Pourquoi y a-t-il eu tant d’écrits sur une supposée homosexualité d’Hitler ne reposant sur aucun fait historique ? Comment Mao a-t-il pu à ce point abuser de jeunes femmes tout en imposant le puritanisme aux Chinois ? De Catherine II à Vladimir Poutine en passant par Bachar el-Assad, L’Express se penche cet été sur la vie sexuelle des dictateurs, et montre comme celle-ci a pu influencer leurs décisions politiques, tout en étant l’objet de nombreux fantasmes.
EPISODE 1 – « Hitler était-il homosexuel ? » : la vie privée du Führer, objet de tous les fantasmes
Dans un petit cabinet saturé de velours rouge, une diseuse de bonne aventure, œil espiègle et sourire narquois, caresse de ses mains bagousées une boule de cristal. « Voyons voir, chérie, qui t’est destiné… », susurre la matrone d’un grain de voix chaud. Son interlocutrice, l’innocence au féminin, aimerait que « ce » soit par amour. « C’est ma première fois », avoue-t-elle en baissant le regard. Référence à peine voilée à son futur dépucelage. Les cartes de tarot s’abattent une par une sur la table. Il y aura de l’amour. Non, pas de tromperie ; les cartes ne mentent pas. Soudain, le regard de la candide tête blonde s’embrase : « C’est lui ! », s’emballe-t-elle en fixant la dernière carte retournée. A la place de l’Empereur (la carte IV) : Vladimir Poutine en personne.
Pour qui connaît le secret paranoïaque qui entoure la vie intime et sexuelle du maître du Kremlin – au point qu’il aurait, d’après une récente enquête menée par le média d’investigation Dossier Center, dissimulé l’existence de deux fils nés de son union avec la gymnaste Alina Kabaeva –, l’idée même d’un tel script aurait de quoi faire frémir ses auteurs. Certains organes de presse savent ce que coûte de titiller les lignes rouges tracées par Moscou. Pour avoir spéculé à l’aube de son divorce avec Lyudmila Putina, sa première femme, sur l’hypothèse d’un second mariage avec la championne olympique Kabaeva, la publication du Moskovski Korrespondent avait ainsi été suspendue en 2008, officiellement pour raisons « financières ». En 2017, il avait suffi de représenter le président russe affublé de faux cils sur fond arc-en-ciel pour qu’une simple caricature soit ajoutée par les autorités à la liste des œuvres considérées comme « extrémistes ».
Mais cette pastille vidéo n’a rien d’une provocation dissidente. C’est un clip de campagne, diffusé en 2012 par l’agence de publicité Aldus ADV, en vue d' »attirer l’attention de la jeunesse ». A l’époque, l’ex-président Vladimir Poutine, passé Premier ministre de Dmitri Medvedev, concourt pour sa réélection. Point final de la saynète – dont il existe d’autres variantes : « Poutine. La première fois, seulement par amour. » Comprendre que voter pour la première fois, c’est comme perdre sa virginité…
« Le registre sexuel a occupé une place centrale dans la stratégie du Kremlin, note Dan Healey, historien slaviste et professeur à l’université d’Oxford. Dès son premier mandat, les équipes gravitant autour de Poutine ont testé différentes images susceptibles d’avoir un impact politique positif. Après la présidence de Boris Eltsine, marquée par ses frasques et son alcoolisme, l’image d’un président viril et sobre, physiquement capable, le mâle alpha sexy dans toute sa splendeur, flirtant avec les codes occidentaux tout en défendant la mère patrie, était prometteuse. La natalité était en berne, il fallait rassurer les Russes avec un leader qui fasse rêver son peuple. Alors le Kremlin a misé là-dessus dès le début des années 2000. »
Il pêche torse nu
Vladimir Poutine chasse le tigre. Vladimir Poutine conduit un bolide de Formule 1. Mais le président russe monte aussi à cheval, pêche torse nu, pratique le judo et pourchasse des baleines grises. Au début du siècle, le Kremlin abreuve la presse du grand roman-photo de son chef. Sportif, glamour, le torse bombé dans ses costumes italiens, Vladimir Poutine incarne le nouvel homme russe. Un « muzhik », comme l’écrit la politologue Valerie Sperling dans son ouvrage Sex, Politics and Putin. Un « vrai mec » ; de ceux qui promettent d’aller « buter les terroristes jusque dans les chiottes » après les attentats de 1999, et manient la vulgarité des voyous comme personne. Surtout lorsqu’il s’agit d’asseoir sa domination sur d’autres hommes… Lors d’une conférence de presse se tenant à Bruxelles en 2002, Vladimir Poutine s’en est pris par exemple à un journaliste occidental qui le questionnait sur l’usage en Tchétchénie de bombes à fragmentation. « Si vous voulez devenir un islamiste radical et êtes prêt à vous faire circoncire, je vous invite à Moscou, lui aurait-il répondu. Nous avons des spécialistes de cette question et je vous recommande de pratiquer cette opération de façon que plus rien ne repousse. »
