Tout l’été, L’Express raconte la fabrique des élites européennes à travers sept lieux emblématiques où se forment les futurs leaders du Vieux Continent : écoles de business, universités prestigieuses, laboratoires de recherche, pépinières de talents dans la mode, le design ou l’hôtellerie… Une autre manière de redécouvrir l’Europe à travers ses pépites de l’enseignement supérieur, que le monde entier nous envie.
EPISODE 1 – L’université Bocconi à Milan, l’école qui façonne les grands patrons européens
EPISODE 2 – « La meilleure école au monde » : La Cambre, pépinière belge des stars de la haute couture
EPISODE 3 – Les secrets de Polytechnique, l’école qui forme les étoiles françaises de l’IA
EPISODE 4 – De Mark Rutte au roi des Pays-Bas : l’université de Leyde, incubateur de décideurs européens
Lorsqu’ils arrivent sur les hauteurs de Lausanne, les anciens de l’EHL peinent à reconnaître le décor de leurs jeunes années. Ici, à peine majeurs, sitôt le bac en poche, ils ont passé quatre ans loin de leurs parents et de leur univers familier, à apprendre les fondamentaux de la gestion hôtelière. Mais désormais, à l’exception de la « ferme », le bâtiment historique qui a abrité nombre de parties de baby-foot et de soirées mémorables, tout a changé au 301 route de Berne. Le nom de l’établissement, puisque l’Ecole hôtelière de Lausanne est devenue l’EHL – Hospitality Business School ; le campus, qui est passé de 25 000 à 80 000 mètres carrés en 2022 ; la taille et le rythme des promotions, deux par an pour environ 800 diplômés.
Depuis plusieurs années, l’EHL s’est engagée dans une révolution qui fait d’elle une école hors catégorie. Alors qu’elle supplante ses historiques rivales de l’hôtellerie, Cornell University dans l’Etat de New York ou Glion à Montreux, en Suisse, elle refuse de s’enfermer dans les frontières de ce seul univers. Désormais, elle se veut business school à part entière – elle a d’ailleurs l’accréditation AACSB des meilleures écoles de commerce. Mais n’ayant pas encore la notoriété pour se placer sur le même terrain que HEC ou la Bocconi, elle se différencie avec ce qui a fait sa réputation par le passé : le sens du client et le très grand esprit de corps qui anime ses anciens. Parmi ces derniers, figurent donc de très nombreux dirigeants d’hôtels de luxe à l’instar de Christophe Laure de l’Intercontinental à Paris ou Vincent Billiard du Crillon, mais aussi Laurent Gagnebin, de la banque suisse Rothschild & co, Georges Plassat, ex-Carrefour et Casino, ou des créateurs de start-up.
Des bâtiments d’origine ne subsiste dans le nouveau campus que « la ferme ».
Cette extension du domaine de l’EHL, indispensable selon la fondation privée qui la dirige pour rester dans la compétition, a suscité des interrogations parmi les anciens. L’école met donc un soin particulier à perpétuer l’esprit d’appartenance de ses élèves, surtout lors du bachelor, le programme phare de l’établissement. Elle n’a, par exemple, pas souhaité renoncer à son « année préparatoire » (AP), durant laquelle les élèves s’essaient en petits groupes à toutes les fonctions de l’hôtellerie-restauration. Par modules d’une à deux semaines, ils travaillent en cuisine ou en service dans les restaurants d’application de l’école – depuis la cantine qu’on préfère appeler ici le food court, jusqu’au restaurant gastronomique étoilé – ; ils font la plonge, nettoient les logements mis à disposition des élèves… Ils partent ensuite faire un stage opérationnel dans un établissement hôtelier ou de restauration.
Officiellement, l’AP a pour objectif de permettre à ceux qui occuperont des fonctions de dirigeants de connaître les contraintes de tous les métiers du secteur. En réalité, alors que seuls 20 à 30 % des anciens élèves exercent désormais dans l’hôtellerie, elle a une vertu insoupçonnée, celle de créer une solidarité entre les étudiants autour de tâches parfois ingrates. « Ils se souviendront toute leur vie qu’ils se sont levés à 5 heures du matin pour faire cuire les croissants pour le petit-déjeuner. C’est ce qui la rend unique dans le monde du management hôtelier », insiste Juan F. Perellon, le directeur académique. « On vit EHL, on dort EHL, on se construit un cocon très fort d’amis », approuve Estelle Tchurukdichian, aujourd’hui assistante à la direction de l’Intercontinental à Paris.
