Comment faut-il manger pour rester en bonne santé ? Probablement à l’opposé de notre régime alimentaire occidental, riche en sucres et en viandes, mais pauvre en fibres. Nous mangeons mal, mais ne nous jetons pas la pierre. Entre les lobbys, la publicité qui incite à la malbouffe, nos rythmes de vie et l’inaction des autorités, les raisons sont nombreuses. « Quand vous rentrez dans un supermarché, il faut une volonté de fer pour éviter tout ce qui peut nuire à votre santé ! », illustre Irène Margaritis, adjointe au directeur de l’évaluation des risques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La communauté scientifique ne désespère pas pour autant de faire passer les bonnes informations. Car les bienfaits d’une bonne alimentation sont nombreux : diminution des risques d’obésité, de cancer, de diabète, de maladies cardiovasculaires, mais aussi amélioration du sommeil et de la mémoire !
Les recommandations françaises en matière de nutrition vont d’ailleurs évoluer. « D’ici la fin de l’année, le cinquième Programme national nutrition santé (PNNS), portant sur la période 2025-2030, devrait être annoncé », révèle Mathilde Touvier, directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Inserm et responsable de la cohorte NutriNet-Santé. « Les dernières recommandations de 2019 restent valables et ne seront pas réévaluées immédiatement, mais il y aura une feuille de route pour les prochaines années, avec des réflexions portant par exemple sur la végétalisation de l’alimentation, la transformation des aliments, ou la régulation de la publicité et les politiques de prix », précise la chercheuse.
Pour Serge Hercberg, professeur émérite de nutrition à l’université Sorbonne Paris-Nord, la mise à jour s’impose comme une évidence : « En particulier sur la consommation de viande et l’intégration de la dimension environnementale. » Dans ce processus, l’Anses fournira le socle scientifique au Haut Conseil de la santé publique qui transmettra ses recommandations à Santé publique France, qui les déclinera sous forme de messages grand public. « C’est un long cheminement basé sur la science par des experts indépendants sans lien d’intérêt », résume le chercheur.
Viande, sucre : une nocivité identifiée
Car les données scientifiques sont solides en matière de nutrition. Certains faits ne sont plus débattus, grâce à un corpus d’études très robuste. Première certitude : la surconsommation de viande rouge (bœuf, veau, porc, mouton, cheval et chèvre) et de charcuteries est néfaste. Elle augmente en particulier les risques de cancer du côlon et du sein. Les chiffres sont sans appel : + 29 % de risque de cancer colorectal pour chaque portion quotidienne de 100 grammes de viande rouge, et + 21 % pour chaque portion de 50 grammes de charcuterie, rappelle l’Anses, qui recommande 500 grammes de viande rouge par semaine maximum.
Les mécanismes qui expliquent cette nocivité sont multiples. La cuisson à haute température produit des substances toxiques. Le fer héminique, dont la viande rouge est riche, peut entraîner la formation de radicaux libres (des molécules instables pouvant provoquer une inflammation chronique et augmenter les risques de cancer, notamment du côlon) et de cytokines pro-inflammatoires. Les nitrites, présents dans la charcuterie, peuvent eux aussi former des composés cancérigènes.
Deuxième fait avéré : les boissons sucrées doivent être combattues. « C’est diabolique, jus de fruits compris car même s’ils contiennent des vitamines, ils sont plombés de sucre, lance Irène Margaritis. Le mécanisme est redoutable : lorsque vous buvez, le cerveau ne déclenche aucun signal de satiété et ce sucre s’ajoute à ceux consommés de manière solide. » Le phénomène peut créer un apport calorique excédentaire, provoquer des pics de glycémie et d’insuline, voire une résistance insulinique conduisant à un diabète de type 2. Trente ans d’études épidémiologiques montrent un lien très clair entre la consommation de ces boissons et le surpoids et l’obésité, eux-mêmes facteurs de risque pour de nombreux cancers.
Il reste néanmoins des choses à comprendre sur les différents sucres (glucose, fructose, galactose, maltose, lactose, saccharose). « Ils n’ont pas tous les mêmes effets métaboliques et conséquences pour la santé. Une controverse existe par exemple sur la consommation de fructose, pas forcément celui des fruits, mais plutôt celui contenu dans les produits ultratransformés riches en sirop de glucose-fructose », indique David Val-Laillet directeur de recherche en neurosciences comportementales et en nutrition à l’Inserm. Un autre débat concerne l’existence d’une addiction au sucre. « Si elle a été montrée de manière expérimentale chez des rongeurs, elle reste controversée chez l’humain », ajoute-t-il.
