Un vent de fronde souffle à la Nasa. Un groupe de 287 scientifiques, employés actuels et anciens de l’agence spatiale américaine, ont publié une lettre ouverte. L’objet de leur colère ? Les coupes budgétaires, les annulations de subventions et une « culture du silence organisationnel » qui, selon eux, pourraient constituer un risque pour la sécurité des astronautes. Le document, intitulé « Voyager Declaration » (en français « Déclaration Voyager », en l’honneur de Voyager 1 et Voyager 2, les deux sondes spatiales de la Nasa lancées dans les années 1970 qui continuent de fonctionner) et dédié aux astronautes qui ont perdu la vie dans des incidents tragiques de vols spatiaux du passé, est adressé à l’administrateur par intérim de la Nasa, Sean Duffy. Ce fervent soutien de Donald Trump, par ailleurs ministre des Transports, a brusquement remplacé Janet Petro, une employée de longue date de la Nasa, à la tête de l’agence le 9 juillet. La lettre compte 156 signataires anonymes et 131 signatures publiques, dont au moins 55 employés actuels, précise CNN sur son site.
« Les changements majeurs de programme à la Nasa doivent être mis en œuvre de manière stratégique afin de gérer les risques avec prudence », plaident les signataires de cette lettre. « Au lieu de cela, les six derniers mois ont été marqués par des changements rapides et coûteux qui ont compromis notre mission et eu des conséquences catastrophiques sur les effectifs de la Nasa », déplorent-ils. « Nous sommes contraints de nous exprimer lorsque nos dirigeants privilégient l’élan politique au détriment de la sécurité humaine, du progrès scientifique et de l’utilisation efficace des ressources publiques. »
Un budget réduit de près de 25 % ?
Les auteurs de ce courrier critiquent des « coupes budgétaires indiscriminées » prévues au sein de la Nasa. « Les conséquences pour l’agence et le pays sont désastreuses » écrivent-ils dans cette missive, déplorant des coupes arbitraires. Comme l’indique le New York Times, dans sa demande de budget au Congrès en juin, l’administration Trump a proposé de réduire le budget de la Nasa de près de 25 %. La direction des missions scientifiques de la Nasa, qui comprend les sciences de la Terre, les missions du système solaire et l’astrophysique, subirait une réduction de 47 %, passant de 7,3 milliards de dollars à 3,9 milliards de dollars.
Dix-neuf missions scientifiques actuellement en service, dont l’observatoire à rayons X Chandra, la mission Juno vers Jupiter et les deux observatoires orbitaux du carbone, seraient arrêtées et abandonnées.
Le Congrès opposé à des coupes drastiques
Si la Nasa a jusqu’à présent évité les licenciements massifs, des milliers d’employés ont quitté l’agence ou prévoient de le faire, notamment à travers des offres de retraite anticipée. Une récente communication au personnel précise qu’au moins 3 000 membres du personnel acceptent des offres de démission différée, selon une note interne dont l’authenticité a été confirmée à CNN par deux sources. Des réductions d’effectifs plus importantes pourraient également se profiler à l’horizon. La direction de la Nasa, sous la direction de Janet Petro, avait travaillé sur un plan de restructuration de l’agence, bien que les détails de cette initiative n’ont pas été rendus publics.
Le Congrès ne semble toutefois pas favorable à des coupes budgétaires draconiennes. Une sous-commission sénatoriale a proposé d’allouer 7,3 milliards de dollars à la direction des missions scientifiques de la Nasa pour l’exercice 2026, soit le même montant que pour l’exercice en cours. La Chambre des représentants s’est quant à elle montrée moins généreuse, proposant 6 milliards de dollars pour les missions scientifiques, relève le New York Times.
