C’est l’histoire d’un petit joyau, propriété de l’Etat : un immeuble de trois étages au 60 rue Jean-de-la-Fontaine dans le XVIe arrondissement de la capitale. Ce bijou art nouveau a été construit par l’architecte Hector Guimart en 1910 pour un industriel du textile vénitien, Paul Mezzara, qui en fit le lieu d’exposition et de vente de ses précieux tissus à Paris. Le 18 juin 2025, la Direction régionale des finances publiques, a officiellement donné les « clés » de cet hôtel particulier de 750 mètres carrés à deux investisseurs privés au travers d’un bail emphytéotique de 80 ans, avec l’objectif de le transformer en musée. Chaque année, les deux investisseurs rétrocéderont à l’Etat une partie du chiffre d’affaires de l’établissement. A eux de prendre en charge l’intégralité des travaux de rénovation du bâtiment. Clap de fin d’une histoire qui dure depuis plus de dix ans. En 2015, après le départ des internes du lycée Jean Zay qui occupaient les lieux depuis la fin des années 1950, l’immeuble reste vacant. L’Etat essaie bien de le vendre pour près de 7 millions d’euros, en vain. Deux appels à projet lancés en 2021 et 2023 sont classés sans suite. Jusqu’à la signature du dernier contrat, plutôt ingénieux. Du gagnant-gagnant pour la puissance publique qui se déleste d’un poids mort, s’assure des rentrées financières sans assumer aucun coût d’entretien.
Si le bâtiment Mezzara va reprendre vie, combien d’écoles, de casernes et d’hôtels particuliers désaffectés, propriété d’un Etat désargenté, se dégradent, faute d’acheteurs ? En silence, les façades se lézardent, les toitures prennent l’eau. Le temps fait son œuvre. L’an passé, les ventes du parc immobilier public ont atteint un plancher historique : 549 cessions seulement, pour 222 millions d’euros de recettes.
Mardi 15 juillet, dans le flot des annonces budgétaires pour 2026, François Bayrou a annoncé la création d’une foncière publique, une société de gestion, officiellement chargée de gérer le parc immobilier de l’Etat. Avec deux objectifs : le moderniser et surtout en réduire la taille. Une façon de diminuer les coûts d’entretien, tout en faisant rentrer de l’argent frais. Depuis des mois, Thomas Cazenave, le député de Gironde et ancien ministre délégué des Comptes publics, défend l’idée, avec l’ambition d’alléger le parc de 25 % d’ici 2032.
Il faut dire que le potentiel est considérable. D’après les estimations de la Cour des comptes, le trésor immobilier de l’Etat compte près de 194 456 bâtiments, pour un peu plus de 96 millions de mètres carrés. Auxquels il faut ajouter 30 918 terrains non bâtis pour une surface de 4,1 millions d’hectares. Le tout pour une valeur vénale brute de près de 75 milliards d’euros. Un patrimoine nettement supérieur à celui de nos voisins européens – 60 millions de mètres carrés en Allemagne. Certes, tout n’est pas à vendre mais lorsque l’Etat cherche à se délester d’un de ses biens, il trouve rarement preneur. « L’Etat n’est pas un opérateur immobilier, il ignore les logiques de marché, surtout pour les biens atypiques. Il n’a pas les bonnes méthodes, ni les bons angles d’attaque », déplore Agnes Weill, spécialiste du marché immobilier et mandataire pour Expertimo à Paris.
Un inventaire trop lacunaire
Si l’Etat est un piètre vendeur, il est aussi mauvais gestionnaire. Dans un rapport publié en novembre dernier, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale tire à boulets rouges sur la politique immobilière de l’Etat. Point de départ de la critique : un inventaire encore trop lacunaire. Difficile de bien gérer quand on n’a pas la photographie exacte de ce qu’on possède. Certes, comme, le révèlent les deux rapporteurs, les députés François Jolivet et Kévin Mauvieux, un registre numérique partagé entre tous les ministères a bien été créé – nom de code : CHORUS RE-FX – mais il est mal renseigné. L’information serait complète pour 63 % des biens enregistrés seulement. Quant à l’état de santé des bâtiments, dans 49 % des cas, les données fournies sont insuffisantes.
La réalité, c’est qu’une partie de cet empire immobilier a besoin de sérieux et coûteux travaux. Les dépenses courantes d’entretien ont plafonné à 7,2 milliards d’euros entre 2012 et 2020, d’après les auteurs du rapport. Un niveau très insuffisant, d’autant que la mise aux normes des bâtiments et leur rénovation énergétique nécessiteraient une enveloppe de 67 milliards d’euros, soit 2,4 milliards de plus par an, d’après le Secrétariat général à la planification écologique. Une facture astronomique en ces temps de vaches maigres budgétaires.
La future foncière publique, si elle voit le jour, aura donc une tâche ardue. Dans un rapport de la Cour des comptes d’avril 2023, on peut lire que la Direction de l’immobilier de l’Etat (DIE) considère que les trois quarts des 1 636 biens immobiliers déclarés inutiles et remis au Domaine fin 2022 étaient « difficiles », « très difficiles » ou « improbables » à céder. Ce qui obligeait à rechercher des modalités de valorisation alternatives. Innover et casser les codes… Un autre chantier pour l’Etat.
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-07-21 06:45:00
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