Troisième certitude : les régimes amaigrissants visant à réduire temporairement ses apports caloriques ne fonctionnent pas. Aucun n’a fait la preuve de son efficacité à long terme et les prises de poids sont quasi systématiques à leur issue. Au contraire, toutes les études montrent qu’il faut adopter des changements pas à pas, en réduisant durablement les excès alimentaires et en pratiquant une activité physique régulière.
Quatrième constat, la nocivité pour la santé cardiovasculaire des acides gras trans industriels, que l’on retrouve dans les margarines, viennoiseries, biscuits etc., est clairement établie. Heureusement, les réformes imposées aux industriels ont porté leurs fruits : les données françaises montrent une forte diminution des apports. La question des acides gras trans d’origine naturelle, présents dans la viande rouge et les produits laitiers, est plus débattue. Certaines études ne retrouvent aucune association avec les maladies coronariennes, mais la difficulté de les distinguer de leurs homologues industriels complique les recherches.
Quant aux acides gras saturés, également présents dans la viande, les produits laitiers et certaines huiles végétales, leur nocivité reste discutée. Ils sont accusés de faire monter le « mauvais » cholestérol (LDL), celui qui colle aux parois des artères et fini par les obstruer. Dans les années 1970, une vaste étude avait conclu à une corrélation forte entre leur consommation et les maladies cardiovasculaires. Mais ces travaux, entachés de biais méthodologiques, ont été remis en question depuis. Deux grandes méta analyses publiées en 2010 et en 2015 et incluant près d’un million de personnes, n’ont trouvé « aucune preuve significative » de leur toxicité cardiovasculaire. A l’inverse, les études chez l’animal, où il est plus facile de mener des analyses précises sur les effets des aliments, semblent plutôt confirmer le lien entre gras saturés et taux élevés de LDL. Plus récemment, des scientifiques ont découvert que tous les gras saturés n’ont pas les mêmes conséquences, et aussi qu’il existe différentes sortes de cholestérol-LDL qui ne seraient pas toutes aussi néfastes. Les recherches se poursuivent, mais pour l’instant, l’Organisation mondiale de la santé recommande encore de limiter la consommation d’acides gras saturés à moins de 10 % des apports énergétiques.
Les aliments ultratransformés, le nouvel ennemi
Les scientifiques ont aussi identifié un nouvel ennemi : les aliments ultratransformés (AUT). « Ces produits industriels représentent 34 % des calories totales consommées par les Français et 46 % chez les enfants. Nos travaux montrent que 70 % de la nourriture industrielle que l’on trouve au supermarché en France est ultratransformée », regrette Anthony Fardet, chercheur à l’Inrae. Le danger commence pourtant à être bien documenté. Une méta analyse cosignée par Mathilde Touvier, publiée dans le British Medical Journal en 2024, a compilé les résultats d’études portant sur plus de 9,5 millions de personnes. Verdict : les AUT augmenteraient le risque de 32 pathologies et troubles de la santé, dont les maladies cardiovasculaires (+ 50 %), le diabète de type 2 (+ 12 %) et l’anxiété (+ 48 %). « Nous allons mettre à jour ces travaux pour identifier les ingrédients et facteurs en cause », annonce la chercheuse. Plusieurs pistes sont avancées : moindre qualité nutritionnelle (moins de fibres, de vitamines, plus de sel, de sucre), présence d’additifs qui peuvent avoir des « effets cocktail », de contaminants provenant des emballages, voire une modification de la structure naturelle de l’aliment. Autant d’éléments pouvant favoriser l’inflammation, perturber le microbiote intestinal et le métabolisme.
En attendant que les autorités réglementent ces produits, ils restent difficiles à identifier. « Les industriels ne nous facilitent pas la tâche, mais il existe une astuce démontrée scientifiquement : si un produit a plus de cinq ingrédients, il y a trois chances sur quatre qu’il soit ultratransformé », révèle Anthony Fardet. Pour en avoir le cœur net, il faut rechercher la présence sur les étiquettes d’au moins un marqueur d’ultratransformation : les additifs qui modifient la couleur, le goût et la texture (émulsifiants, colorants, édulcorants, exhausteurs de goûts, correcteurs d’acidité), les arômes (de synthèse, naturels ou en extraits) et les sirops de glucose ou de fructose. Le dernier marqueur, la cuisson-extrusion et le soufflage, n’est pas écrit sur les emballages. Il s’agit d’un traitement appliqué à presque toutes les céréales pour enfants, aux galettes de riz ou aux snacks céréaliers. L’analyse peut réserver des surprises, ainsi un steak de soja bio est bien souvent un produit ultratransformé.