Pas de cardigan, ni de manches retroussées
La première année est aussi l’occasion d’apprendre à respecter des règles strictes, créant un autre lien invisible mais solide entre les élèves. « Ils arrivent avec des backgrounds différents, issus de classes sociales diverses, et ils se retrouvent tous en uniforme, dans des équipes qu’ils n’ont pas choisies et face à des clients réels puisque les restaurants sont ouverts aux gens de l’extérieur », ajoute Achim Schmitt, le doyen de l’école. Si le dress code a été un peu assoupli, un « guide de l’apparence professionnelle » de treize pages liste ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, comme les cardigans en remplacement de la veste ou les manches retroussées. La règle pourrait prêter à sourire. Outre qu’elle reste ancrée chez les anciens, elle nourrit des souvenirs communs précieux pour la vitalité du réseau. « C’est une école très exigeante académiquement parlant, cela crée une fraternité, un compagnonnage, on reste soudés les uns aux autres », confirme Christophe Laure, de l’Intercontinental.
Avec 35 000 anciens, l’institution, créée en 1893, est certes moins bien dotée que sa consoeur HEC (80 000), mais elle prend un soin tout particulier à animer ce réseau. Le jour de leur remise de diplôme, les étudiants sont invités à signaler leur lieu de vie sur une application dédiée. Ensuite, des « stamm », des comités locaux dont le nom a été donné en référence à ces tables jadis réservées de semaine en semaine par des groupes d’amis dans les auberges du monde germanophone, prennent le relais. Présents dans 70 villes du monde, ils sont aidés, y compris financièrement, par le département des alumni, rattaché à l’école, qui fêtera ses 100 ans en 2026.
A Paris, Quentin Thireau anime, avec quatre personnes, l’un des plus gros stamm hors de Suisse avec plus de 1 800 membres actifs. Chaque événement (cocktail, pique-nique…) est l’occasion de parler évolution professionnelle, besoin de recrutement ou projet d’entreprise. Mais la solidarité prend souvent des chemins plus informels, tel cet ancien qui veut ouvrir une brasserie traditionnelle et que l’on met en contact avec deux ou trois confrères déjà sur le créneau. Will Foussier, fondateur de AceUp, une entreprise de coaching digital, qui compte 80 salariés et des bureaux à New York, San Francisco mais aussi à Singapour et à Paris, regarde toujours ce qui se passe dans le stamm de la ville où il se trouve. Lorsqu’il était lycéen, c’est une rencontre avec un ancien de l’école lors d’un voyage au Vietnam qui lui a donné envie de postuler à l’école suisse plutôt qu’en classe prépa. Plus tard, il a compté le campus de l’EHL à Singapour parmi les premiers clients de son entreprise. Désormais, il rend à son tour service en accompagnant des projets de start-up d’étudiants dans le cadre de l’Innovation hub de l’école.
Kevin Solleroz, 36 ans, passionné de vidéos, a bénéficié du réseau de l’EHL quand il a monté sa boîte de production à la sortie de l’école : « Beaucoup de gens me connaissaient car j’avais filmé plein d’événements pendant mes études. Et j’ai eu le prix EHL Spirit pour ma participation à la vie de l’école, ça m’a beaucoup aidé. » Marie Braquenié, responsable des ventes « groupes » à l’Intercontinental de Paris, a été accueillie à bras ouverts par le stamm de Sydney lorsqu’elle a décidé de poursuivre ses études en master en Australie. Louise Haddad, toute jeune diplômée, avait trouvé un stage à Copenhague grâce à un professeur de l’école, puis a décroché un emploi dans la valorisation de l’immobilier hôtelier à Londres grâce à la plateforme de l’école.
La vitalité du réseau d’anciens alimente et croise, en effet, les relations qu’entretient l’école avec les entreprises. Ils participent régulièrement aux salons de l’emploi qui ont lieu deux fois par an. Certains représentent leur entreprise dans la EHL Alliance, club privé regroupant des entreprises de différents secteurs, toutes plutôt haut de gamme, susceptibles de recruter des ex-EHL. Elle imagine aussi des programmes correspondant à des besoins spécifiques comme « l’expérience des patients » pour un groupe d’hôpitaux de New York. L’idée est toujours la même : se développer pour jouer dans la cour des plus grands et offrir à ses anciens des débouchés autres que dans l’hôtellerie, où les conditions de travail et les salaires, même pour les postes les plus élevés, restent moins attractifs qu’ailleurs. Les frais de scolarité élevés – 180 000 euros pour quatre ans pour les non-Suisses – incitent aussi à se diriger vers des secteurs plus rémunérateurs.
Direction : Achim Schmitt, doyen de l’EHL – Hospitality Business School.
Droits d’inscription : de 90 000 (pour les Suisses) à 180 000 euros pour 4 ans.
Effectifs : 800 par an en deux promotions.
Ils sont passés par là : Christophe Laure (Intercontinental), Vincent Billiard (Crillon), Laurent Gagnebin (Rothschild & co Bank), Jacky Lorenzetti (La Défense Arena).
Source link : https://www.lexpress.fr/economie/du-crillon-a-la-banque-rothschild-a-lausanne-lex-ecole-hoteliere-qui-joue-dans-la-cour-des-business-ARRZBI3LVJDFBNC2NFLWHD437U/
Author : Agnès Laurent
Publish date : 2025-08-02 10:00:00
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