Inquiétudes sur la sécurité
Certains employés de la Nasa craignent par ailleurs que les changements qui touchent actuellement l’agence ne compromettent la sécurité des missions spatiales habitées. Dans leur lettre, ils soulèvent des inquiétudes concernant les changements suggérés à l’Autorité technique de la Nasa, un système de contrôles et d’équilibres de sécurité au sein de l’agence. Créée à la suite de la catastrophe de la navette Columbia en 2003 qui a tué sept astronautes, l’Autorité technique vise à garantir la sécurité des missions en permettant aux employés de la Nasa à tous les niveaux de l’agence d’exprimer leurs préoccupations en matière de sécurité aux dirigeants extérieurs à leur chaîne de commandement directe. Ces craintes découlent des déclarations faites lors d’une réunion publique de l’agence en juin dernier. Lors de cette réunion, les dirigeants de la Nasa ont en effet déclaré qu’ils prévoyaient de tenter de rendre l’Autorité technique plus « efficace ».
La Nasa a été marquée à plusieurs reprises par des accidents ayant coûté la vie à des astronautes, rappelle le Wall Street Journal. Outre Columbia, trois astronautes ont péri en 1967, lorsqu’un incendie s’est déclaré dans une capsule utilisée dans le cadre du programme Apollo de l’agence. L’explosion de la navette Challenger en 1986 a elle fait sept morts parmi les membres de l’équipage.
Bethany Stevens, attachée de presse de la Nasa, a répondu aux auteurs de la missive que la Nasa « ne fera jamais de compromis sur la sécurité ». « Toute réduction – y compris notre réduction volontaire actuelle – visera à protéger les rôles essentiels à la sécurité », a-t-elle déclaré dans un communiqué. « La réalité est que le président Trump a proposé des milliards de dollars pour la science à la Nasa, démontrant ainsi son engagement constant à communiquer sur nos réalisations scientifiques », a ajouté Bethany Stevens. « Pour garantir que la Nasa réponde aux attentes du peuple américain, nous évaluons en permanence le cycle de vie des missions, et non le maintien de missions obsolètes ou moins prioritaires », a-t-elle précisé.
La coopération spatiale internationale menacée ?
Les signataires de la lettre ont d’autres sujets de mécontentement. Ils ont ainsi exprimé auprès de CNN leur opposition aux directives de Donald Trump visant à fermer les initiatives de diversité, d’équité, d’inclusion et d’accessibilité (DEIA). La direction de la Nasa s’est conformée au décret du président américain en fermant une branche dédiée à la DEIA, en supprimant les pronoms des signatures de courriels et en supprimant toute référence à l’engagement pris par le milliardaire républicain lors de son précédent mandat d’envoyer une femme et une personne de couleur sur la Lune pour la première fois. L’agence spatiale a également fermé des groupes d’employés qui soutenaient les travailleurs issus de minorités.
Parmi les autres changements de l’ère Trump dénoncés dans la « Déclaration Voyager » figurent des directives visant à annuler des contrats et des subventions affectant les travailleurs du secteur privé à travers le pays, ainsi que des projets visant à retirer l’agence spatiale de certains projets avec des partenaires internationaux. Le projet de budget de la Maison-Blanche prévoit le retrait du financement de dizaines de projets, dont la station orbitale lunaire Lunar Gateway, sur laquelle les États-Unis auraient collaboré avec des agences spatiales du Canada, d’Europe, du Japon et des Émirats arabes unis. Plusieurs autres programmes importants de coopération spatiale internationale pourraient donc faire les frais d’une réduction du budget de la Nasa, comme ceux visant à ramener des échantillons de Mars, ou encore envoyer la sonde Dragonfly sur Titan, un satellite de Saturne.
La lettre signée par des employés de la Nasa est la plus récente d’une série de déclarations condamnant les coupes et les changements proposés dans d’autres agences fédérales. Certains employés des National Institutes of Health ont ouvert la voie en juin dernier, en publiant une déclaration s’opposant à ce qu’ils ont appelé la politisation de la recherche. Une autre lettre, signée cette fois par des employés fédéraux de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) plus tôt ce mois-ci, a entraîné la mise en congé administratif d’environ 140 personnes.
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Author : Julien Chabrout
Publish date : 2025-07-22 14:09:00
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