Microbiote, chronobiologie : des révolution en cours
Au-delà de ces certitudes, de nouvelles recherches émergent, comme celles sur le microbiote intestinal, cet écosystème de milliards de bactéries qui peuplent nos intestins et qui nous rendent des services essentiels. « Nous sommes humains, mais nous sommes aussi microbiens, nous sommes symbiose », résume Joël Doré, directeur de recherche à l’Inrae. Ces bactéries qui se nourrissent de fibres sont hyperspécialisées, il est donc nécessaire de leur offrir un maximum de variété : fibres provenant des fruits et légumes, des céréales et du pain complet, etc. En retour, elles produisent des molécules bénéfiques appelées acides gras à chaîne courte. L’acétate fournit de l’énergie aux cellules, le propionate peut réguler l’expression des gènes et avoir des effets anticancer et le butyrate protège nos parois intestinales. Il joue aussi un rôle préventif contre les cancers des voies digestives et renforce les actions antimicrobiennes et anti-inflammatoires.
Face à ces découvertes prometteuses, la France a lancé une étude unique dans le monde : le French Gut, coordonné par Patrick Veiga, directeur de recherche à l’Inrae. « Nous voulons recruter 100 000 volontaires pour prendre la photo du microbiote de la population française, suivre leur trajectoire de santé pendant vingt ans. Le but ? Pouvoir prédire un jour qui va rester en bonne santé ou tomber malade en croisant les données microbiennes, les habitudes alimentaires et le mode de vie des participants », explique le chercheur. Cela permettra aussi de cartographier la répartition des différents microbiotes dans la population. Car, à l’image des groupes sanguins, il en existe différents types et sous-types. Cette approche pourrait déboucher sur une nutrition de précision. « Demain, on dira peut-être aux personnes dont le microbiote est du groupe A de manger tel ou tel aliment », s’enthousiasme Patrick Veiga. « Ou fournir des prescriptions alimentaires précises pour nourrir le microbiote afin de modérer les symptômes liés à certaines maladies inflammatoires », abonde Joël Doré.
La chronobiologie nutritionnelle est un autre domaine de recherche prometteur. Mathilde Touvier a mené une étude sur ce sujet impliquant plus de 100 000 participants. Les résultats, publiés en 2023 dans Nature Communications montrent qu’il faut privilégier un petit déjeuner avant 8 heures et un dîner avant 20 heures. Déjeuner tard augmenterait de 6 % le risque d’accident cardiovasculaire par heure de retard, tandis que dîner après 21 heures élèverait de 28 % l’apparition de maladies cérébrovasculaires comme les AVC. A l’inverse, une durée plus longue du jeûne nocturne réduirait les risques cérébrovasculaires. « Et le manger en pleine conscience, qui paraissait ésotérique il y a vingt ans, est désormais documenté scientifiquement, ajoute Mathilde Touvier. Manger attentivement facilite les signaux de satiété, contrairement au grignotage devant la télévision par exemple. » Cette approche, présente dans les recommandations nutritionnelles canadiennes, pourrait être mise en place en France dans le futur PNNS.
Comment manger sainement : le guide
Alors, comment manger sainement ? Premier conseil : ingérer plus de fibres ! En moyenne, les Français en avalent 15 grammes par jour contre les 30 grammes minimum recommandés. Légumes, fruits, légumineuses, céréales, pâtes, pain et riz complets : la diversité est la clé. Outre les bénéfices sur le microbiote, elles facilitent la satiété et évitent les pics de glycémie. Certains scientifiques recommandent même 30 végétaux par semaine plutôt que les fameux cinq fruits et légumes par jour. Trop difficile ? « Mettez un maximum de couleurs dans vos plats de la semaine : si votre salade en a trois, vous gagnez déjà des points », propose Joël Doré. D’autant que les couleurs des fruits et légumes sont données par leurs polyphénols, des antioxydants capables de neutraliser les fameux radicaux libres. « Ajoutez une demi-assiette de légumes et un fruit à chaque repas », conseillent unanimement les nutritionnistes.
Les recherches suggèrent également que les aliments bio devraient être privilégiés. Le débat, encore miné par des polémiques, tend de plus en plus en leur faveur. Ainsi, une étude de l’université américaine Harvard menée sur 160 000 personnes et publiée en 2020 a démontré que les personnes peu exposées aux pesticides alimentaires voient leurs risques cardiovasculaires réduits et ont une mortalité globale (cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires) nettement plus faible quand elles consomment des fruits et légumes peu contaminés. « Ces résultats suggèrent que les résidus de pesticides pourraient annuler le bénéfice sur la santé des fruits et légumes », indique Denis Lairon, directeur de recherche émérite à l’Inserm. Après avoir suivi des dizaines de milliers de consommateurs pendant cinq ans grâce à la cohorte NutriNet-Santé, ses collègues et lui ont observé chez les participants consommant au moins 60 % de produits bio une réduction du surpoids et de l’obésité, du diabète de type 2, des risques cardiovasculaires et de certains cancers (sein et lymphomes).
