensés pour faciliter le travail en équipe. Des rituels de cohésion, combinés à une attention sincère portée à la diversité, créent un climat de coopération propice au collectif. Le fameux « fika » — pause-café rituelle — joue aussi un rôle essentiel : il est un moteur de lien social et d’échanges informels. Enfin, le leadership y est profondément humain et responsabilisant. La reconnaissance y est systématique, concrète, valorisante.
Osons une voie française
La Suède ne détient pas toutes les réponses, mais elle nous tend un miroir. Il est temps d’y regarder autrement notre rapport au travail – et d’oser, enfin, le transformer. Les jeunes générations n’attendront pas. Elles veulent du sens, de la flexibilité, du respect, de l’écoute. Cela tombe bien : les ingrédients du succès suédois sont parfaitement alignés avec ces attentes. Il est temps que les entreprises françaises s’en inspirent pour construire un nouveau contrat social du travail.
Le paradoxe français, c’est d’avoir d’immenses talents, des infrastructures solides, des écoles d’excellence, une capacité d’analyse et une richesse culturelle reconnues dans le monde entier… mais de les gaspiller dans un système qui bride les initiatives et les énergies. Ceci n’est pas une critique, c’est une invitation à agir. À construire une voie française du renouveau managérial, en s’inspirant des meilleures pratiques suédoises, et en y ajoutant notre créativité, notre sens de la nuance, notre goût du débat.
Ce n’est pas la Suède qu’il faut copier. C’est notre ambition qu’il faut réveiller. Et pour cela, commençons par croire à nouveau en nos capacités collectives, en notre jeunesse, en nos entreprises. Osons. Expérimentons. Et surtout, transformons !
*Hervé de Villers est l’auteur de « L’efficacité Viking : Inspirez-vous du modèle suédois pour votre entreprise » (Gereso, 2024)
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Author : Hervé de Villers*
Publish date : 2025-06-29 14:00:00
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