Durant le week-end des 19 et 20 juillet, de nombreuses manifestations ont eu lieu en Espagne pour dire « non » au racisme. De Barcelone à Saint-Jacques-de-Compostelle, de Bilbao à Séville, des milliers de gens sont descendus dans la rue pour demander aux autorités « une réponse ferme » aux violences qui venaient de se produire contre des immigrés dans le sud-est de la péninsule ibérique. Et pour dénoncer la normalisation des discours de haine à l’égard d’une main-d’œuvre étrangère que le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez encourage à venir s’installer dans le pays, un cas à part en Europe. En 2024, le royaume a décidé de régulariser chaque année 300 000 immigrés, et ce pendant trois ans. Selon le chef de l’exécutif, « l’immigration n’est pas un problème mais une nécessité » pour l’économie et le financement de la protection sociale.
Le 9 juillet 2025, dans le village de Torre Pacheco, près de Murcie, un retraité de 68 ans a été agressé dans la rue par un jeune maghrébin, selon ses dires. Avant même que ne soit interpellé le responsable présumé au Pays basque, un Marocain de 19 ans résidant à Barcelone, les milieux d’extrême droite ont fondu sur la localité rurale située au milieu des champs d’orangers et de melons, sous la forme de « patrouilles citoyennes » armées de battes de baseball et protégées par des casques de moto. Il a fallu quatre jours à la police et à la Guardia civil pour ramener le calme.
Laboratoire de la haine
D’après Miquel Ramos, essayiste et journaliste au site d’information eldiario.es, l’extrême droite espagnole a voulu faire de Torre Pacheco, 40 000 habitants dont un tiers d’immigrés, « un laboratoire où tester sa capacité d’agitation et de concrétisation de la haine ». Le fait divers a servi d’étincelle, comme c’était arrivé l’été dernier à Mocejón, près de Tolède, ou tout récemment à Sabadell, près de Barcelone. Sauf que cette fois, le caractère très coordonné des émeutes anti-immigrés est apparu au grand jour.
« Certes, il y a des années que les idées extrémistes associant immigration et insécurité prospèrent en Espagne », rappelle Sergi Soler, chercheur à l’université autonome de Barcelone. Pour preuve, un sondage publié le 13 juillet dans le journal El Mundo avance que 70 % des Espagnols sont aujourd’hui favorables au renvoi des immigrés illégaux dans leur pays d’origine. « Cette radicalisation des esprits résulte de la désinformation généralisée sur les réseaux sociaux, souligne Sergi Soler, mais la nouveauté est que les discours philo-fascistes sont portés par des groupes ultras à dimension internationale. »
Champ de bataille idéologique
Miquel Ramos confirme, parlant d’un « conglomérat d’acronymes et de personnalités agissant à l’unisson pour susciter davantage de mobilisation et d’attention médiatique sur tout événement qui promeut leur cause ». Parmi eux, des comptes d’extrême droite en anglais comptant chacun plus de 1,3 million d’abonnés sur X : ceux de l’agitateur islamophobe britannique Tommy Robinson, de Radio Genoa, de Visegrad24… qui, pendant quelques jours, ont fait de Torre Pacheco « le champ de bataille de leur croisade ».
Au même moment, des organisations travaillaient à l’unisson depuis l’Espagne. Un mouvement portant le nom de Deport Them Now (« expulsons-les maintenant »), réputé proche de l’organisation néonazie Núcleo Nacional, dont les membres participent régulièrement à des rassemblements en France et en Allemagne, déclarait ouverte « la chasse aux Maures » sur sa chaîne cryptée Telegram. Son leader, Christian Lupiáñez, agent de sécurité de 28 ans, détenteur d’un permis de port d’armes, avait été repéré au début de 2024. Il a été arrêté la semaine dernière en Catalogne. Daniel Esteve, un influenceur (plus de 302 000 abonnés sur X), appelait quant à lui à la formation de patrouilles anti-immigrés dans la petite cité agricole. Il dirige Desokupa, une société spécialisée dans l’expulsion forcée de squatteurs. Dans la même nébuleuse gravitent le député européen d’extrême droite Alvise Pérez, dirigeant d’un mouvement baptisé Se Acabó La Fiesta (« la fête est finie »), ainsi qu’une myriade de micropartis extrémistes, Aliança Catalana, España 2000, Democracia Nacional, Falange Española…
Libération de la parole
« Leur discours exalté témoigne d’une libération de la parole qui rappelle les premières provocations de Jean-Marie Le Pen en France. Il y a vingt ans, certains pensaient sûrement la même chose en Espagne mais n’auraient jamais osé le dire à haute voix », note Guillermo Fernandez Vazquez, maître de conférences en sciences politiques à l’université Charles-III de Madrid et spécialiste des nouveaux phénomènes populistes en Europe. A l’échelle nationale, Vox porte « une lourde responsabilité » dans le climat actuel, dit-il. Le parti xénophobe a en effet proposé début juillet d’expulser huit millions d’immigrés, y compris ceux de deuxième génération nés en Espagne. Dans son collimateur, les populations musulmanes, davantage que les Latino-Américains. Avec l’affaire de Torre Pacheco, il a trouvé du pain bénit, un an après avoir rompu ses alliances régionales avec la droite modérée. Son objectif ? Faire de l’immigration la préoccupation première des Espagnols. Selon le dernier baromètre mensuel du Centre d’enquêtes sociologiques, Vox est crédité de 18,9 % dans les intentions de vote. Plus très loin des deux formations qui dirigent alternativement l’Espagne depuis la fin de la dictature franquiste, le PSOE (socialiste, 27 %) et le PP (droite, 26,5 %).
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Publish date : 2025-07-22 15:30:00
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