Les bénéfices nutritionnels des aliments bio, eux, sont plus discutés. « Le fait que la composition des aliments bio est parfois meilleure est un effet collatéral positif des cultures bio qui sont moins – voire pas – intensives. C’est l’épuisement de la terre qui appauvrit les végétaux, donc le sujet porte plutôt sur la qualité du terrain « , indique Irène Margaritis. « Les teneurs en nutriments des végétaux dépendent de nombreux facteurs : arrosage, saison, type de coupe, espèces et variétés, engrais utilisés, d’où la variabilité de résultats », confirme Denis Lairon, qui regrette que le débat soit pollué par de nombreuses synthèses de faible qualité. Selon lui, il faut se référer aux « travaux les plus robustes », soit trois méta analyses publiées en 2014 et 2016. Ces dernières avancent que les végétaux bio sont plus riches en magnésium, fer, zinc, antioxydants et en vitamine C, et moins en nitrates et en cadmium. Selon ces études, la viande et les produits laitiers bio contiendraient moins de lipides saturés, et plus d’oméga-3 et de vitamine E (pour le lait).
Les « bonnes graisses » doivent également occuper une place de choix. « Tous les gras ne sont pas mauvais pour la santé, c’est un mensonge fabriqué par l’industrie du sucre », dénonce Irène Margaritis. L’Anses recommande d’ailleurs de consommer 35 à 40 % de l’apport énergétique journalier sous forme de lipides. A condition de bien les choisir. « Il faut privilégier les huiles végétales riches en oméga-3, celles de noix, de colza, d’huile d’olive (si possible extra-vierge) », conseille-t-elle.
Le modèle méditerranéen, référence absolue
Pour mettre en pratique toutes ces recommandations, une solution idéale existe : le régime méditerranéen. Il se caractérise par l’utilisation d’huile d’olive comme principale source de graisse, une abondance de fruits, légumes, légumineuses, céréales et herbes aromatiques, une consommation modérée de produits laitiers, d’œufs et de fruits à coque, limitée de poisson et très occasionnelle de viande. Ses bienfaits ont été démontrés dans de nombreuses études. La plus solide, Predimed, a été menée en Espagne sur 7 500 seniors présentant des facteurs de risque cardiovasculaire élevés suivis pendant cinq ans.
« Nous avons montré une réduction de 30 % du risque d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou de décès cardiovasculaire chez ceux qui adoptent ce régime, assure l’un des coauteurs, Jordi Salas-Salvado, professeur à l’université Rovira i Virgili. Et nous avons mené d’autres travaux qui attestent d’une forte réduction de la pression artérielle et des maladies artérielles, du cancer du sein et du diabète. » Le secret de cette efficacité ? La combinaison de tous les mécanismes protecteurs identifiés par la science, comme sa richesse en polyphénols antioxydants, en fibres variées, en oméga-3, ainsi qu’une synergie entre tous ses composants qui explique ses effets contre l’inflammation et le stress oxydant. « C’est un peu comme la musique : un instrument peut très bien sonner seul, mais dans un orchestre, c’est encore mieux », image le chercheur espagnol.
Le courage politique manque
Bien manger selon la science n’a donc rien de révolutionnaire. Il s’agit surtout de revenir aux fondamentaux d’une alimentation simple, variée et peu transformée. « Comme le faisaient nos grands-parents », résume Irène Margaritis. Alors pourquoi avons-nous tant de mal à transformer nos habitudes ? « La responsabilité n’est pas individuelle, mais collective, commerciale et gouvernementale, insiste l’experte de l’Anses. Par exemple, les produits néfastes en tête de gondole à destination des enfants devraient être interdits, comme en Angleterre, pays qui a aussi supprimé la publicité pour la malbouffe à la télévision jusqu’à 21 heures. »
Mathilde Touvier partage le constat : « Il faut des mesures structurelles : le politique doit réguler le marketing et la publicité, notamment celle à destination des enfants, taxer les aliments mauvais pour la santé – comme pour le tabac – et créer des incitations économiques afin que les aliments de bon profil nutritionnel, pas ou peu transformés, et bio, soient les moins chers possible. » Car une part importante de la population ne peut accéder à une alimentation saine pour des raisons économiques et ces inégalités d’accès demeurent un enjeu crucial. Les leviers existent, mais demandent un courage encore absent. Sans lui, il n’y aura pas de réel changement.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-07-20 15:00:00
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