Très vite, la culture populaire prend le relais des équipes du Kremlin. Ou serait-ce un mélange ? Bien malin celui qui, dans la Russie de Vladimir Poutine, saura distinguer le véritable élan populaire de l’opération de propagande. « Evidemment, il y avait une part de propagande. Moscou finançait certaines opérations. Mais une large partie de cette Poutine-mania était spontanée, tout simplement parce que cette iconographie sexualisante d’un président quasi hollywoodien a vraiment pris au sein de la société russe », analyse Lukas Aubin, directeur de recherche à l’Iris. En 2002, la chanson Un homme comme Poutine, interprétée par les Putin’s Girls, se hisse en haut des hit-parades, jusqu’à être reprise par l’appareil médiatique de propagande. Les paroles ? « Je veux un mec comme Poutine, plein de force ; qui ne boit pas ; qui ne me fera pas de mal. Quelqu’un comme Poutine, qui ne me quittera pas. »
Mieux : en 2007, le tabloïd Komsomolskaïa Pravda ira même jusqu’à publier une double page intitulée « Be like Putin ». Au menu : photo couleur du torse dénudé du maître du Kremlin et conseils pour s’exercer en vue d’approcher la musculature du chef. Sans oublier ces « rêves érotiques » de femmes subjuguées par leur président, relayés à l’envi par la presse nationale… Dans son ouvrage, Valerie Sperling cite une enquête menée lors de la première année de mandat du chef d’Etat, qui aurait révélé que 3 500 femmes russes sur 5 000 désignaient Vladimir Poutine comme « l’homme le plus sexy de Russie ». Et pourtant, depuis la publication de l’unique livre autobiographique intitulé A la première personne, en 2000, dans lequel Poutine décrivait son passé modeste dans un appartement communautaire de Saint-Pétersbourg, on en sait bien peu sur la vie intime du maître du Kremlin. Mais quoi de plus fantasmatique qu’un point d’interrogation ?
Le déclin de son état
Reste que cette stratégie est risquée. Comme le note Valerie Sperling, « elle expose celui qui l’utilise à des exigences constantes de prouver sa virilité, ainsi qu’à des insinuations selon lesquelles sa masculinité serait exagérée ». A l’automne 2012, il se murmure dans les couloirs des salles de presse que le président, qui tutoie la soixantaine, se serait blessé lors d’un vol en deltaplane en Sibérie. Comme l’indique la politologue, des voix dissidentes commencent à le comparer à Leonid Brejnev, dont la présidence a été marquée par le déclin de son état. Des slogans comme « Envoyons Papy à la retraite », émergent. La situation devient d’autant plus critique que même les photos présidentielles, recyclées en boucle, semblent avoir perdu de leur aura auprès du public. L’homme a vieilli. On ne peut pas jouer indéfiniment les jeunes premiers.
Le Kremlin tente alors d’opérer un virage, promouvant Poutine comme le père de la nation, gardien de la morale et des valeurs traditionnelles russes. « Mais cela n’a pas pris au sein de la société russe, nuance Alexander Kondakov, professeur à l’University College de Dublin. Les électeurs voulaient l’image du président glamour qu’ils avaient connu les premières années. Cette nouvelle stratégie a donc été abandonnée. Mais au fil des années, la réalité physique de son corps a rendu ce changement inévitable. » D’autant que, comme le relève Dan Healey, « il y aurait eu une contradiction à poursuivre une stratégie d’image reposant sur la sexualisation du président alors que celui-ci renforçait sa ligne traditionaliste, notamment sur les questions de sexualité ».
Exit, le président glamour. Place au patriarche autoritaire. L’homosexualité, considérée comme un crime jusqu’en 1993, et comme une maladie mentale jusqu’en 1999, redevient tout particulièrement un enjeu central des combats de Moscou. En 2013, une loi punissant tout acte de « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles devant mineurs » entre en vigueur – elle a été renforcée en 2022. « Même si Vladimir Poutine a délaissé son image de président sexy, la sexualité est restée un enjeu politique central pour le Kremlin : après la période d’émancipation sexuelle des années 1990, le sexe est désormais présenté comme une menace pour la cohésion nationale. En clair : le sexe ne peut être qu’hétéronormé. Et il est fait pour procréer », analyse encore Lukas Aubin. En creux, se devine un combat, perçu comme civilisationnel, contre l’Occident et ses penchants « déviants ». Le patriarche autoritaire et antioccidental a fait sa mue. Mais les sorties vulgaires et sexualisantes du « muzhik », elles, n’ont pas totalement disparu. En 2022, alors que l’on parlait encore de la « crise ukrainienne » et non d’une guerre, le président russe lâche cette phrase à l’endroit de Kiev, interprétée par de nombreux observateurs comme une référence au viol : « Que ça te plaise ou non, ma jolie, faudra supporter. »
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Author : Alix L’Hospital
Publish date : 2025-07-20 16:00:00
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